Les 1800 ingénieurs du gouvernement du Québec déclencheront dès le 22 avril prochain une grève générale illimitée qui pourrait paralyser des dizaines de chantiers en pleine saison des grands travaux routiers et retarder l’étude de multiples projets d’infrastructure provinciale ou municipale, en plus des projets privés soumis aux procédures d’évaluation environnementale.

Le président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ), Marc-André Martin, a confirmé à La Presse en fin de journée vendredi l’envoi d’un préavis officiel au Secrétariat du Conseil du trésor pour une grève générale illimitée dans deux semaines, si aucun rapprochement significatif n’intervenait d’ici là sur la question salariale. Les négociations s’étirent depuis deux ans, et une cinquantaine de rencontres de discussions entre les parties n’ont pas permis de dénouer l’impasse.

Sans donner de détails, l’APIGQ a fait savoir qu’une offre salariale reçue jeudi « ne permettra pas d’améliorer le problème d’attraction et de rétention de l’expertise », parce que leurs salaires restent non compétitifs face au secteur privé.

« Globalement, affirme M. Martin, on nous dit que si on veut gagner plus d’argent, il faut qu’on travaille plus. Sur le principe, on n’est pas contre. Nos ingénieurs veulent être mieux impliqués dans les projets du gouvernement. Une majorité des membres font déjà plus d’heures que ce qui est prévu à leur horaire. »

Mais les ingénieurs sont bons avec les chiffres, et ça ne leur prend pas de temps pour comprendre que gagner plus d’argent en travaillant plus d’heures, ce n’est pas une augmentation de salaire, ça.

Marc-André Martin, président de l’APIGQ

Jointe par La Presse vendredi, l’attachée de presse de la ministre Sonia LeBel, Florence Plourde, a commenté le dépôt du préavis de grève en assurant que Québec avait « déposé [jeudi] une offre significative qui rejoint les préoccupations soulevées [par le syndicat]. Il s’agit d’une hausse de rémunération et de propositions qui démontrent tout le sérieux accordé par le gouvernement envers les ingénieurs ».

« Maintenant, les moyens de pression utilisés par l’APIGQ lui appartiennent, a fait savoir Mme Plourde par courriel. Nous continuerons les négociations et souhaitons toujours en arriver à une entente rapidement. »

Des chantiers retardés

Il y a plus de 1800 ingénieurs employés par le gouvernement du Québec, dont 1200, soit environ les deux tiers, travaillent au ministère des Transports du Québec (MTQ). Plus de 300 membres de l’APIGQ travaillent au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Les autres sont disséminés dans une vingtaine d’autres ministères, agences ou commissions gouvernementales (Régie du bâtiment, CNESST, etc.).

En cas de grève générale, dit Marc-André Martin, les chantiers routiers du MTQ surveillés par les ingénieurs de l’État seraient tous stoppés. Les projets de construction qui ne sont pas déjà en appel d’offres feraient la queue en attendant les signatures requises.

Les municipalités qui attendent les subventions pour des projets de distribution d’eau et d’égouts devraient patienter pendant que personne n’analyse leurs projets. Et des promoteurs privés qui n’ont pas encore leur certificat d’autorisation environnementale pour construire pourraient devoir reporter des échéanciers.

« Nous avons présentement un projet pour des travaux préliminaires pour le nouveau pont de l’île d’Orléans, ajoute le président de l’APIGQ. Si ces travaux ne débutent pas cette année, ça pourrait se traduire par un retard d’un an sur le début de la construction du nouveau pont. »

Marc-André Martin assure toutefois que l’APIGQ n’hésitera pas à interrompre ses moyens de pression si une situation pouvant mettre à risque la santé ou la sécurité du public devait survenir, comme une contamination dans un réseau d’eau potable ou un bris imprévu sur un pont ou une infrastructure majeure.

Pour la population en général, assure le leader syndical, le seul effet tangible d’une grève des ingénieurs sur la vie quotidienne, c’est qu’il risque d’y avoir moins de cônes orange partout au Québec.

Le syndicat souhaite négocier sur la base des recommandations du rapport Gendreau, déposé en 2019 par un comité créé conjointement avec Québec et qui était présidé par un ancien juge à la Cour d’appel. Le rapport recommandait une augmentation substantielle des salaires afin d’attirer de nouveaux ingénieurs, de retenir les ingénieurs en poste et d’améliorer l’expertise de l’État en matière d’ingénierie.

Selon les données sur la rémunération des salariés de l’Institut de la statistique du Québec, les ingénieurs du gouvernement du Québec gagnent, en moyenne, 34 % de moins que la moyenne des autres ingénieurs du domaine public, qui travaillent aussi au Québec. Le rattrapage, estime l’APIGQ, coûterait 60 millions au Trésor québécois, et continuerait à peser d’année en année sur la masse salariale de l’État.

Salaires annuels comparés des ingénieurs selon les employeurs publics

  • Gouvernement du Québec : 82 775 $
  • Municipalités du Québec : 97 593 $
  • Moyenne des autres ingénieurs du secteur public : 108 363 $
  • Sociétés parapubliques : 111 611 $
  • Gouvernement du Canada : 112 168 $

Source : Institut de la statistique du Québec, 2020