La Cour du Québec diminuera de façon importante la présence en salle d’audience de ses juges en matière criminelle, au risque de prolonger des délais judiciaires déjà problématiques, a appris La Presse.

Québec s’inquiète de l’impact possible de cet allègement majeur de la charge de travail des magistrats.

La juge en chef Lucie Rondeau a annoncé cette semaine, dans une note interne, que chaque juge de la Chambre criminelle siégera seulement une journée de travail sur deux, l’autre étant consacrée à du travail personnel, essentiellement la rédaction de décisions. Actuellement, ces juges siègent deux jours sur trois.

Le changement entrera en vigueur à la prochaine rentrée.

Dans le document, Mme Rondeau reconnaît une incidence possible sur les délais judiciaires. Elle demande justement au ministre de la Justice de procéder à une importante vague de nominations de juges – 41, selon nos informations – afin de pouvoir maintenir le nombre de journées d’audience.

La Cour du Québec compte actuellement 308 juges, dont 160 siègent en Chambre criminelle.

Les juges en chef ainsi que les équipes de coordination sont arrivés à de telles conclusions en ayant à l’esprit, notamment, l’évolution de ces fonctions qui s’inscrit dans celle, tout aussi vertigineuse, du droit criminel et du droit pénal.

Lucie Rondeau, juge en chef de la Cour du Québec, dans sa note interne

En matière criminelle, les juges avaient l’habitude de rendre des décisions orales, mais la complexification des requêtes les forcerait à prendre la plume aussi souvent que leurs collègues en matière civile ou de jeunesse.

Mme Rondeau s’est dite « ravie » de pouvoir annoncer cet allègement.

Le ministre de la Justice « étonné »

D’autres risquent d’être moins souriants. Mme Rondeau n’a pas attendu de réponse du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, quant à l’embauche des 41 nouveaux juges avant d’annoncer à ses magistrats que leur tâche serait allégée.

Dans une déclaration, le cabinet du ministre qualifie la demande de Mme Rondeau de « hors du commun » et souligne l’ampleur de l’augmentation demandée.

« Nous ne pouvons […] cacher notre étonnement face à une telle demande, surtout dans le contexte où la priorité du ministre de la Justice est de diminuer les délais judiciaires en matière criminelle et pénale et d’assurer un meilleur accès à la justice », a écrit Élisabeth Gosselin, attachée de presse du ministre Jolin-Barrette. « Comme pour toute demande reçue de la Cour du Québec, nous analyserons le tout avec sérieux. »

Mme Rondeau et M. Jolin-Barrette s’affrontent depuis plusieurs mois dans un bras de fer continuel, d’abord sur le bilinguisme des juges, puis à propos du Tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale.

« La direction de la Cour du Québec ne souhaite émettre aucun commentaire sur ce thème qui concerne l’organisation interne du travail des juges », a indiqué par courriel MAnne Latulippe, de la Cour du Québec. « L’évaluation des besoins et l’utilisation optimale des ressources font partie des responsabilités de la direction de la Cour du Québec. »

Une augmentation record

L’ajout de 41 postes de juge à la Cour du Québec y constituerait un record de l’histoire récente. Depuis 20 ans, aucune vague de création de postes n’a dépassé la vingtaine de sièges. En 2016, après la publication de l’arrêt Jordan, 16 postes avaient été créés.

Cette décision de la Cour suprême du Canada imposait une limite fixe à la longueur des procédures judiciaires pénales et criminelles, à défaut de quoi elles doivent être stoppées. L’arrêt a secoué le système de justice et a mené à la relaxe de centaines d’accusés, certains de meurtre ou de corruption.

Selon nos informations, la juge Rondeau avait déjà déposé, fin 2020, une autre demande pour la création de 16 postes de juge, qui ne sont pas inclus dans les 41 ; 3 de ces 16 postes ont déjà été accordés, les 13 autres demeurent actuellement à l’étude. Le Conseil du trésor aurait évalué cette dépense à 40 millions sur 5 ans.

C’est que la création d’un poste de juge de la Cour du Québec coûte bien davantage que les 250 000 $ de salaire annuel qui lui sont remis : en plus d’un excellent régime de retraite payé à 70 % par l’État, les magistrats disposent de l’appui de personnel et d’installations physiques.