L’ancien tireur d’élite des Forces armées canadiennes se joindra aux soldats ukrainiens

L’ex-tireur d’élite du Royal 22e Régiment surnommé Wali s’apprête à s’enrôler comme combattant volontaire pour combattre les Russes.

L’appel était plus fort que tout. « Wali », nom de guerre d’un ancien tireur d’élite du Royal 22e Régiment, qui s’était rendu en Irak de son propre chef pour se battre contre le groupe armé État islamique en 2015, franchira la frontière ukrainienne ce mercredi pour aller se battre contre les Russes à titre de combattant volontaire.

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Wali, s’entraînant sur un champ de tir de la région de Québec en vue de son départ pour l’Irak, en 2015

« On est en train de faire des provisions d’huile et de combustibles pour fabriquer des cocktails Molotov. On achète aussi des drones amateurs pour aider à faire de la surveillance », explique l’ex-soldat, joint en Pologne mardi matin, quelques heures après nous avoir accordé une longue entrevue en route vers l’aéroport Trudeau. Avec un petit groupe d’autres combattants étrangers arrivé ces derniers jours en Pologne, il devait ensuite aller rejoindre une dizaine de soldats britanniques fraîchement débarqués pour les mêmes raisons.

L’homme de 40 ans, devenu informaticien après deux déploiements en Afghanistan comme tireur d’élite au sein des Forces armées canadiennes entre 2009 et 2011, se joindra à un contingent sans cesse grandissant de combattants étrangers qui répondent à un appel lancé samedi par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky : « Tous les étrangers souhaitant joindre la résistance contre les occupants russes et protéger la sécurité internationale sont invités par le gouvernement ukrainien à venir sur notre territoire pour intégrer les rangs de nos forces territoriales. »

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Wali a répondu à l’appel du président Volodymyr Zelensky de se joindre aux soldats ukrainiens.

Devant l’intérêt immédiat affiché par de nombreux Occidentaux, le ministère des Affaires étrangères a créé dimanche la Légion internationale de défense territoriale ukrainienne. « Il y a plusieurs groupes informels d’anciens soldats qui se sont activés depuis la semaine dernière et qui commencent à répondre à l’appel », affirme Wali. Tout porte à croire que le Canada, même s’il recommande à ses citoyens d’éviter tout voyage en Ukraine, ne s’opposera pas à ce que des ressortissants canadiens joignent leurs rangs. La ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a indiqué dimanche qu’il s’agissait d’un « choix individuel ». « Permettez-moi d’être très claire : nous supportons toute forme d’aide à l’Ukraine en ce moment », a-t-elle déclaré.

Wali, lui, n’a pas attendu dimanche pour faire ses valises. Tout s’est passé très vite, vendredi, lorsqu’il a été contacté par un ami qui organise depuis plusieurs mois des « convois neutres » d’aide humanitaire pour acheminer des vivres dans la région occupée du Donbass.

Il m’a dit qu’ils avaient besoin d’un sniper. C’est comme un pompier qui entend l’alarme sonner. Il fallait que j’y aille.

Wali

Mais contrairement à ses déploiements officiels en Afghanistan et à celui au Kurdistan irakien en 2015, cette fois-ci, tout est différent pour Wali. Il laisse derrière lui sa conjointe et son bébé, qui fêtera son premier anniversaire sans lui, la semaine prochaine. « Je sais, c’est juste terrible. Mais moi, dans ma tête, quand je vois les images de destruction en Ukraine, c’est mon fils que je vois, en danger et qui souffre. Quand je vois un immeuble détruit, c’est la personne qui en est propriétaire, qui voit son fonds de pension partir en fumée, que je vois. J’y vais par motivation humanitaire », se justifie-t-il.

Sa conjointe, qui nous a demandé de garder son identité secrète pour des raisons de sécurité, a accepté à contrecœur de laisser son amoureux partir.

Je savais que si je ne le laissais pas partir, je l’aurais brisé. Ç’aurait été comme le mettre en prison.

La conjointe de Wali

Elle a connu Wali peu de temps après son périple en Irak, en 2015, où il a combattu pendant plusieurs mois le groupe armé État islamique au sein d’un bataillon de peshmergas, ces Irakiens autonomistes du nord du pays appuyés militairement par la communauté internationale. Il avait alors participé à plusieurs offensives dans la région de Kirkouk, dont une où il aurait pu perdre la vie après l’explosion d’un véhicule piégé à quelques dizaines de mètres de lui.

« Je savais que je m’embarquais avec un gars spécial quand je l’ai connu. J’ai toujours su que c’était une possibilité qu’il parte de nouveau. Il faut que je vive avec », confie-t-elle, le bébé sous le bras.

Masque à gaz et habit de camouflage

L’ex-soldat est loin d’être parti avec un arsenal. Il n’avait, dans son sac à dos, qu’un masque à gaz, un ghillie suit (un habit de camouflage typiquement utilisé par les tireurs d’élite), une paire de jumelles et la veste de combat qu’il utilisait en Afghanistan en guise d’équipement de combat.

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Wali apporte avec lui un livre sur la langue ukrainienne.

« Ils vont sûrement nous donner des armes et des plaques de blindage sur place. Je m’attends même à ce que ça soit facile, même surréaliste, genre qu’on nous emmène dans un entrepôt et qu’on nous dise : “Tiens, sers-toi, il y a des lance-roquettes ici, des missiles là” », dit Wali en riant.

Le théâtre des opérations s’annonce très différent de celui des guerres d’insurgés qu’il a vécues en Afghanistan et en Irak. « C’est une guerre de mouvement, plus conventionnelle, très mécanisée, où chaque camp a un uniforme très identifiable », explique l’ex-soldat, passionné d’histoire et de stratégie militaire.

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Wali, lors de son passage à l’émissionTout le monde en parle, après son retour d’Irak

« La doctrine militaire russe implique l’utilisation abondante de tirs de canon et d’artillerie. Ils rasent le terrain avec des bombes avant de faire entrer les fantassins. C’est une autre réalité, explique-t-il. Je vais devoir réviser mes connaissances sur la façon d’abattre un hélico ou un tank. »

Risque d’être fait prisonnier

Wali dit que « ce n’est pas de gaieté de cœur » qu’il va combattre les soldats russes, mais qu’il ne peut pas laisser une « invasion tous azimuts » se produire ainsi devant ses yeux. « Quand je me battais contre l’État islamique, il y avait une opposition fondamentale. C’étaient des radicaux, violents, qui jetaient des homosexuels du haut des toits. Tandis que là, ce n’est pas une opposition aussi idéologique. C’est une opposition de rapports de forces entre des puissances qui est très semblable à la Seconde Guerre mondiale », analyse-t-il.

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Wali

Je ne suis pas très enjoué à l’idée de tirer sur les Russes. C’est un peuple chrétien et européen. C’est bizarre à dire, mais il y a une certaine affinité. Intuitivement, c’est du monde qui nous ressemble plus. Je ne les déteste pas.

Wali

Intellectuel et extrêmement cartésien, il se dit conscient du poids diplomatique qu’il pourrait faire porter au Canada s’il était fait prisonnier. « Je sais que je pourrais devenir une monnaie d’échange », admet-il. Mais ce n’est pas suffisant pour le faire reculer. « Ce que je fais, c’est un court-circuit de la politique canadienne. Oui, c’est sûr que les gouvernements n’aiment pas ça, mais là, je sens vraiment qu’il y a un appui fort, et pas juste un appui moral », dit-il.

Wali, et combien d’autres ?

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Wali, au moment de monter à bord du véhicule le menant à l’aéroport Trudeau en prévision de son départ pour l’Ukraine

Difficile de dire combien ils sont, mais les combattants étrangers comme Wali, qui sillonnent la planète d’une guerre à l’autre, se coordonnent à travers des groupes qui se réactivent de façon spontanée sur les réseaux sociaux lorsqu’un nouveau conflit armé apparaît.

Au plus fort de la guerre contre le groupe armé État islamique, environ 80 anciens soldats canadiens auraient rejoint les rangs des peshmergas et des YPG, en Syrie, aux côtés de combattants français, américains et belges, notamment.

Ils le font généralement bénévolement, bien qu’ils tirent parfois une allocation pour couvrir leurs dépenses sur place.

On y trouve de tout : « Il y a autant des idéalistes que des psychopathes. On trouve parfois même des néonazis », lance Wali.

« Moi, je me mettrais dans la catégorie des idéalistes », précise-t-il immédiatement.

Un soldat refoulé

Lundi soir, à l’aéroport de Dorval, Wali devait partir avec Guillaume, un autre ancien soldat des Forces armées canadiennes, qui n’a jamais vécu un déploiement militaire.

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Guillaume, ancien soldat des Forces armées canadiennes, souhaitait lui aussi se joindre aux soldats ukrainiens, mais a été refoulé à l’aéroport Trudeau.

« Je veux faire ma marque, je sens le besoin de me prouver à moi-même que je suis capable d’aller au bout de mes convictions », a expliqué Guillaume à La Presse quelques instants avant l’heure prévue du départ.

J’ai des démons à combattre. Je m’en vais tourner plein de pages en participant à une mission du genre.

Guillaume, soldat refoulé à l’aéroport alors qu’il tentait de se rendre en Ukraine

Mais la quête de Guillaume s’est arrêtée bien avant l’embarquement. Non vacciné et sans passeport vaccinal, l’ex-militaire s’est fait retourner de bord au kiosque d’enregistrement des bagages de la compagnie aérienne qui devait l’emmener en Pologne. En colère, il est reparti avec ses valises quand le personnel de sécurité de l’aéroport l’a sommé de quitter les lieux.

« Ça fait un soldat de moins mort au front, a lancé Wali à la blague. C’est plate pour lui, mais je ne raterai pas mon départ pour ça », a-t-il ajouté, avant de disparaître dans la file d’attente de la sécurité aéroportuaire.

Le méandre légal des combattants

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Wali, à son arrivée à l’aéroport Trudeau

Les combattants canadiens qui s’enrôlent dans un conflit étranger s’exposent à différentes lois canadiennes et internationales, mais leur application est complexe et pleine de nuances.

Droit canadien

Le Code criminel : il s’applique en principe uniquement pour les actes illégaux commis sur le territoire canadien, « sauf pour certaines exceptions », dont les crimes de guerre et la participation à un génocide, précise la professeure de droit de l’Université de Montréal Miriam Cohen, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux. Depuis 2013, les combattants qui se joignent à une organisation inscrite sur la liste des entités terroristes, ou qui participent à des activités liées à des groupes terroristes, s’exposent par ailleurs à des peines sévères d’emprisonnement prévues dans le Code criminel. La Russie ne figure cependant pas sur cette liste et n’est pas considérée comme une entité terroriste. Différentes milices armées, actives autant en Ukraine qu’en Russie, pourraient toutefois l’être.

Loi sur l’enrôlement à létranger : adoptée en 1937, après le départ d’environ 1600 Canadiens partis se battre à la guerre civile espagnole, cette loi interdit aux ressortissants canadiens de se joindre aux forces militaires « en guerre avec un État étranger ami ». « Le problème, c’est qu’il n’y a pas de définition claire de ce qu’est un “État étranger ami”. C’est un peu nébuleux », d’autant que le statut de la Russie par rapport au Canada change d’une journée à l’autre, explique Mme Cohen. Cette loi un peu désuète, adoptée dans un contexte politique très précis, n’a jamais mené à la moindre poursuite, selon elle.

Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre : cette loi canadienne prévoit des sanctions pour les crimes de guerre commis en dehors du Canada, « mais ces actes doivent entrer dans la catégorie des crimes contre l’humanité ou des génocides », précise Mme Cohen.

Droit international

Le droit international englobe la catégorie des combattants étrangers, même s’ils ne sont pas directement enrôlés dans une armée nationale. Ceux-ci sont donc soumis à la Convention de Genève. « Ça ne veut pas dire qu’ils sont à l’abri de la loi parce qu’ils ont été définis comme des combattants humanitaires. […] Ils doivent poser des actes qui ne violent pas le droit international », indique Mme Cohen.