Les femmes blanches sont depuis peu exclues d’une formation maintenant offerte seulement « aux membres des minorités visibles ou ethniques » et aux Autochtones. Deux d’entre elles racontent leur désenchantement.

Des femmes blanches rêvant de devenir policières ont été exclues d’un programme d’études chapeauté par le ministère de la Sécurité publique du Québec, désormais réservé aux Autochtones et aux groupes racisés.

« C’est l’énergie et l’espoir que tu mets là-dedans, pour finalement te faire couper l’herbe sous le pied », lance Annie*, aspirante au programme AEC Diversité du ministère de la Sécurité publique (MSP). Occupant un emploi civil dans le milieu policier, sans être policière, cette femme a demandé l’anonymat par peur des répercussions sur sa carrière.

En 2021, elle a cru pouvoir atteindre son rêve de devenir policière grâce à un programme visant à accroître la diversité dans les corps de police. Mais les critères d’admission ont changé… quelques mois après le dépôt de sa candidature.

Au Québec, seulement un policier sur trois est une femme, selon les données du MSP. Ces chiffres concordent avec ceux de l’École nationale de police du Québec (ENPQ), où de 25,5 % à 34 % des recrues étaient des femmes entre 2010 et 2021, selon des informations recueillies par La Presse.

Or, le visage de la profession est encore très uniforme : dans tous les corps policiers de la province, moins de 6 policiers sur 100 étaient issus des « minorités visibles et ethniques » en 2020, hommes et femmes confondus, selon le MSP.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Sophie Brière, professeure de management à l’Université Laval

« Normalement, quand on parle des groupes historiquement marginalisés, les femmes sont là, et les femmes blanches aussi », analyse Sophie Brière, professeure de management à l’Université Laval, qui a déjà effectué des recherches sur les parcours des femmes dans les forces policières au Québec. « Mais c’est sûr que quand on regarde toutes les formes de discriminations [race, genre, etc.], ça s’accumule », ajoute-t-elle.

Un programme spécifique

Pour pallier ces disparités, le Ministère offre le programme de formation accéléré AEC Diversité. « Une mesure de formation exceptionnelle qui répond à des besoins précis de main-d’œuvre policière », précise le MSP par courriel.

Y sont admissibles les personnes possédant déjà un diplôme et travaillant dans le milieu, sans être policiers. Les candidats sélectionnés ont la chance de suivre une formation accélérée de neuf mois, avant d’entrer dans le programme de l’ENPQ – obligatoire pour tous les futurs policiers.

Chaque année, un comité révise les critères d’admissibilité.

Pour l’AEC 2022-2023, le Comité a convenu de prioriser les candidatures des personnes issues de minorités visibles et ethniques ainsi que celles provenant de corps de police desservant des régions éloignées des grands centres.

Le ministère de la Sécurité publique

Le critère de « région éloignée » correspond « aux zones situées en dehors des grands centres et desservies par certains points de services de la Sûreté du Québec et par des services policiers autochtones », spécifie le MSP.

En résumé, les femmes blanches des principales villes du Québec ont été exclues du processus. Et pour certaines, la pilule a été dure à avaler.

Déception

« Je ne peux même pas vous exprimer à quel point ma déception était immense, parce que le processus allait bien, des deux côtés », confie Annie. Elle avait validé plusieurs fois son admissibilité au programme avant de déposer sa candidature auprès de deux corps policiers, dès septembre 2021.

« J’avais passé mes premiers tests, j’étais allée chercher mes rapports de chirurgie oculaire, j’avais subi des tests de sécurité très intrusifs, où une personne des Crimes majeurs avait passé en entrevue mon entourage, mes anciens employeurs, etc. », poursuit l’aspirante policière. Sans compter l’entraînement intensif pour se préparer aux tests physiques.

Le couperet est tombé sous forme de courriels, début 2022. « Dans le cadre du programme AEC Diversité, sachez que le ministère a revu certains des critères d’admission, indiquait l’un d’eux, que La Presse a consulté. Il a été déterminé que cette année, le programme s’adresserait uniquement aux membres issus de groupes minoritaires, c’est-à-dire aux personnes d’origine autochtone et aux membres des minorités visibles ou ethniques. »

Les mêmes critères s’appliquaient aussi à sa deuxième candidature : « Exceptionnellement cette année, il a été décidé que seuls des candidats provenant de certains groupes cibles seraient considérés dans le processus », a-t-elle appris par courriel.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Sophie* espérait devenir policière grâce au programme AEC Diversité.

« Exclure les femmes [blanches], pour moi, ça n’a pas de sens, parce qu’il manque énormément de femmes dans les corps policiers », déplore Sophie*, une autre recrue ayant vécu une situation semblable et qui a aussi demandé l’anonymat. Sophie, comme Annie, ne provient pas d’une région éloignée.

« Aucun groupe ne veut la charité »

La discrimination positive existe pour permettre de rattraper un manque à gagner, explique Martine St-Victor, stratège en communication et directrice générale de la firme Edelman.

Il n’y a aucun groupe prioritaire qui veut avoir un passe-droit, ou la charité. Ce qui est mal compris, avec la discrimination positive, c’est que trop de gens pensent que [les personnes ciblées] sont non qualifiées. Et c’est archifaux.

Martine St-Victor, stratège en communication

La modification des critères d’admission suit d’ailleurs les recommandations du rapport du Comité consultatif sur la réalité policière, publié en 2021, a précisé le MSP à La Presse.

Consultez le rapport du Comité consultatif sur la réalité policière

« Dans une société métissée comme le Québec, que des services policiers d’envergure ne comptent aucun représentant des minorités visibles ou ethniques dans leurs rangs est inadmissible », relève le document.

Parmi les multiples recommandations du rapport, « développer et mettre en œuvre rapidement une stratégie agressive de recrutement proactive dans les milieux de vie à l’intention des candidats racisés ».

« Dans des domaines où l’inégalité des chances a été flagrante depuis des lustres, ces mesures sont encore plus nécessaires », estime Mme St-Victor. « Ma vision de l’équité et de l’égalité des chances veut dire qu’on ajoute des chaises à la table, nuance-t-elle toutefois. Elle ne veut certainement pas dire qu’on en retire. »

* Prénoms fictifs

En savoir plus
  • 13 %
    Proportion de la population québécoise qui fait partie d’une minorité visible
    source : Statistique Canada, recensement de la population de 2016
  • 33 %
    Proportion de la population montréalaise qui fait partie d’une minorité visible
    source : Statistique Canada, recensement de la population de 2016