Un groupe de Mohawks qui s’adresse à la justice soupçonne la présence de sépultures anonymes sur le site

Des Mohawks se tournent vers les tribunaux pour forcer l’Université McGill et la Ville de Montréal à suspendre les travaux de l’ancien hôpital Royal Victoria tant que des fouilles archéologiques n’y auront pas été menées. De plus, elles demandent que le mont Royal, au pied duquel se trouve le site, soit reconnu comme la terre « inaliénable » des Mohawks.

« Nous voulons la vérité. Toute la vérité », déclare Kahentinetha, l’une des six demandeurs de l’injonction qui vise l’Université McGill, la Ville de Montréal, la Société québécoise des infrastructures (SQI) et le gouvernement du Canada.

Dans leur requête déposée en mars, les Mohawk Mothers demandent à la Cour supérieure du Québec d’ordonner l’arrêt immédiat des travaux de réaménagement de l’ex-hôpital Royal Victoria tant que le site n’aura pas fait l’objet d’une fouille minutieuse.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancien hôpital Royal Victoria

Car le groupe soupçonne la présence de sépultures anonymes dans le secteur de l’institut psychiatrique Allan Memorial, où des expériences médicales tenues secrètes et « financées par la CIA » ont été menées dans les années 1950 et 1960.

La demande d’injonction, consultée par La Presse, fait état d’allégations selon lesquelles « des enfants autochtones et/ou allochtones pourraient être enterrés à proximité de la piscine Henry Lewis Morgan et sur les terrains adjacents des jardins Ravenscrag de l’institut Allan Memorial ».

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L’institut Allan Memorial

Situé au pied du mont Royal, l’ancien hôpital Royal Victoria fait l’objet d’une cure de jouvence. Le projet « Nouveau Vic » de l’Université McGill s’inscrit dans un plan de réaménagement de l’ensemble du site conçu par la SQI. Approuvé par le Conseil municipal de Montréal, le chantier impliquerait la démolition, la construction et la transformation de certains bâtiments, ainsi que l’aménagement d’espaces extérieurs sur le terrain.

Or, les Mohawk Mothers craignent que les travaux ne « détruisent les preuves des tombes non marquées de leurs frères et sœurs, les privant ainsi d’une identification, d’un rapatriement et d’une inhumation appropriés ». Elles exigent une fouille médicolégale et archéologique du site aux frais des défendeurs.

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Kahentinetha, membre des Mohawk Mothers

Ce qui compte pour l’instant, ce sont les enfants. Nous sommes préoccupés par les enfants. Pas seulement nos enfants, mais tous les enfants.

Kahentinetha, membre des Mohawk Mothers

L’été dernier, elle a suivi, horrifiée, la découverte de centaines de sépultures anonymes près d’anciens pensionnats pour Autochtones partout au Canada. Maintenant, elle veut savoir précisément ce qui s’est passé entre les murs de l’institut Allan Memorial : « Je veux les preuves, parce que je veux que cela cesse. Je veux des preuves pour moi-même. »

« Des démarches en cours »

Ce n’est pas la première fois que les Mohawk Mothers cherchent à faire cesser les travaux sur le site de l’ex-hôpital Royal Victoria. L’automne dernier, elles ont demandé que le terrain soit examiné au radar. Aucune réponse de l’Université McGill depuis.

« Nous sommes prêtes à leur parler à tout moment, mais ils ne veulent pas nous parler », déplore Kahentinetha.

Par courriel, l’Université McGill se dit au fait des doutes soulevés par « certains membres de la communauté autochtone » au sujet de « la présence possible de sépultures non identifiées dans certaines parties du site de l’ancien hôpital ».

« Nous nous sommes engagés auprès des représentants des gouvernements et des communautés autochtones à collaborer si nécessaire pour que les recherches nécessaires soient réalisées », précise la relationniste Claire Loewen.

De son côté, la SQI s’est engagée à effectuer les analyses requises pour identifier et protéger le patrimoine archéologique avant le début des travaux susceptibles de les affecter. « Ces travaux ne seront d’ailleurs pas réalisés sur le site à brève échéance », précise-t-on dans un courriel.

L’organisme public confirme par ailleurs que « des démarches sont en cours afin d’identifier la meilleure approche pour faire la lumière sur [ces] allégations », le tout en collaboration avec les Conseils de bande de Kahnawake et de Kanesatake.

Sauf que les Conseils de bande ne « devraient pas être impliqués dans ce dossier », croient les Mohawk Mothers. « Ils sont financés par le gouvernement du Canada et sont donc en conflit d’intérêts », est-il écrit dans le document de cour.

Devant l’urgence d’agir, elles demandent à la cour de prononcer une injonction temporaire en attendant la demande d’injonction permanente, qui peut mettre des mois à être entendue. Une audience est prévue le 30 mai.

La Ville de Montréal s’est abstenue de commenter le dossier.

« C’est notre terre »

Au cœur de leur requête, les Mohawk Mothers demandent au Tribunal de déclarer que le mont Royal est la « terre inaliénable des kanien’kehá:ka (Mohawk) » et qu’ainsi, l’Université McGill, la Ville de Montréal et la SQI ont illégalement acquis des propriétés autochtones.

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Karennatha, membre des Mohawk Mothers

« Le point principal est : c’est notre terre. Ils n’ont jamais eu notre permission », tranche Kahentinetha. « Ils veulent la preuve qu’il y a des corps à cet endroit. Nous voulons la preuve qu’ils ont acheté la terre », renchérit Karennatha, également impliquée dans la requête.

Dans sa longue liste de demandes, le groupe réclame aussi que la participation du gouvernement du Canada dans les « crimes contre l’humanité » commis par la CIA à l’institut Allan Memorial soit reconnue, et que tous les documents relatifs à des expériences médicales sur des Autochtones soient rendus publics.

En savoir plus
  • 1300
    Les recherches effectuées à proximité d’au moins neuf anciens pensionnats pour Autochtones ont découvert plus de 1300 possibles sépultures non marquées, en date d’octobre 2021.
    Source : RADIO-CANADA