Bien des gens ont sursauté en voyant que le ministre chargé de la lutte contre le racisme était un homme blanc, ministre de l’Environnement.

Aurait-on nommé un homme ministre de la Condition féminine ?

Ou encore un anglophone responsable de la lutte pour les droits des francophones ?

Et quel message envoie-t-on lorsqu’un ministre de l’Environnement, qui devrait être débordé avec un plan de lutte contre l’urgence du siècle, se voit confier la mise en œuvre d’un autre plan que l’on dit urgent ? Est-ce à dire que l’on considère que ce n’est pas si urgent ?

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Benoit Charette a été nommé mercredi ministre responsable de la lutte contre le racisme.

Ce sont toutes de bonnes questions. Mais j’avoue que la couleur de la peau et l’emploi du temps déjà chargé du ministre Benoit Charette ne sont pas les choses qui m’ont fait le plus sursauter.

Je ne doute pas que Benoit Charette ait à cœur la lutte contre le racisme et que son expérience personnelle, comme père d’enfants métissés, l’ait sensibilisé à ces enjeux. Je veux bien laisser la chance au coureur. La nomination d’un ministre responsable de la lutte contre le racisme est en soi une bonne nouvelle.

Ce qui m’a laissée plus perplexe, ce sont les arguments du ministre pour expliquer son aversion au concept controversé de « racisme systémique ».

Pourquoi récuse-t-il ce concept ? En guise d’explication, le ministre Charette a invoqué le fait que le « système » au Québec, grâce à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) chargée du respect de la Charte des droits et libertés, protège l’ensemble des citoyens, peu importent leurs origines.

À l’appui de son raisonnement, il a cité une expérience personnelle : il y a plusieurs années, sa conjointe d’origine haïtienne et lui ont porté plainte à la CDPDJ après s’être vu refuser un logement. Résultat : ce même « système » que l’on pointe en parlant de « racisme systémique » a permis au couple d’avoir gain de cause et de faire valoir ses droits. Selon lui, le racisme est essentiellement un problème individuel, et non systémique, car le système lui-même s’y oppose.

Que le ministre tout juste nommé par le premier ministre François Legault fasse sien le déni de son gouvernement au sujet du racisme systémique est dans l’ordre des choses. Dans un monde idéal, on peut toujours espérer que, inspiré par la sage réflexion de Boucar Diouf, le point de vue du gouvernement Legault puisse aussi évoluer et qu’il finisse par admettre que le mot en « s » n’est pas qu’une question de sémantique. Mais il semble que l’on n’en soit pas encore là.

> (Re)lisez le texte « Le mot en “s” pour systémique »

Il n’en demeure pas moins qu’il y a là quelque chose d’absurde. Dire que la dimension systémique du racisme n’existe pas, car le système, grâce au travail méconnu de la CDPDJ, est contre le racisme, c’est comme dire que la violence systémique à l’égard des femmes n’existe pas, car le système l’interdit aussi.

Pourtant, on sait fort bien que l’égalité de droit ne garantit en rien l’égalité de fait. Si c’était le cas, on n’aurait pas à déplorer, par exemple, autant de meurtres conjugaux — il y en a eu trois seulement depuis une semaine au Québec.

> (Re)lisez notre article « Une femme de 44 ans tuée à Saint-Hyacinthe »

La loi interdit bien sûr ces crimes et les punit. La société condamne la violence conjugale. Mais alors que le taux de criminalité est à la baisse pour tous les types de crimes recensés sauf les cas de violences faites aux femmes, les féminicides se suivent et se ressemblent.

Pourquoi donc ? Parce qu’il y a là des enjeux systémiques que l’on ne peut pas écarter d’un revers de la main en disant simplement que la loi protège les femmes. Réduire la violence conjugale à sa dimension individuelle, c’est rater l’occasion de la prévenir et de l’enrayer.

C’est d’ailleurs dit noir sur blanc dans le rapport dévoilé en décembre 2020 par le Comité d’examen des décès liés à la violence conjugale mis sur pied par le Bureau du coroner : afin d’identifier les meilleures solutions pour mettre fin à cette violence, il importe d’identifier les « enjeux systémiques ».

En utilisant le mot en « s », il ne s’agit pas ici de déresponsabiliser les individus qui commettent ces crimes. Il ne s’agit pas non plus d’accuser le Québec tout entier d’être sexiste ou misogyne. Ce serait grotesque, sachant que, même s’il reste beaucoup de travail à faire, notre société demeure l’une des plus progressistes en matière d’égalité hommes-femmes. C’est au contraire une façon d’être plus égalitaire encore et d’être vraiment sérieux dans notre lutte contre la violence.

C’est la même chose lorsque l’on évoque la dimension systémique du racisme.

Ce qui est particulièrement ironique, c’est que, pour appuyer son déni, le ministre Benoit Charette invoque l’existence même de la Commission des droits de la personne comme preuve que le « système » fait son travail… Cette même Commission dont une des raisons d’être, faut-il le rappeler, est quoi ? La lutte contre le racisme et la discrimination systémiques.

En octobre dernier, au moment de faire le bilan de la dernière décennie, le constat de la Commission n’avait rien de réjouissant. La majorité des recommandations qu’elle avait émises pour lutter contre le profilage racial et la discrimination systémique en 2011 n’avaient toujours pas été mises en œuvre ou ne l’avaient été qu’en partie. D’où cet appel qu’elle lançait encore une fois au gouvernement : il est urgent d’adopter une politique québécoise de lutte contre le racisme et la discrimination systémiques.

Faut-il comprendre que, selon le ministre responsable de la lutte contre le racisme, la Commission en appelle à lutter contre quelque chose qui n’existe pas ?

Sachant que le meilleur des remèdes ne vaut pas grand-chose si l’on se trompe de diagnostic, je dirais plutôt ceci : tant que l’on ne reconnaîtra pas en haut lieu ce contre quoi il faut lutter, aussi bien intentionné que soit le docteur, des doutes subsisteront quant à l’efficacité du traitement.

> Consultez le rapport sur la violence conjugale

> Consultez le bilan de la CDPDJ