Le syndicat des ingénieurs de l’État accuse le gouvernement du Québec de « bâillonner » ses ingénieurs en les maintenant à l’écart des grands projets d’infrastructures et en ne leur fournissant ni la formation ni les outils nécessaires pour faire leur travail de vérification diligente et, surtout, rebâtir une expertise publique déficiente depuis 20 ans.

Au moment où le gouvernement Legault prévoit investir 77 milliards sur 5 ans dans les chantiers d’infrastructures publiques, le président de l’Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec (APIGQ), Marc-André Martin, dit craindre en entrevue un retour aux projets publics sans contrôle, aux échéanciers défoncés et aux dépassements de coûts des années 2000.

« Comment allons-nous encadrer adéquatement ces contrats publics alors que rien n’a changé depuis la commission Charbonneau ? », demande-t-il dans une lettre ouverte à La Presse, en dénonçant « l’héritage d’une orientation politique qui s’est instituée au début des années 2000 » et qui est fondée sur un recours généralisé à la sous-traitance.

En plus d’interpeller le gouvernement sur les conditions d’exercice de ses membres, l’APIGQ dénonce férocement, dans un mémoire de 12 pages publié sur son site, « une culture organisationnelle qui n’a jamais réellement voulu changer » au sein du ministère des Transports du Québec (MTQ). La majorité des ingénieurs syndiqués de l’État travaillent dans ce ministère.

Selon Marc-André Martin, les autorités du MTQ ont « réussi à bâillonner leurs ingénieurs et à réduire leur apport à des tâches administratives. On attend d’eux qu’ils soient dociles, on les aime sans expérience et on ne leur donne pas les outils technologiques pour faire les vérifications diligentes ».

« Sur le plan de l’expertise en ingénierie, le gouvernement est aussi vulnérable aujourd’hui qu’il ne l’était à cette époque, même s’il y a deux fois plus d’ingénieurs qui travaillent pour l’État, enchaîne-t-il. Le nombre ne fait pas l’expérience. Nos salaires ne sont pas concurrentiels pour qu’on puisse retenir les ingénieurs d’expérience, et les ingénieurs de l’État sont confinés à des mandats administratifs qui ne leur permettent pas d’en acquérir. »

Au MTQ, ajoute-t-il, la majorité des ingénieurs ont moins de 35 ans, et à l’APIGQ, « seulement 15 % de nos [1800] membres ont plus que 45 ans ».

Les moins bien payés au Québec

En publiant ce mémoire, l’APIGQ espère alerter le public et dégeler les négociations sur les salaires de ses membres, lesquelles sont restées sans suite depuis décembre.

Les ingénieurs du gouvernement du Québec sont de loin les moins bien payés de leur profession, en comparaison de leurs collègues municipaux, des sociétés parapubliques (comme Hydro-Québec) ou du gouvernement fédéral. C’est une situation connue et reconnue par le gouvernement depuis plusieurs années.

Leur salaire moyen est presque 15 000 $ plus bas que celui d’un ingénieur du secteur municipal, et plus de 25 000 $ de moins que la moyenne des autres ingénieurs pratiquant au Québec.

En 2017, après trois semaines d’une grève générale qui avait mis la pagaille dans les chantiers de la province, et sous la menace d’une loi spéciale du gouvernement Couillard, l’APIGQ avait accepté la création d’un comité indépendant pour étudier la question de la rémunération.

Son rapport, rendu en 2019, conclut qu’en raison de la rareté de la main-d’œuvre et de l’importance de leur travail, la rémunération des ingénieurs du gouvernement du Québec devrait se comparer, à titre de « marché de référence », à celle des autres ingénieurs du secteur public. La différence salariale moyenne est de 34,3 %.

PHOTO FOURNIE PAR L’APIGQ

Combler l’écart représenterait une somme de 60 millions sur 3 ans. On est conscients que c’est une grosse bouchée, et la proposition de règlement salarial qu’on a déposée, le 9 décembre, en tenait compte. On n’a jamais eu de réponse.

Marc-André Martin, président de l’APIGQ

Une rencontre de négociation prévue le 2 février a été annulée par les représentants patronaux qui « nous ont dit qu’ils n’avaient pas de mandat pour discuter de salaire ».

« On a fait un bout dans ces négociations en déposant un projet de règlement, mais on s’attend maintenant à ce que le gouvernement fasse le sien. Ça va être très difficile de se rejoindre si Québec décide d’ignorer les recommandations du comité qu’il a lui-même proposé pour dénouer l’impasse. »