Des résidants des Îles-de-la-Madeleine s’inquiètent que la construction immobilière transforme l’archipel en « Club Med ». La mise en vente d’une maison de luxe et le dévoilement d’un projet d’architecture ont provoqué un tollé sur les réseaux sociaux cette semaine.

La publication sur Facebook de l’annonce d’une maison à vendre à Havre-aux-Maisons a mis les Madelinots dans tous leurs états. Prix affiché : 795 000 $, somme démesurément élevée pour le marché des Îles, où la valeur foncière moyenne des résidences unifamiliales est de 154 885 $, selon l’Institut de la statistique du Québec. La publication a été relayée une centaine de fois par des internautes « découragés ».

CAPTURE D’ÉCRAN FOURNIE PAR KEVEN BARRETTE

L’annonce d’une maison à vendre à 795 000 $ aux Îles-de-la-Madeleine a suscité beaucoup de réactions sur Facebook.

Le lendemain, la firme d’architecture montréalaise L’Abri publiait, elle aussi sur Facebook, les plans de sa Maison sur la dune, perchée dans le havre Aubert. L’agence a rapidement retiré sa publication après des commentaires qu’elle décrit elle-même comme « hostiles ». Plusieurs remarques faisaient état de craintes quant à la détérioration d’un milieu déjà fragile.

Image TIRÉE DU SITE DE LA FIRME L’ABRI

La Maison sur la dune de la firme d’architecture L’Abri

« Ce que je vois, c’est que ça devient un Club Med pour les touristes. Il va y avoir de moins en moins d’habitants ici », déplore Keven Barrette, travailleur saisonnier aux Îles depuis 2010 et résidant à longueur d’année depuis deux ans. Devant la hausse accélérée de la valeur des propriétés, il envisage de quitter la région pour s’établir ailleurs.

La spéculation immobilière grandissante limite en effet le pouvoir d’achat des Madelinots, dont le revenu d’emploi moyen s’élève à 35 585 $, selon l’Institut de la statistique du Québec. La pression est bien réelle.

En mai dernier, 37 propriétés d’une valeur de 250 000 $ à 500 000 $ ont été vendues en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, soit pratiquement deux fois plus que les 19 de mai 2021, confirment des données publiées la semaine dernière par le gouvernement du Québec. Il s’agit, toutes proportions gardées, du bond le plus important dans la province pendant cette période. Toujours en mai, huit propriétés se sont vendues à plus de 500 000 $, du jamais-vu depuis 2014.

Selon les données du site Centris, le prix médian des maisons unifamiliales a augmenté de 24 % aux Îles-de-la-Madeleine au cours des quatre derniers trimestres.

Une tendance légèrement supérieure à celle observée partout au Québec, et surtout plus marquée qu’à Montréal, qui a enregistré une augmentation de 14 % pendant la même période.

Il est difficile pour des jeunes de s’installer et de continuer leur vie sur l’archipel quand les prix des propriétés sont rarement sous la barre des 300 000 $, souligne Joël Lapierre, Madelinot qui craint de voir son patrimoine s’envoler.

Il voit s’exercer un « changement de mentalité », alors que certains touristes, par exemple, clôturent leurs terrains. Ainsi, « on n’a plus de droit de passage sur des plages que nous fréquentons depuis que nous sommes enfants », déplore Tanya Déraspe, originaire des Îles-de-la-Madeleine.

On aime beaucoup les gens d’ailleurs. On est accueillants, mais il y a un enjeu pour notre descendance.

Joël Lapierre, Madelinot

« On veut revenir chez nous, mais ce n’est plus accessible pour nous », enchaîne Tanya Déraspe, qui s’estime chanceuse d’hériter de la maison familiale de son oncle.

Le marché locatif n’est pas plus accueillant. Bien que la municipalité ait interdit en 2021 l’achat d’une propriété pour en faire une résidence de tourisme, la crise du logement est à son comble, comme en témoigne le taux d’inoccupation des logements de 0,1 %, calculé par la Société canadienne d’hypothèques et de logement.

Hors de contrôle ?

Le maire des Îles-de-la-Madeleine, Jonathan Lapierre, reconnaît l’émotion qui habite sa communauté, mais lance un appel au calme. « On peut bien accuser quelqu’un qui achète [une maison] trop cher. Il y a quelqu’un qui l’a vendue trop cher aussi », dit-il.

Gabriel Boudreau Savard et René Lemay, courtiers immobiliers chargés de vendre la prestigieuse maison de 795 000 $, parlent quant à eux d’une situation « spectaculaire » et « exceptionnelle ». Selon eux, il s’agit d’un phénomène international loin d’être unique aux Îles-de-la-Madeleine.

Comme il n’y a pas d’arrière-pays, la capacité de développement est plutôt limitée, nuance Joël Arseneau, député péquiste des Îles-de-la-Madeleine.

La haute demande de pied-à-terre sur l’archipel préoccupe les Madelinots et génère un sentiment de « dépossession », ajoute M. Arseneau.

La pandémie a contribué à faire gonfler la valeur des propriétés, explique encore Jonathan Lapierre, qui rappelle que les régions sont devenues des destinations séduisantes pour les gens de l’extérieur.

En 2021, l’archipel a enregistré 57 600 visiteurs, près du double de l’année précédente. On s’est même approché du record de 63 250 visiteurs atteint en 2019.

« Les Îles sont devenues attrayantes pour les visiteurs, et elles sont devenues tout aussi attrayantes pour les villégiateurs », confirme Joël Arseneau.