Le temps d’une nuit, La Presse s’est mise dans la peau des voyageurs qui, à moins de 48 heures ouvrables de leur départ du pays, décident d’employer les grands moyens pour faire renouveler leur passeport

On peut observer bon nombre de mines fatiguées et quelques sourires résignés aux abords du bureau des passeports de Saint-Laurent, depuis plusieurs semaines. Ici, des centaines de personnes attendent souvent plus de 40 heures sur leur chaise de camping, sous une couverture ou un imperméable, café ou parapluie à la main, dans l’espoir d’obtenir leur passeport.

Près de 100 personnes patientaient à proximité du bureau de Service Canada à l’arrivée de La Presse, jeudi soir vers 21 h. Déjà, on pouvait percevoir un singulier mélange d’irritation et de camaraderie improvisée.

Précisons que ce bureau n’est ouvert que de 8 h 30 à 16 h, les jours de semaine. Tous étaient donc prêts à y passer la nuit, adoptant différentes stratégies. La plupart des voyageurs ont somnolé quelques heures assis sur leur chaise de camping, tandis que certains avaient organisé un relais avec leurs proches pour diviser le temps d’attente. D’autres avaient apporté un chapiteau pour se protéger des intempéries, ou sont allés dormir dans leur voiture pendant que leur conjoint gardait leur place dans la file.

Une mère de trois enfants, assise près de notre journaliste, a même quitté sa chaise entre minuit et 6 h du matin, payant un jeune homme pour qu’il patiente à sa place.

Sur place, la scène est presque surréaliste : une foule de personnes dont le stress et la fatigue sont bien visibles, installées dans un campement de fortune. Le tout sans toilettes ni fontaine pour boire de l’eau. Non seulement les gens attendent, mais ils le font à leurs frais : nourriture sur place et journées de travail manquées, parfois sans solde. « Le passeport, ce n’est pas un privilège, c’est un droit », déplorait Axel Lellouche, l’un d’entre eux.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Axel Lellouche patiente depuis mercredi pour le passeport de son fils.

L’écrasante majorité des personnes sur place avaient entrepris des démarches dans les derniers mois, pour se faire répondre qu’elles devaient se présenter dans un bureau de Service Canada au maximum 48 heures avant leur départ.

« Je trouve ça ridicule. » « C’est inconcevable que l’organisation soit aussi médiocre. » « Une vraie république de bananes. » « Ils nous traitent comme des animaux. » Ce genre de répliques a fusé durant toute la nuit.

C’est simple : tous reprochent au gouvernement fédéral son manque de préparation et son incapacité à mettre en place une solution. L’incompréhension est générale quant à la manière dont les demandes sont traitées, alors que le problème était « prévisible ».

À quel moment sont arrivés les gens qui occupaient l’avant de la file, durant la nuit de jeudi à vendredi ? Mercredi, à différentes heures de l’après-midi ou de la soirée, répondent-ils. Ces personnes ont finalement reçu leur passeport vendredi. En tout, les démarches en personne peuvent donc s’étaler sur trois jours, alors que Service Canada demande de se présenter au maximum 48 heures avant son voyage.

Vers minuit, le sommeil a gagné le petit écosystème du bureau des passeports. Au petit matin, la plupart des voyageurs dormaient, certains pianotaient sur leur téléphone, d’autres discutaient à voix basse. C’est un peu avant le lever du soleil, vers 5 h, que la file a pratiquement doublé de longueur. Elle faisait quelques centaines de mètres, s’étalant devant une dizaine de commerces voisins.

Réveil chaotique

Vers 7 h, vendredi matin, rares étaient ceux qui dormaient encore. Le réveil a donné lieu à un mélange de confusion, d’angoisse et de frustration.

À l’extérieur, à peine quatre ou cinq employés. Pour poser une question, il faut patienter dans une file différente, sans qu’il y ait aucune indication. Cinquante personnes dont le nom avait été noté sur une liste de priorité vers 14 h jeudi, à l’approche des orages qui ont secoué Montréal, sont aussi revenues à l’avant de la file. Au total, plus de 250 voyageurs étaient présents vendredi matin.

« Nous sommes débordés », est venue annoncer une employée à l’entrée du bureau, vers 10 h. « C’était 48 heures, mais on ne pourra pas servir tout le monde. Donc maintenant, c’est seulement 24 heures [avant le départ du Canada] aujourd’hui. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Virginie Cléroux

Virginie Cléroux, qui était arrivée vers 20 h jeudi soir, devait partir en Floride lundi. Elle a commencé ses démarches au mois d’avril, mais a été obligée par Service Canada à venir renouveler le passeport de ses trois enfants quelques jours avant son départ. Malgré sa patience, elle n’a pas pu passer.

« Je ne sais pas comment on peut obtenir un passeport en ce moment. » Comme plusieurs dizaines de personnes qui se trouvaient derrière elle, elle a dû reporter son voyage.

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  • 20 %
    Proportion des demandeurs attendus qui ont entrepris les démarches nécessaires au renouvellement de leurs documents officiels pendant la pandémie
    Source : Emploi et Développement social Canada