(Washington) L’industrie canadienne du cannabis, qui mise sur la possibilité de s’étendre aux États-Unis, lorgne nerveusement le calendrier politique américain et la fenêtre législative étroite de l’administration Biden pour assouplir les interdictions fédérales sur la marijuana à des fins récréatives.

La Maison-Blanche a déclaré que le président Joe Biden soutenait la décriminalisation du cannabis, la légalisation du pot à des fins médicinales et la modification de la classification de la marijuana par le département de la Justice afin de permettre une étude plus approfondie de ses effets positifs et négatifs potentiels.

Mais alors que les démocrates détiennent actuellement toutes les cartes politiques à Capitol Hill, leur contrôle sur le Congrès reste précaire et les progressistes craignent que les républicains ne prennent le contrôle de la Chambre des représentants après le mi-mandat de 2022.

Cela signifie que si un changement doit se produire aux États-Unis, il doit se produire bientôt, a déclaré David Culver, vice-président des relations gouvernementales mondiales pour Canopy Growth, l’un des plus grands acteurs du marché légal du cannabis au Canada.

« Nous avons, à mon avis, l’environnement politique parfait pour que la réforme du cannabis se produise au cours de ce Congrès », a déclaré M. Culver dans une entrevue.

« La Maison-Blanche a clairement indiqué lors de l’entrée en fonction (de Joe Biden), du moins auprès de notre industrie, qu’elle devait maîtriser cette pandémie. Nous sommes donc dans cet environnement politique parfait depuis près de six mois maintenant […] et nous sommes toujours à attendre patiemment […] »

Le paysage du cannabis aux États-Unis est en constante évolution ; la drogue est ou sera autorisée à des fins médicales dans 36 États et à des fins récréatives dans 13, ainsi que dans le District de Columbia. Mais la loi fédérale la considère toujours comme une substance contrôlée de l’annexe I avec un risque élevé d’abus et aucun usage médical accepté, aux côtés de drogues comme l’héroïne, le LSD et le peyotl.

En conséquence, il est impossible pour les entreprises opérant dans un État où le cannabis est légal, comme la Californie ou le Colorado, d’utiliser des services bancaires ou de financement institutionnels, d’accéder aux marchés des capitaux ou de faire des affaires en dehors de leurs frontières respectives. Ils ne peuvent pas non plus profiter des déductions fiscales pour les dépenses professionnelles courantes, les biens d’équipement comme les ordinateurs ou les coûts salariaux.

Pourtant, il existe un enthousiasme généralisé parmi les acteurs canadiens à la recherche d’occasions d’expansion aux États-Unis, où la perspective d’un marché légal qui pourrait bientôt dépasser les 40 milliards américains par an offre un baume pour les résultats largement décevants au pays.

Cela ne veut pas dire que ce ne fut pas compliqué : en 2019, Canopy a conclu un accord d’acquisition élaboré avec Acreage Holdings de New York, modifié l’année dernière, qui dépend d’un « évènement déclencheur » important : des modifications à la loi fédérale américaine.

« Les États-Unis vont être un marché clé pour Canopy Growth », a déclaré le PDG David Klein dans un communiqué annonçant l’accord modifié.

Le PDG d’Aphria, Irwin Simon, a déclaré à peu près la même chose en avril à propos de l’acquisition par sa société ontarienne de SweetWater Brewing, un fournisseur de bière artisanale d’Atlanta dont les marques s’appuient sur un mode de vie lié au cannabis. Aphria a fusionné le mois dernier avec le géant britanno-colombien Tilray, qui contrôle désormais plus de 17 % du marché de détail du cannabis au Canada.

Valens, de Kelowna en Colombie-Britannique, a accepté en avril de dépenser 40 millions US pour racheter Green Roads, un producteur d’huiles, d’onguents topiques, de produits comestibles et de suppléments infusés de cannabidiol, ou CBD, un composant non intoxiquant de la plante de marijuana.

Tant que la pandémie de COVID-19 continuera de ralentir aux États-Unis, M. Culver a dit s’attendre à ce que l’administration Biden et le Congrès prennent au sérieux la réforme du cannabis à un moment donné à l’automne.

Cela pourrait se produire de plusieurs manières : le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer, prévoit un effort législatif global pour retirer entièrement le cannabis de la liste fédérale des substances contrôlées. À défaut de quoi, le SAFE Banking Act – un projet de loi qui vise à rendre le financement plus accessible – a déjà été adopté par la Chambre des représentants et est actuellement devant une commission sénatoriale.

En février, M. Schumer et ses alliés démocrates, le sénateur Cory Booker du New Jersey et le sénateur Ron Wyden de l’Oregon, ont promis de commencer à rédiger leur législation « au début de cette année » et qu’il s’agirait d’une priorité absolue pour le Sénat.

La politique, cependant, est compliquée. M. Schumer a déclaré qu’il craignait que les législateurs américains qui hésitent devant une légalisation à part entière ne considèrent la SAFE Banking Act comme un compromis plus raisonnable si elle devait d’abord être votée au Sénat.

« Il y a un énorme défi politique à faire en sorte que tous les partisans de la réforme s’entendent sur le bon modèle », a déclaré Douglas Berman, professeur de droit à l’Ohio State University et expert en politique de la marijuana.

« Il devient dangereusement facile pour le statu quo de persister, même s’il existe une affinité généralisée pour la réforme. »

Tout le monde dans le secteur aux États-Unis ne souhaite pas que les lois fédérales changent.

Vivre à l’intérieur d’un jardin clos a ses avantages, a déclaré Frank Knuettel, directeur général de Terra Tech, un producteur de haute technologie et exploitant de dispensaire avec des installations en Californie et au Nevada.

« En fait, j’aime le fait que ce soit illégal au niveau fédéral en ce moment, car nous avons un fossé concurrentiel autour de l’entreprise », a expliqué M. Knuettel.

« Nous avons la possibilité de bâtir notre entreprise et notre industrie sans la concurrence extérieure de très grandes sociétés de produits de consommation emballés ou de sociétés de boissons ou de tabac. »

M. Knuettel a déclaré qu’il s’inquiétait plus de ces poids lourds – l’industrie du tabac en particulier – que de la perspective d’une invasion canadienne du secteur américain du cannabis.

« La consommation de tabac est en baisse, et même si c’est toujours une très bonne vache à lait, ils doivent regarder vers l’avenir et se demander combien de temps cette vache à lait va durer », a-t-il déclaré.

« Je pense que la menace de l’industrie du tabac est potentiellement la plus grande menace que notre industrie et toute entreprise qui la composent peuvent voir. »