Québec admet sa responsabilité pour les coupes dans l’érablière d’une famille atikamekw de Manawan en conflit ouvert avec une scierie de Saint-Michel-des-Saints depuis près de 100 jours.

La famille Dubé dénonce pour sa part un rapport « scandaleux » dans lequel le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) dispense la Scierie St-Michel, à l’origine des travaux, de toute charge ou compensation.

C’est ce qui ressort d’un rapport très attendu dans lequel Québec reconnaît que la source du conflit devenu emblématique dans la lutte des Atikamekw pour la conservation de leur territoire ancestral, le Nitaskinan, est le « résultat involontaire de manquements successifs de la part des intervenants impliqués ».

Le Ministère lui-même y admet sa faute et pointe également la Scierie St-Michel et, dans une moindre mesure, le Centre de ressources territorial de Manawan (CRF).

Une omission

Ces manquements ont pourtant eu lieu à la suite de nombreuses rencontres « d’harmonisation » – un mécanisme prévu à la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier qui oblige Québec à consulter les Premières Nations pour établir les zones de coupes sur leurs territoires – de 2016 à 2018, indique le rapport d’une vingtaine de pages obtenu par La Presse.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Vue aérienne d’une zone de coupes forestières entre Saint-Michel-des-Saints et le kilomètre 60 du chemin Manawan

C’est d’ailleurs durant l’une de ces rencontres que les Dubé ont demandé « le retrait de la planification de récolte de l’érablière ainsi que des chemins la traversant », une demande « claire », reconnaît le MFFP. Un échange complexe de cartes montrant les coupes forestières à réaliser dans le secteur a suivi.

Or, dans une dernière de ces versions, produite par la Scierie St-Michel et transmise au MFFP et au CRF, un chemin forestier passait dans l’érablière.

Le MFFP aurait […] dû s’assurer que ce réseau modifié n’allait pas à l’encontre des mesures d’harmonisation convenues pour le chantier, mais il a omis de le faire.

Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs dans son rapport

Mais « comme les travaux de construction du chemin réalisés par la Scierie St-Michel inc. dans le peuplement d’érables ont été préalablement autorisés par le Ministère […], aucune émission de pénalité ou d’infraction en lien avec un non-respect de la planification ne peut être envisagée […] », conclut Québec dans son rapport.

Un rapport « scandaleux »

Dans une lettre envoyée au ministre des Forêts, Pierre Dufour, et que La Presse a aussi obtenue, la famille Dubé qualifie le rapport de « parfaitement symptomatique de pratiques favorables au fait accompli ».

Tout en reconnaissant « noir sur blanc “l’omission” du MFFP et la faute de la Scierie [St-Michel], […] l’un et l’autre [sont dispensés] de toutes charges et compensations à l’égard de notre famille », y déplorent deux frères et une sœur de la famille Dubé, Henri, Jean-Jacques et Annette.

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Vue aérienne de la Scierie St-Michel, à Saint-Michel-des-Saints

« D’une manière ou d’une autre, notre présence sur les territoires ancestraux et nos droits sont vus dans le cadre des activités forestières comme une formalité à éclipser. Ce rapport en est une nouvelle évidence », poursuivent-ils.

Selon eux, le MFFP aurait dû reconnaître « ostensiblement et sans détour » son « erreur pleine et entière ». Ils regrettent aussi d’être laissés « avec un dommage qui n’est aucunement évoqué ».

D’un point de vue occidental, la perte de quelques arbres sur une longueur de 500 mètres, une largeur de 20 mètres est une anomalie qui gâche un peu le paysage. Du point de vue d’une famille atikamekw Nehirowisiw, c’est la perte d’un héritage culturel et qui n’a rien à voir avec un simple patrimoine.

Extrait d’une lettre adressée par la famille Dubé de Manawan au ministre Pierre Dufour

Le Conseil des Atikamekw de Manawan a récemment décidé de prolonger son moratoire sur les coupes forestières sur le territoire ancestral revendiqué par sa communauté, le Nitaskinan, un message qui signifie la prolongation du blocus au kilomètre 60, selon une source proche du dossier.

Craintes d’affrontements

De son côté, le PDG de la Scierie St-Michel, Jean-François Champoux, se réjouit des conclusions du rapport du MFFP, qui ne lui impose pas de sanctions directes, tout en déplorant le délai pour la publication du rapport.

Ça n’a aucun bon sens. Tu ne peux pas attendre 70 jours, comme c’est un dossier médiatisé. Ce n’est pas le fun pour nous ni pour les familles non plus.

Jean-François Champoux, PDG de la Scierie St-Michel

Avec plus de 500 emplois en jeu si son entreprise ne reprend pas les coupes, il réitère qu’il entend redémarrer ses activités dans le secteur à compter du 6 juin prochain après une pause forcée par le dégel du printemps.

Même si le territoire au-delà du blocus du kilomètre 60 représente les deux tiers de son territoire d’activité, Jean-François Champoux estime qu’il peut limiter pour le moment les activités de sa scierie au sud jusqu’au milieu de l’été.

D’ici là, il souhaite donner la chance aux Atikamekw de Manawan de se faire entendre auprès du gouvernement. « Nous, tant que le blocus va rester au kilomètre 60, on va le respecter et on va tout faire pour qu’ils puissent se faire entendre. Mais si le blocus change de place et descend plus au sud, et je ne souhaite vraiment pas que ça arrive, mais avec plus de 500 emplois en jeu dans la Matawinie, j’ai vraiment peur qu’il y ait des affrontements », conclut-il.

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