Que font les jeunes, à la nuit tombée, dans les parcs de Montréal ? Selon la formule consacrée, ils « chillent », le plus souvent de façon anodine, mais parfois en y allant un peu trop fort et en dérangeant. Y a-t-il un « droit à la nuit » ? Fort d’un avis d’une équipe dirigée par les chercheuses Valérie Amiraux et Nathalie Boucher, le Conseil jeunesse de Montréal le plaide et réclame des parcs mieux aménagés pour accommoder la jeunesse en quête de lieux de socialisation.

« Chiller » tout en buvant et en fumant, parfois.

« Dans l’ensemble, les jeunes chillent jusqu’aux heures autorisées : vers minuit dans les parcs et beaucoup plus tard dans les lieux privés. En somme, les jeunes sont en quête d’espaces pour se rassembler, discuter, boire, manger, fumer, jouer ou encore écouter de la musique », écrivent les auteures de Montréal nocturne : perspective jeunesse sur l’utilisation des espaces publics.

De manière générale, la consommation d’alcool « semble être acceptée ou du moins tolérée par l’ensemble des usagers des parcs. Les jeunes boivent surtout de la bière, parfois du vin ou d’autres boissons alcoolisées, sauf au parc Henri-Bourassa et au parc Westmount, où les jeunes consomment surtout des alcools forts ».

La consommation de cigarettes et de cannabis « est très variable d’un parc à l’autre. Elle a surtout été observée aux parcs Jarry, Lalancette, Martin-Luther-King et Henri-Bourassa », peut-on lire.

« Les démonstrations amoureuses exubérantes, impliquant parfois des activités sexuelles, sont courantes surtout la nuit tombée. »

Souvent dérangeant, mais transgressif ?

Les jeunes cherchent « avant tout à profiter d’un moment de liberté et de trêve », écrivent les chercheuses qui, pour leur avis, se sont basées à la fois sur des observations et des entretiens avec des jeunes et des intervenants communautaires.

Les activités à caractère transgressif sont rarement observables.

Extrait de l’avis du Conseil jeunesse de Montréal

Généralement, les jeunes qui « chillent » – souvent en utilisant à fond leur cellulaire pour prendre des photos ou échanger des contenus – « restent au parc de longues heures. Ils quittent les lieux en majorité avant minuit, parfois en raison des rondes des services de police (surtout observées au parc Jarry) ».

« Les jeunes observés au parc tard dans la nuit sont soit très calmes – ils discutent tranquillement en terminant leurs consommations –, soit bruyants et parfois intoxiqués, discutant vivement, jouant, continuant à consommer et écoutant de la musique dans des haut-parleurs. »

Des appartements loués préférés aux bars

Tout au long de l’avis, des jeunes disent aller dans des bars en dernier ressort, notamment quand il fait trop froid, l’hiver. L’été, ils préfèrent nettement se regrouper dans les parcs.

Certains se cotisent et se tournent vers des plateformes de location de logements privés. Des jeunes « s’approprient également des lieux vacants, désignant des guetteurs qui lancent l’alerte en cas de besoin ».

Dans Côte-des-Neiges, selon les observations des auteures et les propos des intervenants, les jeunes « cherchent surtout à disposer d’un entre-soi loin de la surveillance des adultes. Le quartier de Côte-des-Neiges étant marqué par des appartenances ethnoculturelles très variées, certains jeunes se méfient également des forces de l’ordre et tentent ainsi de se protéger du profilage racial auquel ils et elles font face dans l’espace public ».

Des installations inappropriées

En raison de l’insalubrité des toilettes chimiques, les femmes choisissent d’uriner dans les buissons qui sont « parfois achalandés : des files d’attente peuvent même se créer, comme au parc Jarry », ou font l’aller-retour au domicile le plus proche.

Les hommes, eux, « se tournent vers les troncs d’arbre ou les ruelles environnantes ».

Les jeunes « tentent de disposer de leurs cannettes vides et de leurs déchets de manière appropriée, mais les poubelles souvent pleines ainsi que l’absence de bacs pour les matières recyclables et les contenants consignés ne le permettent pas toujours ». Les cannettes sont souvent laissées à proximité des poubelles pour que d’autres puissent « les récolter plus tard pour toucher la consigne ».

Le problème des transports publics

L’accessibilité et la flexibilité des transports publics demeurent un problème central. « À un certain point, tout est fermé et on n’a nulle part où aller, il faut errer le soir, attendre le premier métro à 5 h du matin », explique Didier, un jeune cité dans l’avis.

Il y a [une période de] deux heures [où] on doit se promener dans la rue avant que le métro ouvre. Généralement [ce sont] les moments où je me suis senti le moins en sécurité.

Didier, un jeune cité dans l’avis

Édith, 24 ans et résidante de Rosemont–La Petite-Patrie, dit essayer, dans les bus de nuit, d’être avec un ou une amie. « Parce que [quand tu es] seul-e dans un bus de nuit, tu te fais souvent aborder pour te faire cruiser. »

Manque de sécurité

Certaines enquêtes, indiquent les chercheurs, « soulignent une asymétrie dans le droit à la ville, les sorties nocturnes étant gouvernées par des rapports sociaux de domination basés sur le genre, l’âge et la classe sociale ».

Outre la question du transport, le sentiment d’insécurité est relevé à maintes reprises. « À 4 h du matin, avenue du Mont-Royal, il y a toujours du monde, mais dès que je tourne le coin puis qu’il n’y a personne, ça m’angoisse », explique Aurélie, 25 ans.

Camille, 23 ans, dit aussi se sentir « plus vulnérable » quand elle marche seule et elle s’assure d’être à vélo le plus souvent.

Favoriser le « droit à la nuit » ou le décourager ?

Le contexte nocturne « encourage une criminalisation (soit la perception qu’une activité criminelle est en train de se produire) des activités pourtant banales pratiquées par les jeunes ; la tolérance est plus faible qu’en journée », concluent les auteures.

Elles plaident pour « une administration qui reconnaît, accepte, soutient et promeut le droit des jeunes à la nuit » en répondant notamment à leurs besoins en matière de sécurité, de transport et d’accès à des lieux adaptés.

L’avis propose une série de recommandations, comme une offre de transport public en continu, du mobilier urbain adéquat ou des installations sportives qui seraient aussi accessibles de nuit, comme cela se fait dans certains parcs à Berlin.

Par courriel, l’administration de Valérie Plante salue cet avis « de grande qualité » et « accueille avec grand intérêt ses recommandations qui seront étudiées avec attention ».

Consultez l’avis du Conseil jeunesse de Montréal
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    Proportion des activités dans les parcs qui sont consacrées à « chiller »
    source : Montréal Nocturne : perspective jeunesse sur l’utilisation des espaces publics