(Vancouver) Les experts ne s’entendent pas sur la menace que représentent les « incels », ces célibataires involontaires au discours antiféministe radical.

Certains craignent que la rhétorique violente observée sur les réseaux sociaux formulée par cette frange de la population soit une source d’inquiétude ; d’autres estiment que ce danger est surévalué au sein d’un groupe d’hommes ayant surtout besoin d’une aide en santé mentale.

En août, le journal Le Monde définissait les célibataires involontaires ou « incels » comme des hommes ayant peu de succès auprès des femmes et finissant par les détester. Selon le groupe de réflexion Moonshot CVE, ces jeunes hommes hétérosexuels blâment les femmes, les hommes sexuellement actifs et « les structures sociétales oppressives » pour leurs échecs.

Et comme de nombreuses tueries liées à des membres de cette nébuleuse sont survenues au cours des dernières années, les autorités commencent à considérer ce mouvement comme une menace terroriste.

Une étude réalisée pour le gouvernement fédéral par Moonshot indique que la levée des restrictions mises en place contre la COVID-19 pourrait entraîner une hausse des suicides, de la violence et des actes terroristes.

« Pour nos chercheurs, la pandémie a été le grand égalisateur, car les incels croient que tout le monde a vécu l’isolation sociale et sentimentale dont ils souffrent sur une base quotidienne, dit un porte-parole de Moonshot, Alex Amend. La fin du confinement pourrait devenir un déclencheur pour eux. Les médecins feraient bien être attentifs à cela. »

Selon lui, la pandémie a exacerbé le sentiment d’isolation et d’aliénation alimentant la colère de gens cherchant à établir des liens sur l’internet. L’étude de la firme fait état d’une idéalisation du suicide, d’attitudes nihilistes et d’un refus des soins psychologiques sur les forums de discussions.

« Il existe un besoin crucial pour les professionnels de la santé mentale d’être formés pour reconnaître l’idéologie des incels », soutient M. Amend.

Sophia Moskalenko, une psychologue sociale spécialisée dans le radicalisme et le terrorisme, ne croit pas que la violence potentielle devrait être la principale préoccupation. Elle demande plus de recherches sur les « incels » non violents. Selon elle, ils forment un élément très négligé de la crise en santé mentale.

« La radicalisation n’est pas nécessairement le principal sujet parmi les incels. Seulement une petite minorité appuie les idées radicales et une plus petite minorité agit en conséquence. Mes études constatent avec cohérence que le lien entre l’idéologie et l’action radicale est extrêmement faible. »

Une étude menée en 2020 par l’Institute for Strategic Dialogue estimait à au moins 6600 les chaînes en ligne portant sur l’extrémisme violent à motivation idéologique dans lesquelles des Canadiens seraient impliqués. « Ainsi, les Canadiens font partie des personnes les plus actives dans les mouvements prônant ce type d’extrémisme en ligne », indique le ministère fédéral de la Sécurité publique sur son site internet.

« La menace représentée par l’extrémisme violent à motivation idéologique (EVMI) continue de croître au Canada. Notre gouvernement intensifie ses efforts pour y faire face », a écrit le ministère dans un courriel.

Leah West, une experte de la sécurité nationale de l’Université Carleton, dit que le concept de terrorisme est en constante évolution.

« Il existe de la confusion sur la définition juridique du terrorisme parce qu’elle n’a pas été appliquée de façon égale au pays au cours de son histoire, souligne-t-elle. Elle s’applique au type de terrorisme visé par les lois, celui inspiré par al-Qaïda et Daech, mais elle peut ne pas s’appliquer à d’autres types de menace. »

Comme les précédents actes de terrorisme ont toujours été motivés pour des raisons politiques ou religieuses, les tribunaux doivent en premier lieu définir l’idéologie d’un accusé, mentionne Mme West. Les avocats devront prouver que celle des « incels » correspond à cette définition afin de prouver d’éventuelles accusations liées au terrorisme.

Selon elle, il existe trois raisons principales pour désigner la violence exercée par cette frange radicale comme un acte de terrorisme : pour appliquer la loi de façon égale, peu importe l’emploi, le genre, la race ou l’idéologie politique, pour dénoncer ces crimes à des fins dissuasives et pour reconnaître qu’un groupe particulier a été une cible.

Jesse Morton, un autre expert, croit que la plupart des recherches universitaires se fient trop sur la radicalisation d’un petit nombre relatif « d’incels » qui commettent un acte violent.

« Les données indiquent que très peu de gens défendant une idéologie radicale commettent un acte violent. Si on les stigmatise, on pourrait favoriser une plus grande violence », dit-il.

Il suggère de faire plus d’études sur les effets de la stigmatisation publique et de l’exclusion sociale envers les « incels ».

Cet article a été produit avec le soutien financier des Bourses Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelles.