(Ottawa) La ministre de la Défense, Anita Anand, soutient qu’elle prépare déjà l’armée à agir rapidement sur les recommandations de la juge à la retraite de la Cour suprême Louise Arbour pour éliminer les inconduites sexuelles au sein des Forces – ce qui pourrait arriver dès le printemps prochain.

Ces préparatifs consistent notamment à jeter les bases d’un « mécanisme de surveillance indépendant », comme les victimes et les experts le réclament depuis longtemps, même si la ministre prévient qu’elle ne prendra pas de décisions finales tant qu’elle n’aura pas lu le rapport final de Mme Arbour.

« Je suis très ouverte aux suggestions de Mme Arbour si elles devaient aller en ce sens », a déclaré cette semaine la nouvelle ministre de la Défense nationale dans une entrevue exclusive à La Presse Canadienne. « Je ne vais pas mettre en œuvre un tel processus avant de l’entendre. Mais je travaille assurément à préparer le terrain pour garantir qu’il existe une sorte de mécanisme ou d’organe de responsabilité indépendant qui pourra accueillir les plaintes des survivantes et des plaignantes. »

Le gouvernement libéral a demandé à l’ex-juge Arbour, en avril dernier, de mener un examen indépendant de la gestion par l’armée des cas d’agressions sexuelles, de harcèlement et d’autres inconduites, et de proposer un plan détaillé pour enfin résoudre ce problème, après plusieurs échecs passés.

Cet examen a été demandé en réponse à des allégations explosives de comportement sexuel inapproprié de la part de plusieurs officiers supérieurs de l’armée. Le gouvernement libéral et le prédécesseur de Mme Anand, Harjit Sajjan, ont aussi été critiqués pour leur gestion des allégations visant les plus hauts gradés de l’état-major.

Mme Anand, qui a pris ses nouvelles fonctions en octobre, a déclaré qu’elle était en contact régulier avec la juge à la retraite de la Cour suprême et ancienne haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, pour s’assurer qu’elle obtient les informations et les réponses de l’armée dont elle a besoin pour mener à bien sa tâche. « Nous attendons son rapport final au printemps prochain et nous allons agir dès que possible », a assuré Mme Anand.

Un organe indépendant

Peu de gens mettent en doute les qualifications de Mme Arbour, mais les libéraux ont été critiqués pour avoir commandé cet autre examen, alors qu’une autre juge à la retraite de la Cour suprême, Marie Deschamps, avait mené sa propre enquête externe en 2014-2015.

Les partis d’opposition et d’autres observateurs ont plutôt demandé au gouvernement de mettre en œuvre la recommandation clé de Mme Deschamps : créer un « centre indépendant de responsabilisation » en matière de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle, à l’extérieur des Forces armées.

Ce centre aurait la responsabilité « de recevoir les signalements de comportements sexuels inappropriés, de mener les activités de prévention, de coordonner et de surveiller la formation, de faire de la recherche, de fournir le soutien aux victimes, de faire le suivi de la responsabilisation, et d’agir comme autorité centrale pour la collecte de données », recommandait Mme Deschamps dans son rapport final, en mars 2015.

Mme Anand a toutefois défendu l’approche adoptée par son gouvernement, soulignant que l’examen de Mme Deschamps visait à découvrir l’étendue des problèmes en matière d’inconduites sexuelles, alors que Mme Arbour doit plutôt « fournir de manière pragmatique une feuille de route sur la façon de mettre en œuvre la réforme ».

Dans une interview plus tôt cette année, Mme Arbour avait d’ailleurs brossé un tableau similaire de la différence entre l’enquête de Mme Deschamps et la sienne.

Pour illustrer ce point, la ministre Anand rappelle sa décision, le mois dernier, d’accepter la « recommandation préliminaire » de Mme Arbour pour que l’armée transfère aux autorités civiles, au moins temporairement, l’enquête et les poursuites sur les cas d’agression sexuelle dans l’armée.

Résistance de l’appareil ?

Mme Arbour a inclus une liste d’actions et de considérations pour cette transition, a déclaré la ministre. « Je m’attends, et j’espère que le rapport final de Mme Arbour contiendra, en ce qui concerne toutes ses recommandations, une feuille de route similaire pour la mise en œuvre. »

Mme Anand a déclaré qu’une plus grande responsabilité est au cœur de son travail en tant que ministre de la Défense, et qu’elle est « pleinement consciente des avantages d’un mécanisme de contrôle ou de responsabilité indépendant », étant donné son expérience passée en tant qu’avocate et experte en gouvernance d’entreprise.

Lorsqu’on lui a demandé comment elle surmonterait toute résistance au sein de l’armée aux réformes nécessaires, elle souligne son travail plus tôt cette année à la tête des efforts du gouvernement fédéral pour se procurer des vaccins contre la COVID-19.

Dans le même temps, Mme Anand soutient que depuis sa nomination à la Défense, elle a senti dans ses conversations avec des officiers de haut rang et des militaires subalternes « un désir de changement au sein des Forces armées canadiennes, une volonté de réforme ».

« À mon avis, pour que nous ayons des forces armées capables de protéger le Canada et d’aller dans le monde […] nous devons avoir une force où le recrutement est solide, où les membres sentent qu’ils peuvent y venir et être en sécurité et protégés pendant qu’ils font leur travail. »