Malgré les efforts de citoyens, la circulation sur les cours d’eau reste difficile à limiter

Les ventes de motomarines et de bateaux à moteur ont monté en flèche pendant la pandémie, tout comme le ras-le-bol de nombreux riverains et amateurs de tranquillité. Est-il possible d’obtenir qu’un cours d’eau devienne non navigable ? Qu’il y ait des limites de vitesse ou de circulation ? Les victoires sont aussi épiques que rares.

« C’est un scandale que la responsabilité des lacs soit entre les seules mains de bénévoles », lance Michèle Gérin, directrice générale de Bleu Massawippi, un organisme voué à la protection du lac de l’Estrie du même nom.

Mme Gérin dénonce haut et fort l’archaïsme de la loi qui régit la navigation de plaisance.

« Il faut la changer », plaide-t-elle.

Les lacs et les rivières sont actuellement soumis à la loi sur la marine marchande.

La navigation de plaisance est donc de compétence fédérale et même une motomarine, au sens de la loi, est considérée comme un « bâtiment » ayant droit à une libre circulation.

Les batailles pour limiter la vitesse ou interdire les bateaux motorisés sur les lacs et les rivières « sont si longues, si complexes », que MJean-François Girard prévient les municipalités ou les associations de lac que ça coûtera cher pour des résultats très incertains.

Conservation Memphrémagog se bat depuis 30 ans et « n’a aucune avancée ». Que des échecs devant les tribunaux, peste Robert Benoit, son président jusqu’à la fin de juin.

« Il faut être tenace »

« Il faut vraiment être tenace », confirme Serge Boisvert, membre de l’Association des lacs Sainte-Marie et Saint-Joseph, à Nominingue.

Il a fallu 10 ans de bataille pour que cette association des Laurentides obtienne que le lac Sainte-Marie, qui fait 0,66 km⁠2, ne soit plus navigable.

« Il y avait là-dessus des bateaux avec un moteur de 435 forces qui tournaient en rond », raconte-t-il.

Entre les deux camps, il y avait beaucoup d’animosité, se souvient-il. « Quand on sortait faire du kayak, tout de suite, des gens en motomarine venaient près de nous. »

« Des gens me disent aujourd’hui : “Maudit qu’on est tranquilles, maintenant.” […]Mais d’autres ne me parlent toujours pas », raconte M. Boisvert.

C’est sous le gouvernement Harper, en 2008, que le processus pour obtenir certaines restrictions sur les plans d’eau a été complexifié, explique MGirard. Conséquence : les amateurs de bateaux ont le champ libre.

Les chiffres reflètent le changement de cap. Transports Canada nous a indiqué que dans tout le pays, il existe 2000 restrictions à la navigation.

Depuis 2009 ? Seules 24 restrictions ont été accordées dans tout le pays, dont 8 au Québec (19 autres sont en « cours de processus », précise Transports Canada).

Michèle Gérin craint que ça ne soit qu’une question de temps « avant que le trafic au lac Massawippi devienne hors de contrôle » comme au lac Memphrémagog.

« Si j’avais à refaire ma vie, ça ne serait pas ici que je m’installerais », note pour sa part Robert Benoit, de Conservation Memphrémagog.

En matière de désagrément, Daniel Latouche, résidant de Magog, compare le trafic des motomarines et des bateaux à moteur « à la période des mouches noires » dans certaines régions. « Je regarde la météo et l’idéal, c’est que les prévisions ne soient pas très bonnes pour les fins de semaine. »

Car s’il fait beau, la baignade avec les enfants se fera « avec une odeur d’essence », aux côtés de motomarines qui passent tout près et de la musique à plein régime, dit-il.

Des restrictions et des recours

Sur le Richelieu, quatre municipalités luttent ces temps-ci pour tenter d’obtenir une limite de vitesse. À Rosemère, « dans une optique environnementale régionale et afin de prévenir l’érosion et de sauvegarder la biodiversité fragile du littoral », la municipalité a décidé cette année de restreindre l’accès à la rampe de mise à l’eau du parc Charbonneau aux seules embarcations « à propulsion humaine ou à moteur électrique ». À Lachine, la fermeture de la marina a rendu furieux les propriétaires de bateau.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La fermeture de la marina de Lachine a causé beaucoup d’émoi en 2020.

Et les VUS, eux ?

Josée Côté, directrice générale de Nautisme Québec, trouve ces interdictions d’accès inacceptables, reconnaît qu’il y a « des problèmes de cohabitation dans certains lieux » liés à son avis à l’afflux de nouveaux adeptes.

Mais d’interdire ou de restreindre la mise à l’eau n’est pas la solution et ne réduit pas du tout la pollution, selon elle.

« Les plaisanciers font alors plus de distance en voiture avec un VUS et une remorque pour aller pratiquer leur loisir ailleurs. »

« Et quand est-ce qu’on s’en prend aux gens qui utilisent leur VUS chaque semaine pour aller au chalet ? », demande Mme Côté.

Michèle Gérin, du lac Massawippi, est la première à vouloir que l’accès aux lacs soit illimité et gratuit, « mais pour une utilisation responsable et harmonieuse ».

Mais faute de patrouille soutenue sur les lacs, on est loin du compte.

Les municipalités impuissantes

Luc Simard, porte-parole de la Fédération québécoise des municipalités dans ce dossier, note que les municipalités n’ont pas les ressources nécessaires pour assurer une surveillance, notamment des planches sur sillage (wakeboards) qui sont particulièrement nocives pour l’environnement, dit-il.

Ce qu’il faudrait, à son avis, c’est que Québec, plutôt qu’Ottawa, ait compétence et puisse agir là où il le faut, avec le concert de la Sûreté du Québec. « Tout ce qui a trait au fédéral, c’est trop compliqué, ils sont trop loin du terrain. »

Tous contactés au cours des dernières semaines, les ministres fédéraux Omar Alghabra (Transports), Steven Guilbeault (Environnement) et la ministre québécoise des Municipalités, Andrée Laforest, ont refusé nos demandes d’entrevue.

Au cabinet de la ministre Andrée Laforest, Bénédicte Trottier Lavoie, attachée de presse, a néanmoins indiqué que si les municipalités « ont besoin d’un soutien particulier dans leurs démarches avec le fédéral », le Ministère les invite à lui « en faire part », bien que cet enjeu soit de compétence fédérale.