La découverte d’une éclosion d’influenza aviaire H5N1 hautement pathogène dans les installations des Canards du Lac Brome, en Estrie, met les producteurs de volaille du Québec sur les dents. Alors que les grands éleveurs sous gestion de l’offre prônent un resserrement des contrôles, des petits élevages en plein air redoutent de devenir des boucs émissaires.

« L’inquiétude est à son maximum. Il y a des producteurs qui demandaient d’avoir de l’aide psychologique », a témoigné le président des Éleveurs de volailles du Québec, Pierre-Luc Leblanc, en entrevue téléphonique jeudi.

C’est la première fois qu’un élevage commercial est frappé par une épidémie de grippe aviaire au Québec.

Et cette souche de H5N1, qui a provoqué des centaines d’éclosions sur quatre continents, n’est pas qualifiée de « hautement pathogène » pour rien. Lorsqu’un troupeau est atteint, « plus de 90 % va tomber malade, et la mortalité pourrait atteindre près de 100 % », souligne le DJean-Pierre Vaillancourt, professeur à la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.

Laisser les oiseaux mourir de la grippe n’étant « pas gagnant au point de vue du bien-être animal », les troupeaux infectés comme aux Canards du Lac Brome sont plutôt euthanasiés sous la supervision de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA).

L’entreprise, qui produit plus de 2 millions de canards par an, a confirmé une éclosion à son site de Saint-Claude par communiqué mercredi, mais s’est refusée à tout commentaire. L’ACIA a confirmé un autre cas dans un élevage commercial de la MRC de Brome-Missisquoi jeudi, mais en début de soirée, Canards du Lac Brome n’avait toujours pas indiqué s’il s’agissait bien de son site de Knowlton qu’elle avait mis en quarantaine « par précaution ». L’Équipe québécoise de contrôle des maladies avicoles (EQCMA) a d’ailleurs tracé une « zone de biosécurité rehaussée en situation d’urgence » autour de Knowlton, recommandant à toute la filière avicole d’éviter d’y circuler. Un autre cas a également été confirmé dans un petit élevage non commercial.

PHOTO ELENA MARSOLAIS, FOURNIE PAR L’UPA

Pierre-Luc Leblanc, président des Éleveurs de volailles du Québec

« C’est un drame et un stress financier incroyable de voir ses oiseaux mourir », a souligné M. Leblanc, qui a demandé à ses membres de renforcer l’application des mesures de biosécurité existantes (changement de bottes et de vêtements, désinfection, etc.).

Laboratoire fermé pour Pâques

Alors que de nouvelles éclosions s’ajoutent dans la province, le laboratoire du ministère de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), où sont analysés les prélèvements suspects, est fermé pour le long congé pascal, de vendredi à mardi, a appris La Presse.

« Les analyses seront effectuées par le laboratoire de l’ACIA à Winnipeg », a confirmé le Ministère par courriel jeudi soir.

« Je suis tout simplement abasourdi ! », a commenté le DVaillancourt. « Contrôler ce virus, c’est une question de temps de réaction » et envoyer les échantillons au Manitoba « rajoute possiblement une journée » avant qu’on ait le résultat. « Tant qu’on n’a pas une confirmation, il y a plusieurs choses qui ne se mettent pas en place », souligne-t-il. Si le troupeau est effectivement infecté, « on a des oiseaux qui sont en train de mourir durant une journée de plus ».

Pas de balade dimanche

Le président des Éleveurs de volailles demande pour sa part d’éviter les visites à la ferme durant le congé pascal.

« Les gens de la ville, ce n’est pas le temps de faire la balade du dimanche et de se promener à la campagne », a lancé M. Leblanc, en rappelant que le virus peut être transporté par les pneus des véhicules.

Par temps frais, dans de l’eau non traitée contenant de la matière organique, ce virus est très résistant, précise le DVaillancourt. « Je viens de vous décrire tous les étangs du Québec en ce moment… »

Les modèles actuels indiquent que les probabilités de contamination seront fortes au moins jusqu’à la mi-juin, note le vétérinaire.

Dans ce contexte, l’agrotourisme, « jusqu’à la fin juin, ce n’est pas une bonne idée. Après, on va voir comment ça évolue ».

Les Éleveurs de volailles, une fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA), dit être consciente que les consommateurs aiment s’approvisionner à la ferme et que Québec veut encourager l’autonomie alimentaire. Mais « avec la grippe aviaire, avoir des oiseaux à l’extérieur au contact d’oiseaux migrateurs, ce n’est peut-être la bonne solution », avance M. Leblanc, qui dit être « en discussion » avec le MAPAQ.

Le Ministère est déjà intervenu « en période de crise » pour demander le confinement des oiseaux, fait-il valoir. « On est rendu là, à dire : “Qu’est-ce qu’on fait pour se protéger ?” »

À la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPE), qui regroupe plus de 200 fermes, dont environ 80 ont des productions de volaille (œufs, poulets, dindons), on rappelle que les membres doivent déjà appliquer les mesures biosanitaires existantes, y compris la limitation des interactions de la volaille avec les animaux sauvages, et s’assurer qu’il n’y a pas de contamination de l’eau ou de la nourriture.

PHOTO FOURNIE PAR LÉON BIBEAU-MERCIER

Léon Bibeau-Mercier, secrétaire de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique

« Notre inquiétude, c’est que les éleveurs en plein air soient potentiellement des boucs émissaires dans cette histoire », explique le secrétaire de la CAPE, Léon Bibeau-Mercier, en rappelant que la réalité des élevages en plein air ou à petite échelle est mal documentée. Imposer un confinement en bâtiment ou un toit en grillage en plein air réduirait-il vraiment le risque, ou serait-ce seulement imposé par mesure de précaution ? s’interroge-t-il. La possibilité de tels resserrements, « c’est sûr que c’est une couche d’inquiétude de plus pour nos élevages ».

Le MAPAQ n’a pas imposé de mesures supplémentaires jeudi, mais a réitéré plusieurs recommandations pour éviter tout contact entre oiseaux sauvages et d’élevage (poser un filet sur les enclos extérieurs, limiter l’accès à la ferme aux personnes autorisées, nettoyer et désinfecter les véhicules à moteur avant leur entrée sur les lieux d’élevage, etc.).

Peu de risques pour l’humain

  • La transmission de la grippe aviaire H5N1 à l’humain est rare
  • Généralement par contact prolongé avec des oiseaux infectés dans un lieu clos
  • Pas d’indications de transmission par viande ou œufs préparés adéquatement
  • Pas de cas humain de cette souche H5N1 au Canada

Sources : ministère de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation du Québec, Agence canadienne d’inspection des aliments

En savoir plus
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    Nombre d’élevages de volailles québécois infectés par la grippe aviaire H5N1 détectés en moins de deux jours
    Source : Agence canadienne d’inspection des aliments