Visite au foyer de l’Ancre, dans Saint-Michel

Chaque jour, des femmes en détresse appellent des maisons d’hébergement pour obtenir un toit. Et chaque jour, des intervenantes doivent refuser des demandes d’aide, faute de place. Cette situation s’inscrit dans la hausse annuelle des refus pour manque de place dans les maisons d’hébergement pour femmes du Québec, qui se sont chiffrés à 8000 au courant de l’année 2019-2020.

Les Maisons de l’Ancre, qui englobent une maison d’hébergement à moyen terme et deux immeubles de logements permanents à Montréal, n’échappent pas à cette réalité. L’organisme est contraint de faire près de 1000 refus par année, estime la directrice générale, Julie Chevalier.

Le foyer de l’Ancre, situé dans l’arrondissement de Saint-Michel, s’apparente à n’importe quel immeuble résidentiel. Des caméras de surveillance font toutefois le tour du bâtiment.

L’esprit de solidarité entre les femmes qui y résident est palpable. Au rez-de-chaussée, certaines s’affairent à cuisiner le souper, pendant que d’autres regardent la télévision dans le salon. Le bureau des intervenantes se trouve au même étage, prêt à accueillir les femmes qui en ressentent le besoin.

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Des résidantes regardent la télévision dans le salon du foyer de l’Ancre, dans l'est de Montréal.

Stéphanie* a demeuré dans plusieurs maisons d’hébergement, dont certaines pour femmes victimes de violence conjugale, avant d’arriver au foyer de l’Ancre. À l’époque, elle ne voyait plus des deux yeux « à cause de [son] passé », et les différentes ressources n’étaient pas adaptées pour l’héberger. « C’est comme une famille », dit-elle, en désignant l’accueil qu’elle a reçu au foyer de l’Ancre.

On arrive à avoir une routine ici, c’est ça qui est bien. Des fois, on a besoin de ça dans notre vie, une routine, pour recommencer.

Stéphanie, résidante au foyer de l’Ancre

Josée* résidait au foyer de l’Ancre depuis six mois au moment de notre passage. Elle a sombré dans la dépendance à la drogue lors d’une précédente relation, puis a subi des violences sexuelles et conjugales. Elle a perdu deux appartements et un emploi. Josée a vécu successivement chez son père, dont elle devait prendre soin, et sa fille.

« Je commence tout juste à assimiler [que je suis en] sécurité, puis le sommeil. Je fais beaucoup d’insomnie, de cauchemars, de flashbacks », raconte-t-elle, assise dans la pièce du foyer de l’Ancre destinée aux ateliers d’art-thérapie. « Je peux dormir, personne ne va me garrocher en bas du lit », poursuit-elle. Josée apprécie aussi l’écoute des intervenantes, qui donnent « tous les outils ».

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Mélanie Hubert et Julie Chevalier échangent avec des résidantes autour du repas du soir.

La Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF) rapporte 8000 refus par manque de place au courant de l’année 2019-2020. « Ça fait 16 ans que je suis à la [Fédération], et il y a toujours eu des refus par manque de place. Mais, chaque année, ça augmente », évoque la directrice de la FMHF, Manon Monastesse.

« On essaie toujours de trouver un plan B, un plan C », poursuit Mme Monastesse. Certaines femmes doivent être hébergées dans d’autres régions, et d’autres, hébergées temporairement dans une ressource avant d’être relogées dans une autre.

« Il n’y a pas beaucoup d’organismes comme les Maisons de l’Ancre à Montréal. Ça [me] fait de la peine, parce que moi [je connais] beaucoup de gens qui sont en situation précaire », affirme Margarette*, résidante du foyer de l’Ancre. Elle s’était retrouvée à la rue après que sa maison eut été la proie des flammes.

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Laurie et Margarette, deux résidantes du foyer de l’Ancre

« Je peux enfin me déposer dans ce lieu sécuritaire, pour avoir le temps de vivre simplement », déclare pour sa part Laurie*. Le foyer de l’Ancre lui a permis de retrouver une stabilité, à la suite d’un second séjour en psychiatrie.

« Recoller les pots cassés »

Des intervenantes se trouvent 24 heures sur 24 au foyer de l’Ancre, 7 jours sur 7. Un total de 11 femmes y résident pour une durée de 6 mois à 2 ans. Parmi elles, deux se trouvent dans un appartement transitoire qui se situe dans le même édifice. Il s’agit de femmes qui étaient en situation d’itinérance ou à risque d’itinérance et qui ont, pour la plupart, vécu des situations de violence.

Comme chaque semaine, une dizaine d’intervenantes étaient réunies dans la salle de réunion de la maison d’hébergement, l’avant-midi du passage de La Presse. Elles discutent des résidantes une à une. Elles s’échangent des conseils à propos de la meilleure façon d’intervenir auprès d’une femme qui souffre de paranoïa, et bifurquent sur la possibilité qu’une seconde femme suive des cours d’autodéfense.

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Julie Chevalier, directrice du centre d’hébergement

Julie Chevalier estime que les intervenantes sont toujours en train de « recoller les pots cassés » par les impacts de la pandémie. La directrice évoque qu’« au moins trois postes » ont été créés aux Maisons de l’Ancre depuis le début de la pandémie afin de répondre aux besoins des femmes, qui se faisaient croissants.

Au courant du confinement, les femmes, déjà isolées, se sentaient encore plus seules puisqu’elles ne pouvaient quitter la maison qu’à de très rares occasions. Véronique Bourdages, coordonnatrice à l’intervention, a perçu une augmentation du sentiment de désespoir et des idées suicidaires chez les résidantes.

Besoins criants d’hébergement à moyen terme

Les Maisons de l’Ancre réclament que davantage de ressources d’hébergement à moyen terme, non mixtes et ouvertes 24 heures sur 24, soient offertes à Montréal. « D’avoir à faire des refus téléphoniques chaque jour, c’est très difficile à faire quand notre mission, c’est de sauver des vies », affirme Julie Chevalier.

L’organisme déplore également le peu de maisons d’hébergement qui accueillent les femmes à moyen terme dans la métropole, en comparaison aux maisons d’hébergement d’urgence.

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Véronique Bourdages, coordonnatrice à l’intervention

« Souvent, elles appellent les autres hébergements d’urgence, parce que les séjours, à un moment donné, ça finit, c’est un mois. Puis quand tu as fait le tour des mois, tu es en attente entre chaque ressource », raconte Véronique Bourdages.

« C’est une roulette, à un moment donné, on va [leur] dire : “Oui, t’as un lit aujourd’hui” », évoque pour sa part Mélanie Hubert, agente de soutien à la coordination.

* Les femmes qui ont témoigné n’ont pas souhaité dévoiler leur nom de famille.