Jean Charest refuse de donner des entrevues sur la crise étudiante depuis son départ de la vie politique en 2012, tout comme Line Beauchamp, Michelle Courchesne et Raymond Bachand. Dix ans après le printemps érable, l’ancien premier ministre n’est toutefois pas complètement silencieux.

Il a envoyé à La Presse un petit document par courriel. Un écrit qui en dit long sur ce qu’il pense aujourd’hui de ce conflit qui a marqué la fin de sa décennie au pouvoir.

Selon son point de vue, les étudiants paient aujourd’hui, tout bien considéré, une facture qui n’est pas si différente de celle qu’il proposait à l’époque et qui a provoqué la plus longue grève étudiante de l’histoire.

« Après impôt, il n’y a qu’une différence de 367,20 $ entre le montant payé actuellement et le montant proposé en 2012 », fait valoir Jean Charest dans ce document d’une page qui s’appuie sur des chroniques de Pierre-Yves McSween (98,5 FM, en 2021) et de Stéphanie Grammond (La Presse, en 2014).

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Jean Charest au Salon Plan Nord, en avril 2012

Résumons : les droits de scolarité bruts, indexés chaque année en fonction de la croissance du revenu disponible des ménages par habitant à la suite d’une décision du gouvernement Marois, atteignent en ce moment 2725 $. La hausse proposée par le gouvernement Charest – 1625 $ en cinq ans – visait à les faire passer à 3793 $ en 2017. Une grande différence, donc… ? Pas si vite, répond M. Charest.

Il rappelle que le crédit d’impôt pour frais de scolarité a été réduit de 20 % à 8 % par le gouvernement Marois, ce qui signifie une perte pour les étudiants. Ottawa a quant à lui maintenu son crédit d’impôt à 15 %.

Selon le calcul de Jean Charest, la somme nette payée par les étudiants, après impôts, s’élève donc à 2098,25 $ aujourd’hui alors qu’elle aurait été de 2465,45 $ avec la hausse proposée par son gouvernement (si l’on considère que les droits de scolarité n’auraient pas changé depuis 2017). C’est une différence de 367,20 $.

Et c’est sans compter que les étudiants ont perdu un autre avantage fiscal en 2015, rappelle Jean Charest dans son document. Ils n’ont plus droit à la prime au travail, un crédit d’impôt remboursable pour les personnes à faible revenu.

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Manifestation étudiante devant la résidence de Jean Charest en mai 2012

Certes, le régime de prêts et bourses a été bonifié – ce que proposait aussi le gouvernement Charest. Mais les gains des étudiants à faibles revenus sont bien relatifs, laisse entendre Jean Charest. Quant aux nantis, ils s’en tirent plutôt bien.

C’est ce qui se dégage du document de l’ancien premier ministre. Ses propos feront débat ; surtout que le crédit d’impôt dont M. Charest vante la vertu est une mesure inefficace selon les associations étudiantes. Mais on comprend le fond de sa pensée.

Il croit toujours au bien-fondé de la hausse de 1625 $ en cinq ans qu’il avait proposée. Il n’a manifestement pas de regret. Tout ça pour ça, laisse-t-il également entendre.

Ses constats viennent en quelque sorte confirmer le discours qu’il tenait en 2012. La crise étudiante n’était pas seulement une histoire de droits de scolarité, selon l’analyse qu’il faisait peu de temps avant de quitter la politique. C’était aussi un mouvement visant à lui faire perdre le pouvoir, alors que son gouvernement en était à son troisième mandat.

Il avait voulu faire des élections une sorte de référendum, un choix entre l’ordre et « la rue », incarnée selon lui par le Parti québécois de Pauline Marois. La stratégie a fait chou blanc, car les étudiants ont cessé de manifester durant la campagne électorale.

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Jean Charest lors de la campagne électorale en août 2012

Jean Charest a perdu le pouvoir, par une faible marge : le PLQ a récolté 31,2 % des suffrages et 50 sièges, contre 31,95 % et 54 sièges pour le PQ qui a formé un gouvernement minoritaire.

Les libéraux n’avaient jamais pensé qu’il y aurait un tel mouvement de grève – ou de « boycott », pour reprendre leur expression de l’époque.

Aujourd’hui, avec le recul, certains reconnaissent que l’on aurait peut-être pu éviter cette crise. Le gouvernement aurait pu maintenir la hausse des droits de scolarité appliquée depuis 2007 plutôt que d’imposer une augmentation plus importante. Cette option avait été envisagée mais écartée.

On l’a oublié, mais les libéraux avaient en effet dégelé les droits de scolarité en 2007, avec une hausse de 100 $ par an sur une période de cinq ans. Il n’y avait pas eu soulèvement des étudiants.

Plutôt que de reconduire cette mesure, les libéraux avaient fait le choix d’aller plus loin, d’augmenter encore davantage la facture avec l’objectif que les étudiants paient leur « juste part » dans le financement des universités. On connaît la suite.

L’ancienne leader étudiante Martine Desjardins confie elle-même que la contestation n’aurait probablement pas levé si la hausse de 100 $ par an avait été reconduite.

Chez les libéraux, on est capable de le reconnaître aujourd’hui : le Québec n’aurait probablement pas traversé cette crise si l’on avait retenu l’option de poursuivre la hausse modérée des droits de scolarité, jusqu’à l’atteinte d’un point d’équilibre. La réaction aurait été beaucoup moins forte, spécule-t-on, sans toutefois renier la position défendue par le gouvernement à l’époque.

Même si 10 ans se sont écoulés, ce sont des choses que les libéraux préfèrent dire dans les coulisses et pas sur la place publique.