Une policière qui pénètre sans y avoir droit dans une résidence et y saisit des biens. Des policiers qui détiennent illégalement un individu. Un policier qui a recours à une force plus grande que nécessaire en saisissant un manifestant à la hauteur du cou.

Ce sont quelques-uns des cas entendus cette année par le Comité de déontologie policière et les tribunaux concernant des gestes commis par des policiers québécois, et qui sont répertoriés dans le rapport annuel 2020-2021 du Commissaire à la déontologie policière du Québec.

Le rapport fait état d’une hausse des plaintes, qui s’établissent à 2407 cette année, une augmentation de 35 % depuis quatre ans. Le nombre d’enquêtes ouvertes par le Commissaire à la suite de plaintes est aussi en hausse. Il est passé de 146 enquêtes ouvertes il y a 4 ans à 220 cette année, une augmentation de 50 %.

  • IMAGE TIRÉE DU RAPPORT DU COMMISSAIRE À LA DÉONTOLOGIE POLICIÈRE

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Quant au nombre de dossiers menant aux dépôts de citations, déposés par le Commissaire lorsqu’il estime que la preuve le justifie, il est également en forte hausse. Il y a 4 ans, 39 dossiers ont été déposés en citation. Cette année, 82 dossiers l’ont été, note le rapport, qui couvre la période allant du 1er avril 2020 au 31 mars 2021.

« Ça envoie tout un message »

Cette hausse est-elle due au fait que de plus en plus d’actes répréhensibles sont commis par des policiers ? Ou bien que le public est plus au fait de ses droits et hésite moins à dénoncer ?

« C’est potentiellement un mélange des deux, estime Max Stanley Bazin, président de la Ligue des Noirs du Québec. Les gens sont de mieux en mieux informés, et des organismes comme le nôtre font en sorte que les abus sont signalés. »

Selon M. Stanley Bazin, certains policiers ne respectent pas les droits des citoyens de manière systématique.

Ce n’est évidemment pas le cas de tous les policiers, mais tant qu’il n’y aura pas de vraies sanctions, de sanctions exemplaires, ça va toujours continuer.

Max Stanley Bazin, président de la Ligue des Noirs du Québec

Selon MFernando Belton, président de la Clinique juridique de Saint-Michel, le rapport est inquiétant, car à peine 3 % des 2407 plaintes aboutissent devant le Comité de déontologie policière, remarque-t-il. « Dans les années précédentes, on était toujours à 6 % ou 7 %. Donc, il y a pratiquement deux fois moins de dossiers qui se rendent devant le comité qui a le pouvoir de sanctionner un policier pour un acte dérogatoire. C’est inquiétant. Je ne crois pas que ça reflète le nombre de fautes commises – l’augmentation du nombre de plaintes prouve le contraire. »

Sur 308 plaintes qui ont été faites en matière de profilage racial, aucune n’a donné lieu à une citation devant le Comité de déontologie, note-t-il. « Ça envoie tout un message. Ce qu’on dit aux victimes, c’est : “croyez dans le système, mais vous, on ne vous croit pas”. C’est complètement paradoxal. »

MBelton et plusieurs de ses collègues ne portent souvent même plus plainte en déontologie policière dans des causes de profilage racial. « Le nombre de barrières est énorme. Il faut faire partie du 3 %, et ensuite, il faut plaider sa cause. Ce n’est pas gagné d’avance. »

Rémi Boivin, professeur agrégé à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, note quant à lui que les reproches adressés aux policiers – qu’ils soient fondés ou non – concernent une partie infime des interventions réalisées par les policiers de la province.

« Pour mettre cela en perspective, on parle de moins de 100 dossiers par année qui mènent au dépôt de citations, et ce, alors que les différents corps policiers de la province mènent des millions d’interventions. C’est quand même une bonne moyenne au bâton… L’objectif est d’avoir zéro citation, mais ça reste quand même illusoire. »

Il remarque aussi que le taux de refus des plaintes est « assez élevé » : il tourne autour de 64 %, soit sensiblement la même proportion qu’il y a quatre ans, où les rejets atteignaient 63 %.

Il note que la « police n’est pas indépendante de la société », et qu’elle en fait partie. « Quand il y a une hausse de plaintes, ce lien-là entre la police et la société est moins évident. La piste de réflexion à avoir, c’est : est-ce que les services policiers d’aujourd’hui répondent bien aux besoins de la société d’aujourd’hui ? C’est ce que je retiens de ce rapport. »

Jointe par La Presse, l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ) n’a pas souhaité réagir au rapport.

Sanctions minimes

Au cours de l’automne, plusieurs cas de violence policière ont fait la manchette, notamment le passage à tabac de Pacifique Niyokwizera. Ce jeune Québécois de 18 ans a été violemment interpellé par la police de Québec, et les images montrant un policier lui jeter de la neige au visage ont provoqué un tollé.

M. Stanley Bazin note que, selon la version du jeune homme, il a été mis à terre juste parce qu’il filmait le travail des policiers.

« Il s’est retrouvé mêlé à un évènement auquel il n’aurait même pas dû être mêlé. Je précise que filmer est permis tant que ça n’entrave pas le travail des policiers. Dans son cas, c’est tellement vrai qu’aucune accusation n’a été déposée contre lui. »

Dans ce cas, le policier pourrait être accusé de voie de fait, ou encore de voie de fait avec lésions, puisque les yeux de Pacifique Niyokwizera étaient injectés de sang après les évènements, selon M. Stanley Bazin. Plusieurs enquêtes ont été déclenchées, notamment auprès du Commissaire à la déontologie policière et par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), à la demande de la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault.

Lorsqu’un membre d’un autre corps de métier, un ingénieur par exemple, commet une infraction objectivement moins grave, il reçoit des sanctions beaucoup plus sérieuses que celles auxquelles sont exposés les policiers, signale M. Stanley Bazin.

Un ingénieur peut voir son droit de pratiquer suspendu pendant 2 à 3 mois, alors que le policier qui commet un acte objectivement beaucoup plus grave aura une sanction qui peut aller de 5 à 14 jours. C’est scandaleux.

Max Stanley Bazin, président de la Ligue des Noirs du Québec

Selon MBelton, l’un des gros problèmes est la procédure de « conciliation » qui est au cœur du processus de traitement des plaintes en déontologie policière. Il s’agit d’une rencontre dans une pièce entre la victime et le ou les policiers qu’elle accuse d’avoir commis un acte dérogatoire à son égard. « C’est obligatoire : si vous refusez la conciliation, on peut fermer votre dossier. Vous êtes assis devant les policiers, et vous devez vous parler. C’est comme si une victime d’agression sexuelle devait s’asseoir en face de son agresseur et devoir se plaindre devant lui, face à face. Je comprends l’idée derrière la conciliation, mais je ne comprends pas comment on peut imposer ça aux personnes qui estiment être des victimes. »

Gestes encourageants

En 2021, le gouvernement Legault a fait plusieurs gestes qui étaient réclamés par les groupes de défense des minorités.

Le gouvernement a annoncé en décembre un investissement dans la formation du personnel policier pour contrer le profilage racial et social. De plus, le mois dernier, le gouvernement du Québec a lancé une première campagne publicitaire pour combattre le racisme et mettre fin aux préjugés.

L’un des objectifs de la Ligue des Noirs pour l’année 2022 est aussi de faire en sorte que certains actes racistes soient inscrits dans le Code criminel, dit-il. « En France, les actes racistes sont intégrés dans le Code pénal depuis 2017. Ce qui est bon pour les Français devait être bon pour les Canadiens également. »