(Québec) Les personnes qui ne se considèrent ni hommes, ni femmes, pourront désormais, en toute légalité, cocher la case « X » sur les documents officiels fournis par l’État québécois, et ce, sans devoir passer d’abord par le bistouri. Celles qui s’affichent non binaires au moment de donner naissance à un enfant pourront, si elles le désirent, s’identifier en tant que « parent », plutôt que père ou mère de leur bébé.

C’est ce que stipule la loi 2, adoptée mardi à l’Assemblée nationale. Le projet de loi controversé, piloté par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, avait été déposé en octobre 2021, en vue de procéder à une réforme en profondeur du droit de la famille, qui n’avait pas été mis à niveau depuis une quarantaine d’années, alors que les mœurs ont bien changé depuis.

La nouvelle loi, complexe, imposante, aborde une foule de sujets sociaux, souvent délicats, et elle devait ratisser encore plus large. Faisant le constat qu’il manquerait de temps pour mener à terme le processus avant l’ajournement des travaux parlementaires le 10 juin, le ministre avait décidé la semaine dernière de retirer deux volets importants de sa réforme : les règles de filiation et toute la question de l’encadrement de la gestation pour autrui, soit les contrats conclus entre des parents d’intention et des mères porteuses.

S’il n’avait pas agi ainsi, il risquait fort de voir son projet de loi, une brique de plus d’une centaine de pages contenant quelque 360 articles, mourir au feuilleton.

Le ministre n’avait pas le choix de légiférer maintenant, au moins sur la question de l’identité de genre et de la reconnaissance des personnes non binaires. Il devait se conformer au jugement Moore et avait en principe jusqu’au 31 décembre 2021 pour le faire, mais avait dû demander une extension de l’échéance jusqu’au 17 juin.

Au départ, le ministre Jolin-Barrette voulait imposer une chirurgie des organes génitaux à quiconque souhaitait voir modifiée la mention de sexe sur ses papiers officiels. Devant le tollé qui a suivi dans la communauté LGBTQ, qui assimilait cette position à des « coming-out » forcés, le ministre avait reculé et retiré les articles controversés.

Le jugement de la Cour supérieure, prononcé par le juge Gregory Moore le 28 janvier 2021, rendait caducs plusieurs articles du Code civil jugés discriminatoires. Selon lui, le Québec devait faire en sorte d’éliminer toute forme de discrimination portant sur la désignation du genre dans les documents émis par le Directeur de l’état civil. On ne devait plus forcer quelqu’un à s’identifier comme homme ou femme. Il fallait aussi ajouter la possibilité d’inscrire la mention de parent, au lieu de père ou mère, au moment de rédiger l’acte de naissance d’un enfant.

À toutes les étapes du processus, les partis d’opposition ont reproché au ministre Jolin-Barrette d’avoir trop tardé à déposer son projet de loi et à prévoir suffisamment de temps pour en faire une étude article par article sérieuse. Ils jugeaient cette situation d’autant plus déplorable que le ministre de la Justice est aussi le leader parlementaire du gouvernement, donc celui qui fixe les priorités législatives et gère le calendrier des travaux. Ils ont eu moins de quatre semaines pour examiner la pièce législative.

La façon de faire du ministre Jolin-Barrette dans ce dossier a été « lamentable », selon la députée libérale Jennifer Maccarone. Dans ses dernières remarques avant l’adoption du projet de loi, elle a insisté pour dire que bien des gens de la communauté LGBTQ seront déçus de constater que plusieurs volets de la réforme ont dû être mis de côté en raison de la gestion des travaux parlementaires.

« Ils ont attendu trois ans et demi pour entamer le travail », a renchéri la députée péquiste Véronique Hivon, elle aussi déçue de la tournure des évènements.

Avec la réforme linguistique chapeautée récemment par la nouvelle loi 96, la réforme du droit de la famille constituait un des principaux projets de loi orchestrés cette année par M. Jolin-Barrette et, en fait, par le gouvernement tout entier.

Au moment de l’adoption, mardi en fin de journée, le ministre était absent en Chambre. Il devait gérer l’étude d’un autre de ses projets de loi, le 34, sur un meilleur accès à la justice, dans une autre salle.

Le prochain gouvernement, qui sera élu le 3 octobre, devra donc reprendre tout le processus relatif aux questions mises de côté, en particulier le dossier délicat des mères porteuses. Actuellement, les ententes conclues entre elles et les parents d’intention n’ont aucune valeur légale. Des députées de l’opposition se sont montrées aussi inquiètes de l’enjeu de la marchandisation du corps des femmes.

La réforme prévue du droit de la famille devait aussi inclure une révision des règles de conjugalité, notamment la question des droits et obligations des conjoints de fait, en comparaison des couples mariés.

Cette vaste réforme du droit familial, attendue depuis des années, s’appuyait sur un rapport étoffé sur la question produit par le professeur de droit de l’Université de Montréal Alain Roy, en 2015, un rapport qui avait été tabletté à l’époque par le gouvernement libéral. Le rapport était essentiellement centré sur l’enfant, son intérêt, et son droit absolu de connaître ses origines, quelles que soient les circonstances de sa conception.

Par exemple, qu’il s’agisse d’enfants adoptés ou conçus par procréation assistée, leur droit de connaître leur histoire sera inscrit dans la Charte des droits et libertés de la personne.

Lorsqu’une décision de cour risque d’avoir un impact sur un enfant, la loi 2 adoptée mardi stipule que s’il y a un climat de violence familiale ou conjugale, cela doit être pris en compte.

Pour faire en sorte que tous les enfants soient égaux devant la loi, dans le cas de conjoints de fait ayant des enfants, la loi 2 prévoit qu’il y a automatiquement « présomption de paternité », comme pour les couples mariés. Auparavant, si un homme décédait durant la grossesse de sa conjointe, il ne pouvait être reconnu parent que sur jugement du tribunal.