Ils font l’actualité. Ils sont des acteurs de changement dans leur domaine. Mais on les connaît peu ou pas. La Presse vous en présente tout au long de la saison estivale.

« Les seules personnes trans que j’avais vues dans ma vie, c’était des tueurs en série dans des films. »

Dire que Séré Beauchesne Lévesque, 25 ans, a eu une adolescence malheureuse est peu dire. « J’étais certain que je mourrais avant d’avoir 18 ans », se souvient le jeune adulte trans non binaire de Sherbrooke.

Séré Beauchesne Lévesque nous demande d’utiliser le pronom iel et les accords masculins pour le désigner dans l’article. Iel comme dans une combinaison de « il » et de « elle ». Non binaire comme dans ni homme ni femme, bien que Séré s’identifie aussi comme un homme trans.

« À l’adolescence, je savais que j’étais différent, mais je ne comprenais pas qui j’étais », raconte Séré, qui a fait ses études dans une école privée pour filles.

Durant cinq ans, l’élève ne se sent pas à sa place et n’arrive pas à déterminer pourquoi. « J’ai frappé un mur. On s’attend à ce que je sois une fille parce que j’ai été assignée fille à la naissance et que je me conforme aux stéréotypes de féminité. »

L’ado se met à lire L’ABC des filles pour « apprendre » à correspondre aux attentes de la société. Iel ne s’y reconnaît pas du tout. « J’ai commencé à me dire que j’étais bizarre ; que j’étais fou. À la fin du secondaire, j’étais dépressif et suicidaire. »

Séré nous rencontre à TransEstrie dans un local qui a pignon sur rue au cœur du centre-ville de Sherbrooke en ce magnifique mardi de juillet.

Séré a fondé l’organisme il y a deux ans afin qu’aucun autre jeune trans de sa région ne connaisse un parcours avec autant d’embûches que le sien.

Un sac rempli de binders – une camisole de compression qui sert à aplatir la poitrine des hommes trans – traîne sur la table.

C’est impossible d’en trouver en région, alors on en fournit parce que sinon, les jeunes vont aller s’acheter du tape à la pharmacie et ils vont finir avec des côtes cassées.

Séré Beauchesne Lévesque

Au cégep, Séré rencontre une première « vraie personne trans ». Rien à voir avec les « tueurs en série fous » des films de son enfance. « J’ai découvert qui j’étais. Le déclic s’est fait en 24 heures. »

Le début d’un long combat

Sa quête identitaire s’est alors transformée en un dur combat pour le respect de ses droits. Séré change son nom à la moitié de son parcours collégial. Sauf que tout le monde l’a connu en tant que fille, donc connaît son ancien nom. Des élèves s’en servent pour le blesser.

Son nouveau nom apparaît sur sa carte étudiante, mais le cégep affirme que c’est trop compliqué de le changer dans le système informatique. Au début de chaque trimestre, Séré doit faire son coming out à chacun de ses enseignants puisque son prénom sur la liste officielle est celui de naissance.

Ça devient épuisant quand tout ce que tu veux, c’est suivre tes cours comme tout le monde.

Séré Beauchesne Lévesque

Malgré cela, certains enseignants s’entêtent à utiliser son nom de naissance puisque c’est son nom « légal » inscrit sur la liste de classe. L’un d’eux, en apprenant que Séré est trans, lui demande même quels sont ses organes génitaux. « Tu m’enseignes le français, tu n’as pas besoin de savoir ce que j’ai dans les culottes. »

À l’époque au cégep de Sherbrooke, il n’y a que quelques toilettes non genrées. « À la bibliothèque, toutes les toilettes individuelles étaient genrées. On collait des autocollants avec un symbole neutre par-dessus les sigles masculins et féminins, ça faisait paniquer les bibliothécaires », raconte Séré qui a fini par obtenir que les toilettes individuelles soient dégenrées et que le système informatique intègre le prénom usuel.

Quand iel a été admis à l’Université de Sherbrooke en mathématiques, « tout a été à recommencer ». Séré a changé son nom légal après la rentrée. L’étudiant était terrifié à l’idée que ses collègues de classe apprennent son nom de naissance, car ce dernier s’affichait encore lorsque Séré ouvrait une session sur un ordinateur de l’université. « Je cachais mon écran avec un cahier chaque fois pour éviter que ça arrive. »

Après un entraînement au gymnase, Séré doit prendre sa douche chez son père qui habite non loin de là. « Je risquais de me faire battre dans le vestiaire des gars et je ne fittais pas dans le vestiaire des filles. »

Séré fonde un groupe d’action trans au sein même de l’université. Cela a pris trois ans, soit la durée de son baccalauréat, pour que les choses changent.

J’ai passé plus de temps dans des comités avec la direction à expliquer les droits des personnes trans que dans mes cours. Le premier réflexe des autorités, c’est toujours de répondre : « C’est compliqué. »

Séré Beauchesne Lévesque

Tout cela en naviguant dans le système de santé puisque Séré poursuit alors sa transition et prend des hormones.

En 2019, l’Université annonce qu’elle permet à ses étudiants et à son personnel de choisir leurs prénom, nom et genre. Parmi les genres, on peut cocher « femme », « homme » ou « autre ». L’établissement s’engage aussi à aménager un premier vestiaire universel, mixte, accessible aux personnes de tous genres – homme, femme ou autre – au centre sportif.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Séré Beauchesne Lévesque

Séré a alors pratiquement terminé son bac en mathématiques : « C’est l’histoire de ma vie. Je mène la lutte et ceux qui suivent en bénéficient. »

À l’époque, son organisme étudiant reçoit de nombreux appels à l’aide provenant d’un peu partout dans la région. C’est là que Séré a l’idée de fonder un organisme « par et pour les personnes trans » en Estrie.

Son cheval de bataille : créer des services pour les personnes trans et non binaires en dehors des grands centres urbains. « Je ne voulais pas abandonner les jeunes derrière en disant : Montréal est la seule destination pour obtenir des services pour une personne trans. »

Très éloquent, Séré est devenu une voix forte dans les médias.

Séré a même témoigné dans un procès en Cour supérieure à la demande du Centre de lutte contre l’oppression des genres pour faire valoir que plusieurs articles du Code civil du Québec étaient discriminatoires envers la communauté LGBTQ+.

Le juge Gregory Moore a donné raison au Centre en ordonnant au gouvernement québécois d’offrir d’autres options qu’homme ou femme dans les certificats délivrés par la Direction de l’état civil.

« Notre 11-Septembre »

C’était en janvier 2021. Or, cette victoire a été de courte durée. Dix mois plus tard, le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette déposait le projet de loi 2 destiné à moderniser le droit de la famille au Québec.

Ç’a été notre 11-Septembre, toutes les personnes trans se rappellent ce qu’elles faisaient, où elles étaient lors du dépôt du projet de loi.

Séré Beauchesne Lévesque

C’est que le projet législatif exigeait une intervention chirurgicale avant un changement à la mention du sexe ; une exigence pourtant abrogée en 2015.

Cela représentait un immense recul aux yeux de beaucoup, dont les organismes de défense des droits de la communauté LGBTQ+ qui n’ont pas hésité à qualifier le projet de « transphobe ». Ce n’est pas tout. Le texte législatif visait l’ajout d’une identité de genre distincte, ce qui risquait de créer des « coming out forcés » pour les gens qui n’étaient pas passés sous le bistouri, selon ces mêmes organismes. En effet, Québec projetait que la mention de sexe soit remplacée par une mention de l’identité de genre sur les documents de l’état civil des personnes trans, créant une distinction entre leurs documents et ceux d’une personne cisgenre.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice

Séré n’a pas baissé les bras. L’étudiant non binaire est allé témoigner, à nouveau, cette fois-ci en commission parlementaire. Le ministre de la Justice a reculé. Il a retiré le préalable chirurgical à la modification de la mention de sexe.

Mener toutes ces luttes à un âge où la plupart des étudiants se consacrent à leurs études et profitent de la vie universitaire l’a fait mûrir vite. Durant l’entrevue, nous avons souvent eu l’impression d’avoir une personne beaucoup plus vieille en face de nous.

Séré vante la jeune génération – celle qui étudie actuellement au secondaire et au cégep – à qui on n’a pas à expliquer des termes comme personne non binaire, homme trans ou femme trans (voir lexique ci-dessous).

La discrimination fondée sur l’identité et l’expression de genre est interdite depuis juin 2016 en vertu de la Charte québécoise des droits et libertés. Le pronom iel a été ajouté dans le dictionnaire Le Robert. « Les mentalités évoluent vite », se réjouit Séré.

L’étudiant retourne à l’université à l’automne pour commencer un second baccalauréat, cette fois-ci en psychologie. Aider les autres, iel a ça dans la peau.

« Je ne me suis pas levé un matin en me disant : je vais devenir un militant trans, raconte Séré. J’ai juste dû me battre pour mes droits. »

Avec la nouvelle politique, Séré n’aura plus à perdre un temps précieux à aller se doucher chez son père après un entraînement au gymnase. Et plus important encore, l’étudiant est heureux et bien dans sa peau.

Lexique

  • Personne trans : personne dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe qui lui a été assigné à la naissance.
  • Personne non binaire : terme parapluie pour désigner les personnes dont l’identité de genre n’est pas exclusivement féminine ou masculine.
  • Personne cisgenre : personne dont le genre correspond à celui qui lui a été assigné à la naissance.
  • Homme trans : homme qui a été assigné fille à la naissance, le plus souvent parce qu’il est né avec une vulve.
  • Femme trans : femme qui a été assignée garçon à la naissance, le plus souvent parce qu’elle est née avec un pénis.

Source : TransEstrie et Conseil québécois LGBT