« Aujourd’hui j’ai passé une belle soirée entourée des miens pour célébrer Noël en famille comme il se doit et sérieusement J’M’EN CALISSE DE VOTRE JUGEMENT. »

C’était le 19 décembre et c’était le statut Facebook d’une jeune mère de trois enfants de Montréal. Suivaient 41 photos de la « belle soirée » de Noël avec plusieurs adultes et enfants, tous photographiés en pleine proximité, comme si la pandémie n’existait pas.

Le 11 janvier, la mère de trois jeunes enfants relayait cet « argument » complotiste voulant que « 37 528 000 de Canadiens n’ont pas la COVID-19 – 99,8 % de la population – Bonne journée ».

Bref, une complotiste ordinaire.

Peu après, le père des enfants a éprouvé des symptômes typiques d’une infection au coronavirus, notamment une perte de goût et d’odorat.

Résultat : le groupe d’un des enfants du couple fréquentant un CPE de Montréal a dû être fermé, par mesure préventive.

La personne qui m’a relayé l’information – info que j’ai pu confirmer de façon indépendante – était outrée que la négligence affichée et assumée de cette famille ait entraîné l’isolement d’une vingtaine d’enfants, ce qui affecte bien sûr autant de familles.

J’ai choisi de n’identifier ni la mère (qui n’est pas une leader complotiste) ni le CPE (qui va passer une sale semaine s’il est nommé ici). Ce qui m’intéresse dans cette histoire, et ce qui me donne le vertige en même temps, dépasse ce couple…

On va faire quoi, comme société, pour combattre la pauvreté « informationnelle » qui permet aux désinformateurs de recruter impunément des gens comme cette mère de famille et son mari ?

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La Presse rapportait la semaine dernière que les complotistes vont tenter de déstabiliser les centres de vaccination. Déjà, en décembre, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) prévenait que des menaces pesaient sur l’effort de vaccination à venir.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Des opposants aux consignes sanitaires imposées par le gouvernement Legault ont manifesté à Montréal en décembre 2020.

Mais l’exemple le plus frappant, le plus effrayant de ce que la pollution mentale causée par le déversement de théories du complot peut entraîner, demeure l’attaque du Capitole, à Washington. C’est un point de bascule. Ce jour-là, le 6 janvier 2021, des milliers d’Américains qui vivent dans la fiction que leur pays leur a été « enlevé » et que le président s’est fait « voler » l’élection ont ciblé des élus avec l’intention très claire d’en tuer quelques-uns…

Ceux-là baignent, comme des milliers d’autres, dans l’univers des « faits alternatifs ». Vous vous souvenez des « faits alternatifs » ? Une conseillère de Trump avait lancé en pleine entrevue qu’il existe des « faits alternatifs » en marge de la vérité, c’était il y a quatre ans très exactement…

On s’était bien moqué d’elle !

On sait désormais où peuvent mener les « faits alternatifs » qui créent les mythes complotistes : au lynchage.

Cela a toujours existé, je sais. Les Protocoles des Sages de Sion n’ont pas eu besoin de YouTube, de Twitter et de Facebook pour exciter les antisémites européens et créer le terreau pour le génocide de la Seconde Guerre mondiale.

Mais YouTube, comme Facebook et comme Twitter, est un accélérateur de faussetés, sur le même modèle que l’accélérateur de particules qui a permis à des physiciens de recréer la seconde après le Big Bang…

Ça fait des années que j’écris là-dessus, sur cet univers à première vue loufoque du complotisme, depuis la montée des « truthers » du 11-Septembre, en fait. J’y voyais une tendance inquiétante, mais qui restait confinée dans le patelin de l’imaginaire…

Les années Trump ont cristallisé toutes les peurs que je ne pouvais nommer précisément sur l’effet que les mensonges accélérés par nos mondes virtuels peuvent avoir dans le monde réel.

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Le Washington Post rapportait samedi que l’exil numérique de Trump et des principaux comptes relayant ses mensonges ont eu un effet vérifiable : les « conversations » sur la fraude électorale ont plongé de 73 % après le bannissement de ces désinformateurs des réseaux sociaux.

C’est une leçon pour l’avenir : les géants qui contrôlent les conversations numériques ont une responsabilité dans la qualité du discours démocratique, parce que les faussetés qui y sont relayées en toute impunité radicalisent des milliers de personnes…

Ce qui me ramène à la maman qui se vantait sur Facebook, photos à l’appui, de se réunir en famille pour défier les règles sanitaires visant à nous protéger, tous, et qui disait se « câlisser » du jugement des autres…

C’est elle qui a prévenu le CPE que son conjoint avait des symptômes de COVID-19 et qu’il allait se faire tester.

Elle a volontairement choisi de garder ses enfants à la maison… En conformité avec les exigences de la Santé publique.

Je m’accroche à cette information que j’ose qualifier de réjouissante pour garder l’espoir que les gens qui se sont radicalisés en ligne pendant cette pandémie, pendant les quatre dernières années, peuvent, peut-être, revenir à la raison.