Le début d’une longue saison
« Quand on pense au printemps érable, on pense à l’été, aux casseroles, raconte le photographe Patrick Sanfaçon. Mais ça a vraiment commencé à l’hiver, avec le vote pour la grève générale illimitée et la manifestation du 23 février. » Patrick Sanfaçon couvre l’actualité depuis plus de 20 ans à La Presse. Il est habitué aux faits divers, aux affectations dures et ne compte plus depuis longtemps le nombre de manifestations qu’il a photographiées. Pourtant, celles de cette période bouillante restent gravées dans sa mémoire. « C’était exaltant », dit-il. Parmi ses photos marquantes, il y a celle-ci. « Je trouve que cette photo symbolise le cri du cœur des étudiants qui était exprimé à ce moment-là, dit-il. La manifestation a commencé à midi et s’est terminée en fin d’après-midi. On avait trouvé ça long, mais ce jour-là, on ne se doutait pas que ça allait durer jusqu’à l’été. »
La manifestation du Palais des congrès
Une des plus importantes manifestations du printemps érable se tient devant le Palais des congrès, alors qu’à l’intérieur, Jean Charest présente un discours au Salon Plan Nord. Lors de son allocution, le premier ministre fait une boutade en indiquant qu’il y a de l’emploi dans le Nord pour les étudiants qui manifestent. Selon notre photographe Alain Roberge, la tension monte d’un coup à l’extérieur lorsque les étudiants ont vent de ces propos. « Ç’a été ma manifestation la plus marquante », dit Alain Roberge qui se rappelle que les policiers interpelaient beaucoup les journalistes et les photographes ce jour-là. Lui-même a reçu un coup de matraque, en suivant l’action de près. « Je pense que cette manifestation a été l’élément déclencheur de ce qui s’est passé à Victoriaville, deux semaines plus tard », dit notre photographe, qui se rappelle que le ton a changé, ce jour-là.
L’arrestation de notre photographe
Durant cette période, plusieurs journalistes et photographes ont été arrêtés avec les manifestants, puis relâchés rapidement. L’arrestation de Martin Chamberland a été plus complexe. En 25 ans à La Presse, notre photographe en a vu de toutes les couleurs. Mais il n’oubliera jamais le 13 avril 2012. Un vendredi 13. « Ça ne s’invente pas, n’est-ce pas ? », lance Martin. Ce jour-là l’a marqué pour la vie. En matinée, il s’était rendu au bureau de la ministre de l’Éducation de l’époque, Line Beauchamp, où se trouvaient des manifestants. C’est toutefois dehors, à leur sortie, que les choses se sont gâtées. « Je suivais le groupe et les policiers sont arrivés, raconte Martin. Tout le monde s’est mis à courir partout, dans tous les sens. Ça hurlait, c’était le chaos. Je filmais une arrestation, j’étais à 10 ou 15 m de la scène. Il y avait cinq policiers. L’un d’eux s’est retourné et m’a plaqué sur la voiture. » Martin Chamberland a passé des heures les mains au dos, menottées, dont deux heures dans la voiture des policiers. Il a été conduit à un poste de police, puis à un autre, avant d’être détenu, et finalement relâché sans accusation.
L’émeute de Victoriaville
Le 4 mai 2012, des centaines de manifestants de partout au Québec se retrouvent à Victoriaville où le Parti libéral est réuni en conseil général, au Centre des congrès de la ville. La manifestation tournera rapidement à l’émeute. « Personne n’était prêt pour ça. Ni les étudiants ni la police », se souvient le photographe Edouard Plante-Fréchette. « C’est vite devenu le chaos, raconte-t-il. Il y a eu beaucoup d’échanges de projectiles et de gaz. » Notre photographe a d'ailleurs lui-même dû composer avec des émanations de gaz et se soulager avec un mélange d’eau et de Maalox appliqué dans le visage et directement dans les yeux. « On y a vu des scènes qui ressemblaient à des scènes de guerre », renchérit Martin Tremblay, qui était alors directeur photo de La Presse. Les évènements de Victoriaville ont mené à une enquête du comité de déontologie policière qui a conclu qu’un membre de l’équipe antiémeute déployé devant le Centre des congrès avait manqué de prudence dans l’exercice de ses fonctions. Plusieurs manifestants ont été blessés gravement ce jour-là.
Yalda Machouf-Khadir
Étudiante et militante, Yalda Machouf-Khadir, fille d’Amir Khadir, alors député de Mercier, se retrouve au cœur de l'actualité pendant le printemps érable. Le 20 mars, notre équipe est avertie qu’il y aura un blocus sur le pont Champlain. Les manifestants se regroupent ensuite autour du centre commercial Mail Champlain, à Brossard, où les policiers interviennent dans un contexte très chaotique. C'est à ce moment que Yalda Machouf-Khadir, qui avait participé aux évènements, est arrêtée sous les yeux du photographe Patrick Sanfaçon. Plus de deux mois plus tard, le 7 juin, notre photographe retrouve Yalda Machouf-Khadir alors que les policiers viennent la cueillir chez elle, sur le Plateau Mont-Royal. « On avait une bonne source qui nous avait prévenus qu’il y aurait une arrestation et on s’est rendus sur place tôt, raconte-t-il. Un convoi de policiers est arrivé rue Saint-Hubert. C’était très impressionnant. Ils savaient qu’ils allaient arrêter une étudiante et pourtant, il y avait un grand déploiement. »
Couvrir la crise, chaque jour
« Le printemps érable a été un moment unique pour nous, car c’était hyper visuel », dit le photographe Martin Tremblay, qui était alors le directeur photo de La Presse et qui a coordonné toute la couverture photo et vidéo de la crise. Son équipe était toujours sur le terrain. « Un soir, j’ai marché 14 km avec les manifestants. Il y avait des manifestations tous les soirs. On était toujours là », se rappelle le photographe François Roy, qui a couvert la crise en vidéo. « C’est difficile à expliquer, mais quand on arrivait sur une manif, on savait si ça allait être tranquille ou si ça allait mal tourner. »
Une tension palpable
« Il y avait une tension incroyable face aux médias mais aussi entre les manifestants, se rappelle le photographe et vidéaste François Roy. Tous n’avaient pas la même implication et à un moment donné, on a senti qu’il y avait plusieurs groupes dans ce grand groupe-là. » « Ç’a été un tournant pour les journalistes et les photographes, car ils étaient pris pour cible par les manifestants », ajoute Martin Tremblay. « On a aussi appris à comprendre la façon dont la police travaillait, explique François Roy. Quand la SQ débarquait, on savait qu’il y allait avoir des gaz fumigènes. J’ai été poivré solidement une fois ; sinon, les effluves venaient nous piquer le nez. Le SPVM travaillait avec des bombes assourdissantes. À la fin, on sentait que les policiers étaient fatigués et nous, on était brûlés. »
Propos recueillis par Stéphanie Bérubé, La Presse