Trois ministres du gouvernement Trudeau se sont levés en chambre lundi pour assurer que l’accueil des migrants à Saint-Bernard-de-Lacolle se fait de façon responsable et à coût raisonnable. Mais ils n’ont pas accepté de dévoiler la somme secrète qui est versée à un homme d’affaires du coin pour héberger les demandeurs d’asile et les fonctionnaires qui s’occupent d’eux.

La Presse a révélé lundi que le gouvernement fédéral avait loué pour 10 ans, sans appel d’offres, les terrains de l’homme d’affaires Pierre Guay, afin de gérer le flot de demandeurs d’asile qui entrent au pays de façon irrégulière par le chemin Roxham. Même si les tribunaux ont déjà déterminé que les baux du gouvernement étaient une information publique dans d’autres dossiers, Ottawa insiste pour garder secret le coût de cette location.

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M. Guay est un important contributeur du Parti libéral du Canada. De 2004 à aujourd’hui, selon Élections Canada, il a donné environ 23 000 $ à la formation politique. Son fils, qui est aussi impliqué dans l’entreprise familiale, a donné environ 2500 $ au parti en 2018 et en 2019. Les deux hommes ont participé à une soirée de financement avec la ministre Chrystia Freeland en 2019.

Passe d’armes

Le dossier a donné lieu à une passe d’armes entre le député conservateur Pierre Paul-Hus et le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, au parlement.

Lorsque M. Paul-Hus a demandé au gouvernement de dévoiler la valeur du contrat signé avec « un ami libéral », le ministre a répondu que le contrat avait été attribué « à sa juste valeur marchande ».

« Il faudrait savoir que le même donateur a donné au Parti conservateur pendant huit ans… », a-t-il ajouté. Les données d’Élections Canada montrent en effet que Pierre Guay a aussi versé près de 4000 $ au Parti conservateur de 2007 à 2015.

« Mais depuis 2015, c’est au Parti libéral qu’il donne. Ce qu’on peut voir actuellement, c’est que le contrat, ou le kickback, est très important », a répliqué M. Paul-Hus.

Le ministre Miller s’est alors fait cinglant, en soulignant que le député conservateur semblait associer le financement politique et la distribution de faveurs. « S’il parle de kickback, est-ce qu’il a quelque chose sur la conscience, monsieur le Président ? Alors il devrait peut-être répondre sur ce qu’il a fait pendant huit ans, lui », a lancé le ministre.

Le président de la Chambre, Anthony Rota, a rappelé les élus à l’ordre après cet échange musclé. « Il faut se respecter les uns les autres, mais aussi, il faut se rappeler que quand on jette des roches, on s’attire des bosses », a-t-il souligné.

Tir groupé

Les autres partis de l’opposition ont aussi tapé sur le clou. Le député bloquiste de Lac-Saint-Jean, Alexis Brunelle-Duceppe, a souligné que la signature d’un nouveau bail de cinq ans avec Pierre Guay laissait entendre que les entrées par le chemin Roxham allaient se poursuivre longtemps.

Cela veut dire que, pendant cinq ans, le fédéral n’a pas l’intention de fermer le chemin Roxham. Peut-on encore parler de passages irréguliers quand le fédéral est en train de rendre permanentes ces installations d’accueil et ces ressources ?

Alexis Brunelle-Duceppe, député du Bloc québécois

« Pourquoi est-ce qu’il légalise ce passage illégal des frontières au lieu de s’occuper du problème une fois pour toutes en suspendant l’Entente sur les tiers pays sûrs ? », a-t-il demandé.

L’Entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis force les migrants à demander l’asile politique dans le premier pays sûr où ils arrivent. Ceux qui se trouvent sur le sol américain et souhaitent poursuivre leur route vers le Canada ne peuvent donc pas passer par un poste-frontière, où ils seraient refoulés. Ils doivent trouver une façon irrégulière d’entrer au pays pour pouvoir faire une demande d’asile une fois qu’ils se trouvent déjà sur le sol canadien.

Le député néo-démocrate Alexandre Boulerice a lui aussi demandé au gouvernement de renoncer à l’Entente sur les tiers pays sûrs, mais sans qualifier les passages irréguliers d’illégaux.

« Des milliers de migrants fuient la persécution pour trouver refuge chez nous. Ils ne sont pas illégaux, ils sont désespérés. Les libéraux ont décidé d’aider un donateur du Parti libéral à faire de l’argent sur le dos de ces personnes », a-t-il accusé.

Obtenir la meilleure valeur

La ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Filomena Tassi, a répliqué que le bail avait été négocié pour arriver à un prix compétitif. « Notre gouvernement livre un processus d’approvisionnement équitable, ouvert et transparent, tout en obtenant la meilleure valeur pour les Canadiens », a-t-elle assuré.

Plus de 450 migrants ont été accueillis à Saint-Bernard-de-Lacolle depuis la réouverture du chemin Roxham, le 21 novembre, selon le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile. Le ministre de l’Immigration, Sean Fraser, a dit qu’il travaillait étroitement avec le gouvernement du Québec pour s’assurer que ces personnes soient traitées convenablement.

« Je vais aussi vous dire que j’ai eu un appel très productif à ce sujet et d’autres aussi récemment que la semaine dernière », a-t-il expliqué.