Des cliniques d’avortement au Canada se préparent à accueillir des Américaines, dans l’éventualité où des États frontaliers restreindraient l’accès de celles qui se trouvent sur leur territoire, dans la foulée de l’annulation de l’arrêt Roe c. Wade.

« En ce moment, nous offrons des avortements à tous ceux qui en ont besoin. La vraie question, c’est : est-ce qu’on a la capacité de le faire ? », s’interroge Kristen Einarson, responsable des communications à la Women’s Health Clinic de Winnipeg, au Manitoba.

La capitale manitobaine se trouve à 120 kilomètres de la frontière canado-américaine. De l’autre côté, le Minnesota et le Dakota du Nord pourraient criminaliser l’interruption volontaire de grossesse si l’arrêt Roe c. Wade est renversé, selon une recension du New York Times.

Consultez la recension du New York Times (en anglais)

Et l’idée que des femmes traversent la frontière pour se faire avorter au Canada pourrait bien se concrétiser.

« Depuis quelques mois, j’ai été contactée par des organisations [américaines] qui voulaient établir des liens avec des cliniques canadiennes, au cas où elles auraient besoin d’aider des gens à voyager pour se faire avorter », confirme Jill Doctoroff, directrice générale de la Fédération nationale de l’avortement. Jusqu’à présent, des contacts ont été mis en place en Saskatchewan, au Manitoba et en Ontario, ajoute-t-elle.

Sous le choc de la nouvelle, la Women’s Health Clinic a aussi sérieusement réfléchi à la question mardi. « Si une Américaine venait pour un avortement à notre clinique, elle devrait payer des frais, précise Mme Einarson, mais il n’y a aucune raison qui empêcherait leur accès. »

Traverser la frontière pour se faire avorter

Pas moins de 26 États américains sont susceptibles de criminaliser l’interruption volontaire de grossesse si Roe c. Wade est annulé.

Au Michigan, limitrophe de l’Ontario, une loi précédant l’arrêt Roe pourrait revoir le jour, selon ABC News. Une peine de quatre ans pourrait être prononcée pour tout avortement, sans exception pour les cas d’inceste ou de viol, à moins que la vie de la mère soit en danger.

Consultez l’article d’ABC News (en anglais)

Or, du côté ontarien, un organisme déjà à bout de souffle est prêt à accueillir des Américaines souhaitant mettre fin à leur grossesse. « En théorie, les Américaines peuvent se faire avorter au Canada, explique TK Pritchard, responsable du Shore Centre, à Kitchener. Mais ils doivent voyager jusqu’à une clinique, payer les frais, donc c’est très coûteux. »

Question plus épineuse encore : les services en Ontario sont déjà débordés. « C’est dur de prédire combien de personnes vont venir, mais nous sommes une clinique qui roule déjà à plein régime », poursuit TK Pritchard.

Je peux vous dire qu’on ne serait pas en mesure de gérer une augmentation substantielle des demandes, et c’est la même chose pour nos partenaires.

TK Pritchard, responsable du Shore Centre, clinique d’avortement en Ontario

Au Texas, où une loi restreignant l’avortement est entrée en vigueur depuis plus d’un an, des milliers de femmes ont voyagé dans d’autres États pour mettre fin à leur grossesse, rapportaient récemment de nombreux médias américains.

Le fardeau sur les États pourrait bien avoir des répercussions jusqu’au Canada. « La demande pour les avortements ne va pas diminuer, donc ce qui va se passer, c’est que les États qui les permettent vont être de plus en plus occupés, estime Jill Doctoroff. Il est possible que des femmes veuillent venir au Canada pour se faire avorter plus rapidement. »

Et les plus démunies ?

Pour qu’une Américaine réussisse à se faire avorter de l’autre côté de la frontière, elle doit en avoir les moyens financiers, rappelle Louise Langevin, spécialiste des droits à l’autonomie procréative de l’Université Laval. « Ce sont les autres femmes, les très jeunes femmes, les femmes pauvres, celles qui ne peuvent pas se déplacer, qui ne pourront pas avoir accès à l’avortement », déplore-t-elle.

Une réponse aux besoins des Américaines risque aussi de passer par la prescription de la pilule abortive, livrée par la poste, estiment les expertes. ​​L’organisme canadien Women on Web, qui offre un tel service dans 200 pays du monde, mais pas aux États-Unis, a vu une « énorme » hausse du trafic en ligne en provenance de ce pays mardi, selon Venny Ala-Siurua, directrice générale. « Notre rôle, précise Mme Ala-Siurua, est de diriger les femmes qui nous contactent vers des organisations aux États-Unis qui font la même chose. »

En savoir plus
  • 29 669
    Nombre d’avortements pratiqués au Michigan en 2020
    SOURCE : Michigan Department of Health and Human Services
    629 898
    Nombre d’avortements pratiqués aux États-Unis en 2019, selon les données volontaires de 49 régions
    SOURCE : Centre for disease control and prevention