Les grands titres avaient de quoi susciter quelques inquiétudes… « Meta n’exclut pas de couper Facebook au Canada », pouvait-on voir circuler cette semaine. Est-ce le temps d’envisager un monde sans ses 573 amis ?

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(Non, mais… ) Q. Quoi ? Meta pourrait couper Facebook au Canada ?

Pas exactement. Le titre complet aurait pu être : « Meta n’exclut pas de suspendre au Canada l’accès sur Facebook au contenu produit par des médias d’information si le projet de loi C-18 est adopté ». L’exclusion potentielle menace les pages Facebook (propriété de Meta) des médias canadiens et le partage des articles de nouvelles.

Q. Ah ! L’accès à nos comptes Facebook n’est donc pas menacé ?

Pas du tout. Ce n’est pas comme en Russie, où un tribunal a interdit tout accès à Facebook et à Instagram en accusant ces réseaux d’« extrémisme »… Au Canada, c’est la société Meta qui pourrait décider d’exclure le contenu journalistique – et particulièrement celui des médias canadiens – de sa plateforme Facebook.

Q. Mais pour quelle raison Meta vise-t-elle ainsi les médias ?

Parce que le géant numérique est en train d’évaluer la portée du projet de loi C-18. La Loi sur les nouvelles en ligne – c’est son nom au long – vise à assurer un « partage équitable des revenus entre les plateformes numériques et les médias d’information ». Si la loi est adoptée, les plateformes numériques (Facebook et Google, en particulier) pourraient devoir partager plusieurs dizaines de millions de dollars avec les médias canadiens, dont les revenus publicitaires étaient traditionnellement la principale source de financement.

Q. Facebook a déjà annoncé un investissement de 8 millions de dollars sur trois ans dans le journalisme au Canada. Une forme de « partage » des revenus existe donc déjà ?

Tout dépend du sens qu’on donne au mot « partage »… La grande question est de savoir à combien s’élèvent les revenus publicitaires de Facebook au Canada. Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a estimé que Facebook et Google, les deux plateformes qui accaparent 80 % des revenus publicitaires, ont amassé de 150 à 200 millions de dollars au Canada. « Entre l’investissement de 8 millions sur trois ans et les revenus de 200 millions par année… il y a une grosse marge », souligne le professeur Jean-Hugues Roy, de l’École des médias de l’UQAM.

Dans sa propre étude menée l’an dernier, Jean-Hugues Roy a mesuré les revenus publicitaires que Facebook et Google ont engrangés en 2020 en utilisant le contenu journalistique des médias canadiens. Son évaluation ? Quelque 280 millions de dollars.

Cette semaine, la représentante de Meta au Canada, Rachel Curran, a indiqué que son entreprise avait « plusieurs préoccupations » concernant l’adoption de cette loi. Empêcher la circulation sur Facebook de tout contenu journalistique serait donc une façon de s’y soustraire.

Q. Quelle est la probabilité que Facebook prenne une telle mesure ?

Difficile à dire. Le projet de loi du ministre Rodriguez est inspiré de celui adopté par l’Australie en 2021. Quand le Parlement de Canberra a annoncé son intention de forcer les géants numériques à partager leurs revenus avec les médias nationaux, Facebook a répliqué en empêchant la circulation de contenu journalistique. Un abonné Facebook en Australie ne pouvait plus accéder à du contenu journalistique ou en partager, peu importe qu’il provienne d’un média australien ou étranger. Et le partage sur Facebook du contenu produit par les médias australiens était bloqué partout dans le monde. L’exclusion a duré quelques jours, avant d’être levée lorsque Facebook a obtenu l’assurance de Canberra que l’entreprise pourrait négocier ces ententes de partage avec les médias, et non se les faire imposer. Cette disposition est déjà prévue dans le projet de loi canadien.

PHOTO ARCHIVES REUTERS

En février 2021, on ne trouvait aucun contenu sur la page du média australien ABC News.

Mardi, lors d’une réunion parlementaire à Ottawa à laquelle était conviée la représentante de Meta, un député a demandé à Rachel Curran si son entreprise excluait de bloquer les médias d’information comme elle l’a fait en Australie l’an dernier. « Nous examinons toutes les options en fonction de notre évaluation du projet de loi », a répondu Mme Curran.

Q. Est-ce que la possibilité de voir les médias être débranchés de Facebook au Canada a ébranlé le ministre Rodriguez ?

Visiblement, non. « Moi, la menace, ça ne me fait pas trembler ben ben », a-t-il déclaré mercredi, en rappelant ce qui s’est passé en Australie. « Ils ont reculé et le peuple australien n’a pas beaucoup aimé ça et je ne pense pas que le peuple canadien aime beaucoup ça non plus. »

Le député conservateur Luc Berthold, ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire régional Courrier Frontenac, n’était pas non plus « ben ben » impressionné par la réponse de Mme Curran. « Ça démontre la nécessité d’adopter le projet de loi. Je pense qu’on doit s’assurer que Facebook respecte les règles comme tous les autres. »

Q. Fort bien. Mais il n’y a pas que du contenu journalistique sur Facebook. Il y a plein d’autres choses intéressantes.

Bien sûr, bien sûr… Dans ses travaux, Jean-Hugues Roy a justement décrit à quoi ressemblerait un fil Facebook sans contenu journalistique. « On aurait du contenu viral, des nouvelles des vedettes, des horoscopes, du contenu religieux, et de la désinformation. » Chacun son truc, quoi.

Avec La Presse Canadienne