La Cour d’appel du Québec vient de faire une sérieuse mise en garde aux promoteurs qui achètent des terrains dans l’espoir de faire changer un règlement de zonage. Si leur « pari » ne se concrétise pas, ils ne peuvent plaider l’expropriation déguisée et réclamer une indemnité.

Un résidant de Contrecœur a appris à ses dépens qu’il courait un risque en achetant un terrain tout en espérant faire modifier le règlement de zonage pour y construire des maisons. À deux reprises, les tribunaux ont refusé d’entendre sa cause, jugeant que l’homme avait « perdu son pari » et qu’il n’avait pas droit à une indemnité pour expropriation déguisée, conclut la Cour d’appel du Québec dans une décision rendue le 2 juin dernier.

L’affaire commence en juin 2014 quand Charles Robitaille achète un terrain à Sorel dans le but d’y réaliser un projet résidentiel de 16 unités d’habitation. Le terrain avait été mis en vente par la Ville pour non-paiement des taxes municipales par l’ancien propriétaire.

Le montant de la transaction est de 14 001 $ pour le terrain de 3800 m⁠2, dont l’usage « parc » est spécifiquement prévu au règlement de zonage.

Celui-ci est situé en plein quartier résidentiel, rue Monseigneur-Desranleau.

En septembre 2015, Charles Robitaille dépose une première demande de changement de zonage pour réaliser son projet. Celle-ci est refusée par le conseil municipal un mois plus tard. La Ville de Sorel indique alors son intention de faire une proposition pour racheter le terrain.

En décembre de la même année, M. Robitaille soumet tout de même une deuxième demande de changement de zonage, alors qu’il n’a pas encore reçu d’offre formelle de la municipalité. Celle-ci est à nouveau refusée par la Ville en février 2016.

Une offre d’achat refusée

Une offre d’achat lui est finalement présentée en octobre 2016 : 14 001 $ en plus des frais déboursés depuis l’acquisition du terrain en 2014. Il refuse et tente plutôt sa chance en présentant une troisième demande de changement de zonage quatre ans plus tard, en juin 2020. La demande est à nouveau refusée par le conseil municipal.

Charles Robitaille met alors en demeure la Ville de Sorel de modifier le règlement de zonage ou d’entreprendre les démarches pour l’exproprier.

Comme on ne donne pas suite à sa mise en demeure, il dépose un recours en Cour supérieure en 2021 pour expropriation déguisée dans lequel il réclame une indemnité d’au moins 290 347 $ en plus d’une somme de 50 000 $ « à titre de dommages exemplaires et punitifs pour atteinte illicite et intentionnelle au droit de propriété ».

Sorel réplique en déposant « une demande en irrecevabilité » plaidant que son règlement de zonage était déjà en vigueur au moment où Charles Robitaille a acheté le terrain. Selon la municipalité, dans ces conditions, l’acheteur ne peut prétendre à une expropriation déguisée et sa demande doit être rejetée par le tribunal.

Un achat en connaissance de cause

Le juge Sébastien Vaillancourt, de la Cour supérieure, donne raison une première fois à Sorel dans une décision rendue en août 2021. Il conclut que « le demandeur a acquis le terrain avec l’espoir que le règlement de zonage soit éventuellement modifié, espoir né du seul fait que la défenderesse [la Ville de Sorel] n’avait jusqu’alors entrepris aucune démarche pour y aménager un parc et qu’elle avait même plutôt décidé de vendre le terrain ».

« Cet espoir était toutefois infondé dès le début, de sorte que le demandeur a perdu son pari », affirme le juge Vaillancourt.

Acheter avec l’espoir – infondé – qu’un changement de règlement de zonage lui permette un jour de construire ne permet pas au demandeur, une fois cet espoir anéanti, de plaider l’expropriation déguisée et d’obtenir une indemnité en conséquence.

Sébastien Vaillancourt, juge de la Cour supérieure

Insatisfait du jugement, Charles Robitaille a porté l’affaire en appel. Dans sa décision de trois pages, la Cour d’appel ajoute que « l’appelant a acheté le terrain en toute connaissance de cause et il devait savoir qu’il n’avait aucune garantie de pouvoir concrétiser son projet ». « Il a voulu tenter sa chance et il a perdu. Le juge d’instance a donc eu raison d’écrire qu’il a perdu son pari », précise le tribunal.

Rassurer les municipalités

« Nous allons déposer une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême, je ne peux donc faire aucun autre commentaire pour l’instant », a indiqué l’avocat de M. Robitaille, Me Sébastien Poirier.

« C’est une très belle nouvelle pour les municipalités, ont affirmé de leur côté Rino Soucy et Simon Frenette, les deux avocats qui ont représenté la Ville de Sorel. La Cour d’appel l’a bien précisé, c’était un pari et le demandeur a perdu son pari. »

Selon Anne-Sophie Doré, avocate au Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), « il est très peu probable que ça se rende en Cour suprême ». « Ce n’est pas vraiment un dossier d’intérêt national. Mais la décision de la Cour d’appel va cependant rassurer les municipalités alors qu’on parle beaucoup d’expropriation déguisée depuis quelque temps. »