Le métier, les médias, la salle de rédaction de La Presse, et vous

Habituellement, on critique les médias québécois parce qu’ils accordent trop peu d’importance à l’actualité se déroulant à l’étranger. On qualifie la nouvelle internationale de parent pauvre de la couverture journalistique.

Ce n’est pas tout à fait faux.

J’ai donc été très surpris quand j’ai appris qu’un essai* allait être publié par deux universitaires qui se demandent si la politique américaine prend dans les médias d’ici… trop de place !

Une curieuse question, à mon sens, puisqu’il est bien difficile de tracer la ligne de l’exagération.

Mais la réflexion n’est pas inintéressante. Posons-nous donc la question autrement : la grande place qu’occupe chez nous la nouvelle en provenance des États-Unis est-elle justifiée, ou non ?

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Le grand mérite de La Maison-Blanche vue du Québec, signé par les professeures de l’Université de Sherbrooke Karine Prémont (politique américaine) et Marie-Ève Carignan (journalisme), c’est qu’il dissèque « le rapport complexe qu’entretiennent les Québécois et leurs médias » avec la politique américaine. Il le place aussi dans son contexte historique.

On apprend ainsi que le Québec n’a pas attendu Obama ou Trump pour s’intéresser à ce qui se passe aux États-Unis.

Le livre remonte aux journaux du siècle dernier pour nous rappeler qu’il y a belle lurette que nous cultivons collectivement une fascination pour notre voisin.

Aujourd’hui, on tend l’oreille parce qu’on perçoit chez nous les impacts du protectionnisme américain et d’un possible « shutdown ». On sent les relents des phénomènes sociaux comme Black Lives Matter et MeToo dans nos propres débats. On discute de « cancel culture » et de « définancement » de la police, des enjeux qui ont pris racine aux États-Unis.

Mais cette proximité, on la ressentait aussi il y a 100 ans, pour d’autres raisons : la prohibition de l’alcool, les impacts de la guerre de Sécession ou encore… le protectionnisme, déjà là à l’époque !

Imaginez : en 1912, La Presse dévoilait en direct à une foule massée devant son édifice de la rue Saint-Jacques les résultats de l’élection américaine qui a couronné Woodrow Wilson à l’aide d’un système de lettres formées de lampes électriques !

Et en 1928, par exemple, CKAC interrompait constamment sa programmation pour diffuser à intervalles réguliers les résultats du scrutin qui s’est soldé par l’élection de Herbert Hoover. Et ce, expliquait-on alors, pour répondre « au désir d’un grand nombre de radiophiles » québécois.

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Les Québécois ont donc les yeux rivés sur la politique américaine depuis longtemps. Et cet intérêt n’a fait qu’augmenter avec le temps et avec la croissance des échanges économiques.

À preuve, un sondage que nous avons mené auprès de nos lecteurs ces derniers jours** révèle qu’une majorité d’entre eux (81 %) affirment avoir de l’intérêt pour l’actualité politique américaine. Et plus encore, 51 % d’entre eux ont vu leur intérêt bondir ces dernières années, avec l’entrée en scène de Trump.

Plus significatif encore : pas moins de 94 % de nos lecteurs affirment avoir suivi les élections américaines en 2020 !

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Ne vous demandez donc pas pourquoi les médias québécois couvrent autant la politique américaine. Pas pour « nourrir la bête » ni pour multiplier les clics ou « parce que c’est payant », comme l’affirment certains intervenants dans le livre.

Quel drôle d’argument d’ailleurs : si les médias couvrent beaucoup un sujet, à leurs yeux, c’est parce que ça fait vendre de la copie !

Peut-être le font-ils simplement parce que les lecteurs… en ressentent le besoin ?

Peut-on envisager que l’on choisisse de couvrir certains sujets de manière importante… pour être pertinents ?

Faudrait-il écrire sur des sujets qui n’intéressent personne… pour mieux faire notre travail ?

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Ce qui nous amène à la question posée par Marie-Ève Carignan dans son introduction : « Est-ce qu’on en fait trop ? » Ou est-ce que cette couverture est justifiée ?

On ne retrouve pas clairement la réponse dans le livre. Mais je répondrais personnellement que cette couverture se justifie amplement.

On en fait beaucoup, c’est vrai. Et tout n’est pas parfait.

En général, nous avons eu de la difficulté dans les médias québécois, par exemple, à couvrir Trump de manière neutre… et Obama aussi ! Nous avons peut-être été trop durs envers le premier, et pas assez envers le second dans ses premières années au pouvoir.

Nous avons donné trop souvent la parole à des experts et des universitaires américains avec un penchant démocrate (pas toujours facile de trouver des supporters de Trump, même parmi les universitaires à tendance républicaine !). Nous avons tardé à envoyer des journalistes dans les secteurs les plus républicains au Sud avant 2016.

Mais avons-nous trop couvert la politique américaine ?

Je ne crois pas, puisque l’intérêt des Québécois est immense et justifié. Et qu’en plus, cette couverture journalistique est jugée riche, approfondie et professionnelle par les auteures de La Maison-Blanche vue du Québec et les intervenants cités.

Il y a donc quelque chose d’un peu curieux à se demander si on fait trop d’une bonne chose qui répond à un besoin, à une demande : informer sur un pays important au fonctionnement complexe qui a un grand impact sur nous.

Ce n’est pas exactement ce que dit le livre, qui s’attarde finalement à expliquer l’abondance de nouvelles américaines plus qu’à la qualifier, comprend-on après lecture. Les auteures montrent aussi que les journalistes ont su développer avec le temps une expertise en lien avec la politique américaine comme on en voit peu ailleurs dans le monde… pour répondre à un besoin comme on en voit peu ailleurs dans le monde.

* La Maison-Blanche vue du Québec, Karine Prémont et Marie-Ève Carignan, Éditions La Presse, 2021.

** Sondage en ligne du 26 au 28 novembre 2021, auprès de 1149 répondants. Aux fins de comparaison, la marge d’erreur maximale pour un tel échantillon est de plus ou moins 3 %, et ce, 19 fois sur 20.

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