La méthode de calcul de Québec pour démontrer la nécessité du tunnel Québec-Lévis est remise en question, tandis que le maire de Sorel-Tracy reprend le bâton du pèlerin pour doter sa ville d’un premier lien interrives.

Le gouvernement Legault a présenté jeudi un nouvel indicateur pour justifier la nécessité du tunnel Québec-Lévis, le « PPM » : le nombre de « ponts par million d’habitants ». Cette mesure critiquée n’inclut pas la population des villes de Longueuil, Laval ou Brossard, par exemple, mais on inclut celle de Lévis dans le cas de Québec.

La plupart des experts consultés par La Presse sont catégoriques : invoquer un indice de « ponts par million d’habitants » ne tient tout simplement pas la route. « C’est un peu ridicule. On compare des choses qui ne sont absolument pas comparables. D’abord, le ratio Montréal/couronnes, c’est environ 50-50, tandis qu’à Québec, le ratio est plutôt de 80-20 avec la Rive-Sud. Ça ne génère aucunement les mêmes volumes », affirme le spécialiste en planification des transports Pierre Barrieau, chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« En fait, il ne faudrait pas parler de ponts par personne, mais plutôt de voies-personnes. Huit ponts à deux voies, contre deux ponts à quatre voies, ça revient au même. Si on veut être sérieux, il faut avoir les bons indicateurs », poursuit M. Barrieau, pour qui la question du camionnage n’est aussi « pas du tout la même » à Québec et à Montréal, notamment.

Ultimement, pour M. Barrieau, le « PPM » n’est probablement qu’une « illustration devant servir à des fins politiques de démonstration ».

La réalité, c’est qu’il faut aussi inclure la concentration d’emplois, le transport collectif, le milieu. Montréal est un archipel, pendant que Québec côtoie un cours d’eau. Ce n’est pas du tout la même chose.

Pierre Barrieau, spécialiste en planification des transports et chargé de cours à l’UQAM

Même son de cloche chez Shin Koseki, titulaire de la Chaire UNESCO en paysage urbain de l’Université de Montréal. « Je suis très surpris par l’idée d’un indice de ponts par million. Je doute largement de la valeur scientifique d’un tel indice. En s’y référant, le rapport [induit la population en erreur] sur l’utilité du projet de troisième lien », accuse-t-il.

De surcroît, même si cet indice avait été « éprouvé » scientifiquement, ce dont M. Koseki dit « douter fortement », il demeure qu’il « n’est pas possible de comparer le nombre de ponts entre deux villes comme Montréal et Québec », confirme-t-il, en raison des nombreuses différences sur les plans géographique et urbanistique entre les deux villes.

Chez Trajectoire Québec, la directrice Sarah V. Doyon abonde dans ce sens. « On a été assez surpris par cette justification-là, et par d’autres aussi d’ailleurs. Qu’on parle de PPM ou de kilomètres par habitant, peu importe l’indice, on ne devrait pas augmenter la capacité routière à des fins de navettage », insiste-t-elle.

« Dans ce que nous a présenté le gouvernement jeudi, il n’y a pas d’études de besoin, et pas grand-chose de nouveau à part de nouveaux arguments tous plus farfelus les uns que les autres », ajoute Mme Doyon.

Sorel-Tracy rêve toujours de son premier lien

Pendant que des ministres du gouvernement Legault multiplient les arguments en faveur de son projet de troisième lien dans la région de la Capitale-Nationale, le maire de Sorel-Tracy, Serge Péloquin, dit avoir l’impression de prêcher dans le désert.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Serge Péloquin, maire de Sorel-Tracy

« On le signale, on le demande, et le ministère des Transports, le seul discours qu’il nous sert c’est : payez vous-mêmes votre étude [sur la pertinence d’un tel ouvrage reliant Sorel-Tracy à Lanoraie]. On n’a pas d’aide financière [de Québec], c’est les citoyens qui devraient la payer », s’insurge-t-il.

Pourtant, la nécessité d’un lien entre Sorel-Tracy, en Montérégie, et Lanoraie, dans Lanaudière, saute aux yeux, selon lui.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Traverse de Sorel-Tracy

La traverse entre Sorel-Tracy et Saint-Ignace-de-Loyola serait aux prises avec d’importants problèmes de congestion depuis le début des travaux dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, où des fermetures partielles sont à prévoir jusqu’en 2024 au moins.

Le gouvernement parle de ponts par million. Moi, je calcule plutôt en ponts par minute. Les ponts les plus près de chez nous, le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine et le pont Laviolette, sont à plus de 50 minutes de route de chez nous.

Serge Péloquin, maire de Sorel-Tracy

Des discussions « non officielles » auraient eu lieu avec la ministre déléguée aux Transports, Chantal Rouleau, qui représente également la circonscription de Pointe-aux-Trembles, dit Serge Péloquin, mais elles n’ont pas eu de suites.

La traverse qui relie les rives à cet endroit est la plus achalandée de la province après celle de Tadoussac, sur la Côte-Nord, avec environ 950 000 passages annuellement, dont 550 000 voitures. À 9,15 $ le billet, un Sorelois qui travaille de l’autre côté du fleuve doit prévoir plus de 3000 $ par an pour aller travailler chez ses voisins lanorois, rappelle Serge Péloquin.

De plus, un pont à cet endroit permettrait de desservir l’ensemble de la région, qui compte de nombreuses villes en expansion comme Mascouche, L’Assomption ou encore l’est de Montréal, affirme-t-il.