(Kahnawake) « Les communautés vont finalement pouvoir se donner les moyens de leurs ambitions », s’est réjoui le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), Ghislain Picard. L’entente signée jeudi par 22 communautés et le gouvernement fédéral conclut des décennies d’attente pour un financement jugé équitable en éducation (au primaire et au secondaire).

« C’est une mise à niveau nécessaire pour qu’on puisse offrir des services qui sont non seulement comparables à ce qui se fait ailleurs, mais qui sont supérieurs dans la mesure où le besoin est clair », a expliqué le leader autochtone.

La cérémonie de signature s’est déroulée à la Kahnawake Survival School, une école secondaire dont les cours incluent la langue, les croyances et les traditions de cette communauté. Elle a été fondée en 1978 en réaction à l’application de la Charte de la langue française, mieux connue sous l’appellation loi 101, aux écoles du Québec.

« Je voyais la célébration, la fierté, la jeune qui a parlé juste en mohawk, c’est venu me faire vibrer parce que moi, je n’ai pas eu ça, on me l’a arrachée, ma langue, alors qu’elle fréquente la Survival School et on voit le résultat », a confié la sénatrice d’origine innue Michèle Audette, qui était présente à la cérémonie.

La fierté se lisait d’ailleurs sur le visage des nombreuses personnes présentes. Certaines avaient parcouru des centaines de kilomètres pour y assister. Cette entente régionale a été négociée par le Conseil en éducation des Premières Nations (CEPN), qui représente 22 communautés disséminées un peu partout sur le territoire québécois, de la Gaspésie à l’Abitibi-Témiscamingue. Ces communautés rassemblent quelque 5800 élèves.

Financement fédéral

« Depuis une dizaine d’années, on a évalué de la manière la plus réaliste possible les besoins en éducation », a expliqué le directeur général du CEPN, Denis Gros-Louis.

On a évalué ce que ça prenait pour être capable d’avoir des systèmes éducatifs qui représentent tant les besoins des communautés urbaines, rurales, éloignées et on a comparé bien sûr avec les budgets qui sont disponibles au provincial.

Denis Gros-Louis, directeur général du CEPN

Le financement de l’éducation dans les communautés autochtones relève exclusivement du gouvernement fédéral. Cette entente régionale est assortie d’une enveloppe de 1,1 milliard, dont 310,6 millions d’argent frais, répartie sur cinq ans. Les sommes seront distribuées selon une formule de financement asymétrique qui tient compte de plusieurs facteurs, dont l’éloignement de certaines communautés.

Cet argent doit leur permettre de développer un programme scolaire adapté à leurs cultures, recruter ou maintenir en poste 600 enseignants et spécialistes, mieux financer le transport scolaire, améliorer la réussite scolaire et augmenter le nombre de diplômés du secondaire.

« C’est un geste concret de la réconciliation [avec les peuples autochtones] », a affirmé la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu. « C’est à eux de décider comment éduquer leurs enfants et de gérer leurs affaires. »

« La colonisation a eu un effet négatif sur la réussite scolaire des jeunes Autochtones, a-t-elle ajouté. Mais ce qu’on commence à voir dans les communautés qui ont repris le contrôle de leur propre système d’éducation, c’est que le taux de diplomation augmente. »

La signature de cette entente a été saluée par le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique. La députée bloquiste Marilène Gill a toutefois demandé au gouvernement fédéral d’accélérer les discussions avec les autres communautés qui n’ont pas encore conclu d’accord. Le Parti conservateur du Canada n’a pas réagi.

Loi 96 : l’APNQL pourrait recourir aux tribunaux

L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador n’exclut pas d’agir à titre d’intervenante dans un recours contre la loi 96 du gouvernement de François Legault. La réforme de la Charte de la langue française, perçue comme un frein à la réussite éducative des enfants autochtones, a été dénoncée lors de l’annonce jeudi du gouvernement fédéral de l’attribution de 1 milliard de dollars pour l’éducation.

« C’est une option que l’on envisage », a indiqué le chef Ghislain Picard en entrevue. L’APNQL est composée des chefs de 43 communautés représentant 10 nations autochtones. Leurs réactions à la loi 96 varient en fonction de leur réalité.

« Les “conventionnés”, par exemple, ont une relation particulière avec le gouvernement du Québec », a-t-il expliqué en faisant référence aux Cris de la Baie-James et aux Inuits. « Mais la société Makivik du côté du Nunavik a été très claire qu’elle est contre [la loi] 96, a-t-il ajouté. Ensuite, il y a les communautés principalement anglophones qui se sentent lésées par la loi. Donc, on doit naviguer à travers tout ça. »

La réforme de la Charte de la langue française adoptée en mai a fait du français la seule langue officielle et commune du Québec. Elle ne s’applique pas dans les communautés autochtones, mais touche quand même plus de la moitié des élèves des Premières Nations qui, faute d’école dans leur communauté, doivent fréquenter l’école en français même s’ils ont l’anglais ou une langue autochtone comme langue maternelle. Plusieurs d’entre eux ont ainsi plus de difficulté à obtenir leur diplôme d’études secondaires, fait valoir l’APNQL.