(Québec) Au moins 150 résidences privées pour aînés (RPA), dont la très grande majorité a moins de 50 places, ont fermé leurs portes depuis janvier 2021. Une « saignée » qui risque de s’accélérer, selon le Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA), qui réclame l’intervention rapide du gouvernement Legault.

« La pandémie a fait exploser le phénomène. J’entrevois que d’ici six mois, on va avoir une série de fermetures, et surtout des résidences qui offrent des soins », s’inquiète le président-directeur général du RQRA, Marc Fortin. « Ce n’est pas trop fort de parler d’une saignée et ça ne fait que commencer », prévient-il.

Selon le plus récent bilan officiel compilé par le RQRA, 118 résidences ont mis la clé sous la porte entre janvier et novembre 2021. Une trentaine d’autres ont fait de même depuis, assure M. Fortin. À titre comparatif, il faut combiner les chiffres de 2019 et de 2020 pour arriver à un nombre aussi élevé de fermetures.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Marc Fortin, PDG du Regroupement québécois des résidences pour aînés

Les plus petites résidences écopent le plus. Des 118 RPA touchées, plus de la moitié comptaient 9 résidants et moins et la quasi-totalité des autres, moins de 50 usagers. À peine quelques résidences avaient 50 unités ou plus.

Au total, ces fermetures auront entraîné la perte de 1963 places d’hébergement, selon les données du RQRA.

Des groupes représentant des aînés et une experte sont « très préoccupés » par ce phénomène, qui force le déplacement des personnes âgées et provoque chez elles un stress financier et de l’anxiété.

Des régions sont particulièrement touchées. Chaudière-Appalaches a perdu à elle seule 12 résidences en 2021 et la Capitale-Nationale, 9. La Montérégie trône au sommet des fermetures avec 20 RPA en moins. Ces données incluent aussi les RPA qui ont changé de vocation ou qui n’ont plus de certification.

À noter que 29 résidences ont en revanche ouvert leurs portes en 2021.

La pénurie de main-d’œuvre, l’augmentation des dépenses liées aux services de soins de santé, la hausse importante des coûts d’assurance et récemment l’inflation viennent ajouter une pression difficilement tenable pour des propriétaires. La rareté du personnel fait particulièrement mal, selon les témoignages recueillis.

Dans Lanaudière, la résidence L’Oasis sous les pins, qui héberge 15 usagers en perte d’autonomie, cessera ses activités le 1er juillet, après 27 ans. À la veille de la retraite, la copropriétaire Francine Lanctôt n’arrive pas à trouver de relève.

« Les gens ne sont plus intéressés avec tout ce qui s’est passé depuis deux ans », explique-t-elle.

PHOTO FOURNIE PAR FRANCINE LANCTÔT

La résidence L’Oasis sous les pins, à Notre-Dame-des-Prairies, fermera ses portes cet été.

« Ça fait deux ans qu’on travaille tous les jours, sept jours par semaine. […] Ce n’est pas évident. Il y a beaucoup de roulement de personnel », relate Mme Lanctôt, qui exploite la résidence avec sa sœur.

« La fermeture est due parce qu’on est rendues [à la retraite], mais j’aurais 10 ans de plus jeune et je serais dans la même situation difficile. »

Pour le maintien des primes

Les RPA redoutent le ressac d’après-pandémie alors que Québec lèvera l’urgence sanitaire ce printemps, ce qui signifie la fin de l’essentiel des primes « COVID » versées au personnel soignant dans le secteur public, mais aussi privé. L’arrêté plafonnant les tarifs des agences privées de placement sera aussi aboli.

Le RQRA demande à Québec de maintenir cet arrêté dans le projet de loi 28 visant la fin de l’urgence sanitaire pour éviter que les prix pour la main-d’œuvre indépendante « partent en fou ». On réclame également la prolongation des primes pour conserver « un équilibre » dans le marché et éviter un exode vers le public.

PHOTO FOURNIE PAR LE DGUY TREMBLAY

Le DGuy Tremblay, président-directeur général du Groupe Lokia

« La décision du gouvernement ne fera que provoquer d’autres fermetures », estime le président-directeur général du Groupe Lokia, le DGuy Tremblay, en parlant du retrait au 16 avril de la prime de 4 $ l’heure offerte depuis le début de la pandémie aux préposés aux bénéficiaires (PAB) du privé.

« Si on me demande si j’ai plus peur de la COVID ou de la fin du 4 $, tout de suite, je réponds : c’est le 4 $ », tranche M. Tremblay. Compenser cette subvention lui coûterait 2 millions par année, estime-t-il. « Je n’ai pas les moyens de ça. » Le Groupe Lokia compte 2400 unités réparties dans 14 résidences, dont plusieurs offrent « des soins de santé avancés ».

Selon le RQRA, ce sont les résidences qui doivent embaucher davantage de personnel soignant qui sont les plus fragilisées et qui peinent à faire compétition au secteur public, où Québec déploie les grands moyens pour attirer de la main-d’œuvre.

Le gouvernement Legault a prévu un programme de transition salariale pour le personnel soignant en RPA afin d’organiser « un retrait ordonné de cette aide financière ». Sur cinq ans, cette mesure coûtera 335 millions à l’État québécois.

Les résidences de 149 unités et moins, par exemple, continueront d’être remboursées à hauteur de 80 % la première année. Cette proportion diminue dans le temps et est moindre pour les plus grandes résidences.

« La fin de ces primes se fera donc sous la forme d’une douce régression », écrit le cabinet de la ministre responsable des aînés, Marguerite Blais.

« Je vais perdre mon personnel »

Si cette compensation permettra à certains propriétaires de garder la tête hors de l’eau au cours de la prochaine année, d’autres n’osent pas envisager la suite.

« Le gouvernement a mis cette mesure en place pour tout le monde, il devrait se retirer et traiter tout le monde de la même façon », déplore Gaston Gendreau, qui exploite la résidence Seigneur Lepage de Rimouski. La RPA compte 180 unités et recevra donc une compensation représentant 40 % pour l’année suivant la fin de l’urgence sanitaire.

« On ne pourra pas arriver, ce n’est pas possible, affirme-t-il. Et si je n’ai pas les moyens de compenser ça, je vais perdre mon personnel. »

Selon M. Gendreau, la méthode de compensation du gouvernement est « arbitraire ». Sa résidence est celle qui embauche le plus de PAB dans la région parce qu’elle offre aussi de l’assistance au CLSC. « Vous comprenez que ça n’a pas de sens », exprime-t-il.

Le RQRA anticipe d’ailleurs que des résidences n’auront d’autre choix que de réduire leur offre de soins parce que les coûts seront trop élevés.

Devant ce scénario, des usagers prendraient le chemin du CHSLD ou des ressources intermédiaires. « C’est le gouvernement qui va être pogné avec le problème », plaide Marc Fortin.

« On ne peut pas dire aux aînés : vous allez payer plus cher. Ça ne marche pas de même », ajoute-t-il, affirmant que la « capacité de payer » des résidants est atteinte.

Le cabinet de la ministre Blais a fait valoir dans une déclaration transmise à La Presse que « les RPA sont des partenaires importants du gouvernement » et que Québec a répondu présent depuis le début de la crise sanitaire. « Nous les avons soutenues de manière considérable à l’aide de nouveaux programmes », écrit-on.

Une aide d’urgence de 40 millions a été allongée pour les RPA, en plus des primes liées à la COVID-19. Québec a investi 394,2 millions sur 5 ans pour bonifier le crédit d’impôt remboursable pour le maintien à domicile des aînés, en plus de mettre en place un programme d’aide à la modernisation.

Dur coup pour les aînés

« Un choc émotif »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Lynch, président de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées

L’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées est « très préoccupée » par la vague de fermetures des RPA. « Les gens qui sont dans ces résidences [qui ferment] subissent beaucoup de stress et d’anxiété. Les personnes qui sont là sont souvent passées 75 ans. C’est un choc émotif de déménager ou se déraciner d’un endroit où ils sont depuis des années. Ils se demandent s’ils vont être capables d’assumer financièrement un autre endroit et s’ils vont s’en trouver un. Cet impact-là est important et peut mener à des problèmes de santé mentale et même amener une mort précoce des gens », soutient le président, Pierre Lynch.

« Quitter son patelin »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Danis Prud’homme, directeur général du Réseau FADOQ

Le Réseau FADOQ s’inquiète de la fermeture de plus petites résidences, qui viennent réduire l’offre d’hébergement. « Quand on est dans de grandes villes, c’est peut-être moins vrai, mais dans les plus petites villes, si la résidence ferme, bien les gens doivent déménager et même quitter leur patelin », fait valoir le directeur général, Danis Prud’homme. « Les fermetures des 90 unités et moins se font aussi au profit des plus grands consortiums. Le coût du loyer peut aller jusqu’à 30 % de plus pour une personne, dépendant de la taille de la résidence. […] Malgré le crédit d’impôt pour le maintien à domicile, pas beaucoup d’argent reste dans les poches des aînés », déplore-t-il.

« Des deuils multiples »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Nathalie Delli Colli, professeure agrégée et coresponsable des programmes de gérontologie à l’Université de Sherbrooke

Selon Nathalie Delli Colli, professeure agrégée et coresponsable des programmes de gérontologie à l’Université de Sherbrooke, il ne faut pas sous-estimer les effets du déplacement d’aînés d’une résidence à l’autre, surtout lorsqu’ils « ne participent pas à la décision de se reloger », comme lors d’une fermeture. « L’adaptation dans le nouveau milieu peut être difficile, ça se peut que la personne s’isole, qu’elle développe des symptômes de dépression, de la tristesse, de la difficulté avec l’appétit. Ce sont des deuils multiples : le deuil d’amis, d’intervenants, d’un quartier et d’un milieu qui était ton chez-vous », énumère la chercheuse.

En savoir plus
  • 1701
    Nombre de RPA au Québec, en date du 1er mars 2021
    source : Budget du Québec 2021-2022
    30 %
    Proportion des Québécois de 85 ans et plus qui habitent en RPA
    source : budget du Québec 2021-2022