(Ottawa) La semaine a été douce-amère pour les proches des victimes du vol PS752, abattu par des missiles sol-air iraniens il y a deux ans ce samedi. Si elle a commencé avec un verdict d’un tribunal ontarien accordant 107 millions de dollars à une poignée de familles, elle a pris une tournure moins réjouissante quand Ottawa a confirmé que Téhéran n’affichait aucune volonté de négocier pour réparer les torts causés.

Le Montréalais Armin Morattab a perdu son frère jumeau, Arvin, et sa belle-sœur, Aida Farzaneh, dans la tragédie aérienne. « La vie de ma famille a été entièrement chavirée. Ils nous manquent tous les jours. On a ressenti leur absence, en particulier pendant la période des Fêtes. [Elle] pèse très lourd », a-t-il laissé tomber en entrevue, vendredi soir.

« Je suis rempli de tristesse et de rage lorsque je pense aux derniers moments qu’ils ont vécus. Des missiles, du feu, l’écrasement. Nous vivons avec cela depuis deux ans. Au début, c’était horrible d’y penser. Mais au fil du temps, nous apprenons à vivre avec cette douleur », ajoute l’homme, qui participera virtuellement à des cérémonies de commémoration de la tragédie qui se tiendront samedi à Toronto.

Le premier ministre Justin Trudeau prononcera virtuellement un discours pour marquer le coup.

À la veille de ce triste anniversaire, son gouvernement a voulu offrir un baume pour les plaies des familles et des proches des victimes : nouvelle voie d’accès à la résidence permanente pour des membres des familles de victimes vivant à l’extérieur du Canada, mise sur pied d’un programme de bourses d’études à leur mémoire, projet de construction d’un monument commémoratif.

« Le Canada continuera de se souvenir de ceux qui ont perdu la vie et d’être solidaire des personnes qu’ils aimaient. Ils ne seront pas oubliés », lit-on dans le communiqué gouvernemental où ces mesures sont présentées. Une déclaration dans laquelle on dit également qu’Ottawa est déterminé à s’assurer que Téhéran accorde des réparations complètes « pour les actions et les omissions » ayant conduit à cette tragédie.

Date butoir ignorée par l’Iran

Le 8 janvier 2020, un appareil civil de la compagnie Ukraine International Airways a été frappé par deux missiles sol-air lancés par le régime iranien alors qu’il venait de décoller de l’aéroport de Téhéran. Il s’est écrasé à 6 h 18, heure locale. Parmi les 176 victimes, 138 entretenaient des liens avec le Canada, est-il écrit dans un rapport commandé par Ottawa, intitulé Le long chemin vers la transparence, la responsabilité et la justice.

Le titre de ce document publié en décembre 2020 sous la plume de l’ex-ministre Ralph Goodale a pris tout son sens plus tôt cette semaine.

Car un groupe de pays dont des ressortissants ont été tués dans l’attaque – le Canada, le Royaume-Uni, la Suède et l’Ukraine – a confirmé dans une déclaration que l’Iran avait fait fi de la date butoir qui avait été fixée au 5 janvier, et que Téhéran rejetait désormais « toute nouvelle négociation concernant [sa] demande collective de réparations ».

Résultat : puisqu’il « serait vain de tenter de négocier avec l’Iran » sur cette question, le groupe a maintenant l’intention de se « concentrer sur les mesures à prendre » dans le « cadre du droit international », car il n’est pas question de laisser passer « cet affront à la mémoire des 176 victimes innocentes ».

Un refus de collaborer qui n’étonne en rien le politologue Thomas Juneau.

« C’est tragique, mais ce n’est pas surprenant. Il n’y avait aucune raison de s’attendre à ce qu’il y ait le moindre progrès, car ce n’est tout simplement pas dans l’approche de l’Iran de négocier de bonne foi », affirme le professeur agrégé à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa et spécialiste du Moyen-Orient. Il s’interroge sur les options qui s’offrent au gouvernement canadien pour la suite.

« C’est là que ça devient très compliqué. Le problème, c’est qu’ils n’ont à peu près aucun recours. Oui, des recours à l’Organisation de l’aviation civile internationale et à la justice internationale, on peut bien le faire, mais ça ne va pas fonctionner. Les outils qu’on a pour faire pression sur l’Iran sont minimes, voire inexistants », enchaîne M. Juneau.

Indemnisation de 107 millions

Parmi les 176 victimes du vol PS752 se trouvaient 85 citoyens ou résidents du Canada.

Du côté de l’Ontario, six familles se sont tournées vers la Cour supérieure de justice de la province pour obtenir réparation. Dans un jugement rendu en mai dernier, le magistrat Edward Belobaba a conclu que l’attaque contre l’aéronef était un « acte de terrorisme intentionnel ». Lundi dernier, il a fixé à 107 millions les dommages-intérêts punitifs à verser aux plaignants.

« C’est une victoire extrêmement significative », se félicite l’avocat Mark Arnold.

Il a obtenu gain de cause en invoquant entre autres la Loi sur l’immunité des États. En 2012, le gouvernement de Stephen Harper l’a amendée pour retirer à l’Iran son immunité, en raison de son soutien au terrorisme. Ainsi, selon la décision rendue par le juge Belobaba, l’indemnisation devrait venir de l’État iranien, de l’ayatollah Ali Khamenei ainsi que des Gardiens de la révolution islamique.

Mais les familles verront-elles vraiment la couleur de cet argent ?

« Je ne dirai pas publiquement ce que nous allons faire, mais je dirai que nous savons que l’Iran a des actifs considérables au Canada, et dans d’autres pays, que nous allons cibler », a indiqué MArnold, se désolant que le gouvernement Trudeau refuse de qualifier l’acte de terroriste.

Si le gouvernement Trudeau n’a pas accolé cette étiquette à l’abattage du vol PS752, il a cependant balayé d’un revers de main la thèse de l’erreur humaine avancée par l’Iran. En décembre 2020, Téhéran a offert un dédommagement de 150 000 $ aux familles des victimes.

Le Canada et ses partenaires ont répondu non.

Avec raison, croit Thomas Juneau : « Une indemnisation, ça doit être négocié de bonne foi, et non pas imposé par l’Iran. Politiquement, l’accepter aurait été très difficile, parce que les familles n’auraient pas accepté cela. »

Armin Morattab, lui, ne cherche pas une compensation. « Je veux que la lumière soit faite, c’est tout. »