Le président de la FTQ-Construction, Rénald Grondin, a été élu à la tête du plus grand syndicat de la construction même s’il a harcelé et agressé une secrétaire administrative pendant deux ans. À bout, la victime a quitté son emploi et souffre encore d’un choc post-traumatique, des années plus tard.

Rénald Grondin, alors directeur général de l’Association des manœuvres inter-provinciaux (AMI, membre de la FTQ-Construction), a fait des avances à la travailleuse en février 2008, lors d’un match du Canadien de Montréal auquel assistaient plusieurs employés. Le patron a « insisté » pour raccompagner la secrétaire chez elle, révèle une décision de la Commission des lésions professionnelles datant de 2012, mais restée dans l’ombre jusqu’à ce jour.

« Une fois rendus à son domicile, ce dernier lui a fait des avances de nature sexuelle. Elle lui a signifié qu’elle ne voulait pas et a tenté de le repousser. Elle a finalement réussi à se dégager et à entrer chez elle, mais elle était bouleversée », souligne la juge administrative Guylaine Moffet dans sa décision.

Dans les mois qui ont suivi la partie de hockey, Rénald Grondin a trouvé toutes sortes de prétextes pour faire venir la secrétaire dans son bureau. « Il verrouillait la porte et l’agressait », note la décision.

Chaque fois, la travailleuse tentait de repousser le directeur général en lui signifiant qu’elle n’était pas consentante, « mais lui banalisait l’évènement et mentionnait qu’il désirait “être proche de sa secrétaire” ».

Les agressions ont duré deux ans, parfois « dans le stationnement souterrain de l’immeuble après l’avoir attirée sous de faux prétextes, parfois dans des salles qu’il louait ».

L’AMI n’a soumis aucune preuve contre celle présentée par la travailleuse lors de l’audience qui s’est déroulée en octobre 2012 devant la Commission des lésions professionnelles. Rénald Grondin a quitté son poste de directeur général de l’Association, en 2018, pour la présidence de la FTQ-Construction.

Diagnostic de stress aigu

Après 13 années de service à l’Association des manœuvres inter-provinciaux, la secrétaire administrative a décidé de quitter son emploi, le 26 mars 2010. À ce moment, elle souffrait d’une dépression. Son médecin traitant, le DBruno Bernucci, indique que le « diagnostic serait celui de stress aigu progressant vers un syndrome de stress post-traumatique avec composante possible d’anxiété et de dépression. Il déconseille le retour dans l’environnement de travail ».

Le psychiatre Louis Morrissette est quant à lui d’avis qu’il y a « une relation claire et directe entre ce que la travailleuse rapporte et les symptômes qu’elle ressent depuis le début de l’année 2010 et qui l’ont amenée à cesser de travailler en mars 2010 ».

Une autre psychologue arrive aussi aux mêmes constats.

La juge administrative Guylaine Moffet note qu’il est impossible de soutenir que les gestes de Rénald Grondin font partie des conditions de travail de la secrétaire. « Les gestes d’agressions ne font pas partie du cadre de travail normal d’une secrétaire de direction », martèle-t-elle.

La victime a obtenu les prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Rénald Grondin promu

Retrouvée par La Presse, l’ex-secrétaire administrative a refusé notre demande d’entrevue. Elle s’est contentée de dire qu’elle souffrait encore d’un choc post-traumatique.

Rénald Grondin, lui, a gravi les échelons. En 2018, il a été élu à la présidence de la FTQ-Construction, le plus grand syndicat de la construction de la province, qui représente 80 000 travailleurs. La même année, il a commencé à s’impliquer dans les Soupers des bâtisseurs, des évènements organisés par l’organisme 2159, qui lutte contre l’exploitation sexuelle, entre autres. Celui-ci doit prendre sa retraite à la mi-mai.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

L’immeuble de la FTQ-Construction dans l’arrondissement Anjou, à Montréal

Mardi dernier, après de multiples demandes d’entrevue, la FTQ-Construction a demandé à La Presse de lui accorder 24 heures pour lui permettre de répondre à nos questions. Le syndicat s’est finalement ravisé, mercredi, et a décidé qu’il ne ferait aucun commentaire. Joint au téléphone, Rénald Grondin a aussi coupé court à la conversation. La FTQ n’a pas répondu à nos questions non plus.

Notons que le nom de Rénald Grondin est sorti à de multiples reprises pendant la commission Charbonneau sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction.

Dans des extraits d’écoute électronique effectuée par la Sûreté du Québec, Rénald Grondin s’est vanté d’organiser des élections syndicales comme à l’époque de Jimmy Hoffa, un syndicaliste américain connu pour ses pratiques mafieuses.

D’autres extraits d’écoute électronique ont démontré que Jocelyn Dupuis, ex-directeur général de la FTQ-Construction, faisait cheminer certains dossiers d’entrepreneurs jusqu’au Fonds de solidarité par l’intermédiaire de Rénald Grondin.

L’entrepreneur Tony Accurso a également invité Rénald Grondin et d’autres dirigeants syndicaux à une cure d’amaigrissement en Allemagne, a-t-on appris pendant la commission Charbonneau.

Rénald Grondin a aussi témoigné lors du procès criminel de Jocelyn Dupuis, en 2014. Ce dernier a été reconnu coupable de fraude aux dépens de ses membres pour 63 000 $ à l’aide de fausses factures ou de factures gonflées. M. Grondin s’était fait remarquer, lors du procès, en disant que les allocations de dépenses extravagantes de son patron étaient totalement justifiées.

Restées dans l’ombre

L’histoire de ce patron qui harcèle une secrétaire n’est pas sans rappeler la vague de dénonciations #metoo qui a éclaboussé des personnalités publiques, souligne le Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal. « Ces histoires impliquaient notamment des femmes qui sont restées dans l’ombre pendant de nombreuses années, voire des décennies, alors que les personnes qui les ont agressées sexuellement vivent une superbe carrière », note Dèby Trent, directrice générale de l’organisme. Mme Trent affirme toutefois que chaque histoire est unique et que certaines victimes d’agression sexuelle ont aussi eu des carrières « fantastiques », « ce qui ne veut pas dire qu’elles ne subissent pas de conséquences difficiles ». Elle rappelle aussi que la majorité des victimes gardent le silence après une agression sexuelle. « Pourtant, le dévoilement peut être une étape cruciale pour le rétablissement. »

Besoin d’aide ?

  • Ligne téléphonique d’écoute, d’information et de référence destinée aux victimes d’agressions sexuelles, à leurs proches, ainsi qu’aux intervenants : 1 888 933-9007
  • Ligne téléphonique destinée à renseigner les personnes victimes de violences sexuelles qui envisagent de déposer une plainte auprès des policiers : 1 877 547-DPCP (3727)
  • Tel-Jeunes : 1 800 263-2266
  • Centre de ressources et d’intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance : https://www.cripcas.ca/