Depuis le début de l’hiver, l’eau se fait rare à Puvirnituq. Leur réservoir étant souvent à sec, les habitants doivent dépenser des fortunes pour acheter de l’eau en bouteilles. Une situation qui pose bien des défis au quotidien et qui favorise l’éclosion de maladies. « Si on était dans le Sud, on ne laisserait pas les gens comme ça. »

Des problèmes d’hygiène et de santé

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Mary Nulukie

Mary Nulukie est gênée de nous ouvrir les portes de sa maison de Puvirnituq. La grand-mère, qui habite avec 10 autres membres de sa famille, est maniaque de ménage. Elle aime quand sa demeure est propre et sent bon. Mais depuis deux semaines, son réservoir d’eau est à sec la plupart du temps. Le jour de notre visite, mardi, elle venait de passer 10 jours sans eau.

Dans ces conditions, impossible de faire du lavage. La vaisselle s’empile sur le comptoir. On ne nettoie que l’essentiel pour économiser l’eau. On n’actionne la chasse de la toilette que très rarement. À 11 personnes dans la même maisonnée, la situation devient vite hors de contrôle et les odeurs, omniprésentes. « Quand on a assez d’eau, les enfants se chamaillent pour savoir qui va pouvoir prendre son bain », dit Mary Nulukie, en caressant la tête de sa fille adoptive Skylar. Dans le salon, le petit Donovan, 1 an, joue sous le regard de son père Peter, fils de Mary Nulukie.

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Donovan, 1 an, petit-fils de Mary Nulukie

La grand-mère explique que l’eau lui est livrée par camion-citerne municipal une fois par semaine environ. Mais cette année, les livraisons sont constamment reportées, voire annulées. « Nos plans changent tout le temps. J’ai dépensé tellement d’argent pour acheter de l’eau pour faire boire tout le monde… », dit-elle.

Le manque d’accès à l’eau favorise l’éclosion de maladies, comme l’hépatite A (voir autre texte). Il y a une semaine, la Dre Marie-Faye Galarneau, qui travaille au Centre de santé et de services sociaux Inuulitsivik, n’en pouvait plus de voir ses patients sans eau. Elle a publié un statut Facebook pour dénoncer la situation. Elle demandait pourquoi aucun plan d’urgence n’était en place.

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La Dre Marie-Faye Galarneau

Nous avons l’hépatite A, une éclosion de gastro-entérite et tant de problèmes de santé. À Montréal ou ailleurs au Québec, quand les gens manquent d’eau pendant 24 heures, les gens sont fous, les journalistes sont partout pour couvrir les infos. Les gens obtiennent de l’eau et une réponse sanitaire en un clin d’œil […] Comment se fait-il que le Nunavik affronte tout en silence ?

La Dre Marie-Faye Galarneau, dans une publication Facebook

Des installations déficientes

Situé sur la côte de la baie d’Hudson, au Nunavik, le village de 2000 habitants n’a pas de réseau de distribution d’eau. Une conduite tire l’eau de la rivière Puvirnituq et parcourt une dizaine de kilomètres pour atteindre la station de pompage du village.

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Puvirnituk n’a ni réseau d’aqueduc ni réseau d’égouts et compte sur des camions pour la distribution de l’eau et la vidange des eaux usées.

De là, un tuyau achemine de l’eau directement à l’hôpital de Puvirnituq, jugé prioritaire. Le reste du village est alimenté par des camions-citernes qui vont remplir les réservoirs de chaque habitation.

Mais cette année, des bris mécaniques ont fait que la conduite reliant la rivière à la station de pompage a gelé pendant des jours, explique le maire du village, Paulusi Angiyou, rencontré à la mairie, mercredi.

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Paulusi Angiyou, maire de Puvirnituq

Pour pallier ce manque, les camions-citernes ont dû se rendre directement à la rivière pour y pomper l’eau et revenir au village la distribuer. Un scénario long et complexe. L’hôpital étant prioritaire, l’établissement accaparait à lui seul une bonne partie des énergies des livreurs. Les habitants ont dû patienter. Parfois longtemps.

Pour ajouter au drame, sur les cinq camions-citernes desservant normalement la municipalité, deux sont en panne depuis des semaines. « Ils sont en réparation à Montréal. On ne peut pas le faire ici », explique le maire, qui arbore une cicatrice au front à la suite d’un accident subi en réparant sa motoneige.

Au cours des hivers passés, il arrivait que l’eau manque à Puvirnituq. Mais jamais de façon aussi importante que cette année, reconnaît Paulusi Angiyou. En temps normal, les habitants doivent appeler à la mairie pour faire remplir leur réservoir. Mais comme elle était submergée d’appels, on a invité la population à ne plus le faire.

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Les résidants en sont parfois réduits à faire fondre de la neige.

Quand elle est vraiment mal prise, Mary Nulukie fait fondre la neige et l’utilise pour les toilettes ou pour laver la vaisselle. Mais le tout prend du temps et donne de petites quantités d’eau. « Le plus difficile, c’est que ça finit par sentir mauvais dans la maison. Des fois, tu dors mal parce que tu te sens trop sale. »

Parce que chaque goutte d’eau est comptée, même cuisiner devient un vrai casse-tête. Des familles se tournent vers les produits congelés déjà cuits. Ou vers la nourriture traditionnelle : du caribou gelé, de l’omble chevalier… La peur de manquer d’eau et la gestion qui en découle causent un important stress aux habitants et monopolisent leurs énergies. « Je n’ai plus le temps de coudre… »

Ça nous aiderait vraiment d’avoir un réseau d’eau et d’égout qui a du sens… On sauverait des énergies et économiserait de l’argent. Des fois, je me dis que j’ai hâte à l’été et que je vais lancer tous mes vêtements dans la rivière. Et les laver à fond !

Mary Nulukie

L’école doit fermer

Au cœur du village de Puvirnituq, deux écoles se font face. L’école Iguarsivik qui scolarise les enfants de 4année du primaire à la fin du secondaire est dirigée par Hugo Couillard. À Puvirnituq depuis neuf ans, le directeur raconte qu’il doit fermer l’école une dizaine de fois par année à cause du manque d’eau. « Les toilettes débordent et deviennent inutilisables… Et cette année, on a manqué d’eau vraiment plus souvent que les autres années », dit-il.

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Hugo Couillard, directeur de l’école Iguarsivik à Puvirnituq

Dans la maison où il vit avec sa conjointe Laurence Tessier et ses filles Marion et Lucie, Hugo Couillard manque lui aussi d’eau. « Mais je ne me plaindrai jamais de ça. On est quatre. Il y a des familles de presque 20 qui se partagent un réservoir. La situation est inacceptable pour tous. Mais ça ne touche pas tout le monde de la même façon », dit-il.

À Puvirnituq, plus de 60 % des habitants sont des enfants. Quand les écoles ferment par manque d’eau, l’impact est lourd sur les parents qui doivent s’absenter du travail. Mary Nulukie travaille depuis 15 ans à la DPJ comme intervenante. Elle a dû manquer le travail au cours de l’hiver pour cette raison. « Comme grand-parent inuit, on ne laisse jamais ses petits-enfants en arrière », dit-elle.

Un peu plus loin dans le village, Nelly Iqiquq est également épuisée par le manque d’eau qui bouleverse toute l’organisation familiale. Dans sa maison, la mère de famille et son mari, Robert Powell, prennent soin de cinq enfants. « On essaie d’économiser l’eau. On fait ce qu’on peut », dit cette sage-femme de profession, qui a rencontré La Presse dimanche.

Robert Powell explique qu’ils achètent de grosses cruches à 8 $ pour faire boire leur famille.

  • Nelly Iqiquq et son mari Robert Powell

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    Nelly Iqiquq et son mari Robert Powell

  • Maaya, 2 ans, fille de Nelly Iqiquq et Robert Powell

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    Maaya, 2 ans, fille de Nelly Iqiquq et Robert Powell

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Pour Nelly Iqiquq, plus que le manque d’eau, c’est la gestion des eaux usées qui donne le plus de maux de tête. Car non seulement le village de Puvirnituq n’a pas de réseau de distribution d’eau, il n’a pas non plus de réseau d’égout. Les eaux usées des maisons sont récupérées dans des réservoirs qui doivent être vidés par camion. Quand le réservoir d’une maison est plein, une grosse lumière rouge s’allume à l’intérieur et à l’extérieur. « Et quand le réservoir d’eaux usées est plein, l’eau ne coule plus », explique Mary Nulukie.

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Quand le réservoir d’eaux usées d’une maison est plein, une lumière rouge s’allume… et l’eau potable ne coule plus.

Le maire Paulusie Angyou explique que normalement, quatre camions récoltent les eaux usées dans le village. Mais à plusieurs reprises au cours de l’hiver, un seul camion fonctionnait. « Les autres ont gelé », explique-t-il. Avec le printemps qui arrive, la température se réchauffe et la situation s’améliore. Mais le maire le reconnaît : il souhaite plus que tout que son village soit doté un jour d’un réseau d’égout non souterrain. Un projet estimé à 90 millions de dollars, selon ses dernières estimations. « Ça rendrait la vie des gens vraiment plus facile », dit-il.

Natif de la côte de la baie d’Hudson, M. Angyou raconte avoir vécu les premières années de sa vie en tente et en igloo. Il habite Puvirnituq depuis 1969. Quand on lui demande si la vie était plus facile avant, il répond de façon énigmatique : « C’est une question de perspective. »

Mercredi, soit plus de deux semaines après le début de la crise, le tuyau a été dégelé entre la rivière Puvirnituq et la station de pompage. Le soulagement était palpable partout dans le village. Mais tous refusaient de se réjouir trop vite : on sait que l’approvisionnement dans ce village isolé du reste du monde ne tient qu’à un fil.

« Dans le Sud, on ne laisserait pas les gens comme ça »

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La Dre Marie-Faye Galarneau

Dans une chambre de l’hôpital de Puvirnituq, une patiente était soignée mardi, car elle était atteinte d’hépatite A. Le village est aux prises avec une épidémie de cette maladie depuis le début de l’hiver. Et de l’avis de nombreux médecins, un coupable en est la cause : l’important manque d’eau.

« C’est l’éléphant dans la pièce. La situation du manque d’eau n’a jamais été aussi mauvaise que cet hiver à Puvirnituq. L’hépatite A se transmet par voie féco-orale. Quand il manque régulièrement d’eau, comment voulez-vous que les gens aient une hygiène des mains irréprochable ? », demande la Dre Marie-Faye Galarneau, médecin au Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Innulitsivik. Depuis le début de l’hiver, 34 personnes ont contracté l’hépatite A à Puvirnituq. Le manque d’accès à l’eau a aussi un impact sur d’autres maladies.

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Le village de Puvirnituq, au Nunavik

Rencontrée aux urgences de l’hôpital de Puvirnituq mardi, la Dre Sarah Bergeron, cochef du département de médecine du CSSS Innulitsivik, raconte qu’elle doit gérer actuellement une éclosion de gale dans une maison du village. « Il faut tout désinfecter la maison et traiter tous les membres de la famille. D’habitude, on fait les deux en même temps. Mais avec le manque d’eau, ça change tout », dit-elle. Des patients atteints de pathologies normalement simples à traiter, comme de l’eczéma, sont aussi actuellement victimes d’infections. « À cause du manque d’eau, ils ne peuvent entretenir leur eczéma », indique-t-elle.

Directrice générale par intérim du Centre de santé et de services sociaux Inuulitsivik, Claude Bérubé déplore l’impact du manque d’eau sur la population. Et aussi sur ses équipes. Car recruter des candidats dans ces conditions est plus difficile. Même si l’hôpital est toujours approvisionné en priorité, on a dû y limiter la consommation d’eau au cours des dernières semaines pour permettre aux habitants du village d’être ravitaillés. On a demandé aux patients et au personnel de ne pas prendre de douche et de ne pas trop utiliser les toilettes.

Pour s’assurer que les aînés recevant des soins à domicile dans la communauté ne manquent pas d’eau et soient en mesure de bien prendre leurs médicaments et se soigner, le centre de santé leur a envoyé de l’eau et des lingettes désinfectantes. « On ne peut pas rester sans rien faire », note Mme Bérubé en allant distribuer elle-même des boîtes de produits à certains usagers, dimanche dernier.

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Claude Bérubé alors qu’elle livrait, dimanche, de l’eau et des lingettes à des résidants du village

Dans une maison du village, à quelques mètres de la baie d’Hudson, Josée-Mélanie Michaud gère un foyer d’accueil qui reçoit des bébés que la direction de la protection de la jeunesse doit retirer en urgence de leur famille. Le jour de notre visite, Mme Michaud et sa fille veillent sur 12 bébés. Dans le salon, quelques-uns prennent une collation dans leur chaise haute. D’autres jouent par terre.

Un peu partout : des jouets et beaucoup de vêtements d’enfants. « On a eu de l’eau livrée par camion, hier. Après neuf jours sans en avoir eu », se réjouit Mme Michaud. Pour économiser l’eau et éviter d’utiliser la toilette, Mme Michaud s’était résignée à installer une chaise d’aisances munie d’un sac dans la salle de bains. Pour elle, le plus difficile aura toutefois été l’impossibilité de faire du lavage.

À 12 bébés, ça va vite, le lavage…

Josée-Mélanie Michaud, responsable d’un foyer d’accueil pour la DPJ

En rencontrant ses patients, la Dre Bergeron est témoin de l’immense stress que le manque d’eau entraîne. « Il y en a qui rêvent la nuit du fait qu’ils manquent d’eau », raconte-t-elle.

Vêtue d’un immense manteau orange devant l’hôpital de Puvirnituq, la Dre Galarneau ne cache pas son découragement de voir que le problème ne soulève pas plus d’indignation. Elle souligne que dans des cas semblables ailleurs dans la province, la Croix-Rouge ou l’armée sont appelées en renfort. Elle déplorait que la solution offerte aux habitants de Puvirnituq soit de « prendre des sacs pour faire leurs besoins et de se laver avec des lingettes ». « Pourquoi il n’y a pas de distribution de gros bidons d’eau ? De toilettes sèches ? Je ne sais quoi. Si on était dans le Sud, on ne laisserait pas les gens comme ça. »

Au cabinet du ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, on indique que le ministre est « au fait de la situation » à Puvirnituq et « continue de suivre la situation de très près avec les autorités locales », dans le respect de leurs compétences. L’attaché de presse du ministre, Mathieu Durocher, explique que des sommes sont versées par le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation à l’Administration régionale Kativik, qui a un plan de développement à ce sujet, mais n’a pas formulé de demande d’aide particulière pour l’instant.