Gros changement de garde à la tête de plusieurs syndicats du Québec. Certains présidents ont voulu passer à autre chose, ou se sont assurés de partir entre deux négociations, tandis que pour d’autres, la sortie a été douloureuse. État des lieux syndicaux avec quelques-unes des figures de proue qui viennent de tourner la page.

Jacques Létourneau a laissé la présidence de la CSN pour briguer (sans succès) la mairie de Longueuil. Le porte-à-porte lui a alors confirmé ce qu’il pressentait déjà. Il avait beau avoir été président de cette grande centrale depuis neuf ans, il était un grand inconnu pour tous.

« Dans le temps, Ti-Louis Laberge, Michel Chartrand, Gérald Larose, Fernand Daoust, Monique Simard, tout le monde les connaissait ! »

Bien sûr, c’étaient là des personnages plus grands que nature, mais M. Létourneau croit que la faible notoriété des présidents syndicaux est liée « à la perte d’influence des syndicats dans la société ».

« Avant, tu avais l’État, les syndicats et le patronat. Aujourd’hui, tu as des milliers de blogueurs et de commentateurs qui y vont chacun de leur propre opinion. Essayer de transcender l’opinion publique dans tout ça ? Oubliez cela. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Jacques Létourneau, ancien président de la CSN

Même si à eux deux les présidents de la CSN et de la FTQ « représentent un million de travailleurs, l’opinion d’un président de grande centrale, aujourd’hui, c’est considéré comme une opinion parmi tant d’autres ».

À preuve, illustre-t-il, les médias n’ont à peu près pas donné le micro aux présidents syndicaux lors de la mise à jour économique de cette semaine.

La fragmentation du monde syndical – avec des sigles à n’en plus finir – n’aide en rien. Oui, dit Jacques Létourneau, fini le temps des trois centrales bien identifiées (FTQ, CSN et CEQ, le syndicat des enseignants).

On est aujourd’hui dans le syndicalisme corporatiste, avec certaines professions comme les infirmières qui ont choisi de sortir des centrales pour fonder leur propre syndicat.

Jacques Létourneau, ancien président de la CSN

Pour survivre, le milieu syndical devra s’adapter, note-t-il. Aux besoins des travailleurs autonomes, des gens en télétravail, des jeunes employés (dans la restauration rapide, notamment) pour qui le travail est une porte tournante. « Le modèle où tu décrochais un emploi en usine ou ailleurs pour y passer ta vie, à accumuler ton ancienneté et ton fonds de retraite, tout ça, c’est en train de prendre le bord. »

Mais il a bon espoir que les syndicats parviennent à se réinventer, d’autant que « le jeu de base de la négociation, lui, n’a pas changé. L’État trouve encore son compte à négocier des conventions collectives pour 500 000 personnes d’un coup ».

En plus d’un quart de siècle de syndicalisme actif, M. Létourneau dit n’avoir « connu rien d’autre que la gestion de la décroissance avec la fermeture d’hôpitaux, la poursuite du déficit zéro et le remboursement de la dette. Mettons que nous, des syndicats, nous sommes les derniers à avoir été surpris de l’hécatombe dans les CHSLD… »

Sur une note personnelle, il souligne que ses neuf ans à la présidence de la CSN ne l’ont pas empêché d’être un père présent.

« Quand j’ai commencé il y a 25 ans, partir d’une réunion pour aller t’occuper de tes enfants, ça ne se pouvait pas. Les réunions se terminaient tard le soir et bon nombre avaient lieu à la brasserie ! Quand j’ai accepté d’être président, j’ai mis les choses bien au clair. J’avais deux jeunes enfants et il n’était pas question que je ne les voie pas grandir. À 17 h, moi, je partais les chercher. Je me suis souvent demandé si ça aurait aussi bien passé si j’avais été une femme. »

Le poids de la législation

Claire Montour vient elle aussi de tirer sa révérence, dans son cas de la présidence de la FSQ-CSQ (Fédération de la santé du Québec de la Centrale des syndicats du Québec), et ce, après 37 ans d’action syndicale dans le corps.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Claire Montour, ancienne présidente de la FSQ-CSQ

Ce qui la frappe surtout, elle, en tombée de rideau, « c’est à quel point il faut se battre pour garder les conditions de travail dans les conventions collectives. Il y a tant d’arrêtés ministériels, de règlements… Le gouvernement légifère vraiment beaucoup ».

L’ex-ministre de la Santé Gaétan Barrette a créé de vastes structures (les CISSS et les CIUSSS), les unités syndicales ont aussi grossi et plus rien n’est à taille humaine, souligne-t-elle. « Dans les années 1980, il y avait des bâtisses, des petits hôpitaux, avec de petites équipes permanentes. […] Il y avait une question sur un poste, sur les jours fériés ? Tu allais voir les ressources humaines, et au besoin, un grief était déposé. Là, plus personne ne décide ! »

C’est qui, le patron ? Quand il y a un problème, tu ne sais plus si ça relève du Ministère, de telle ou telle loi, d’un règlement ou d’une autre bebelle !

Claire Montour, ancienne présidente de la FSQ-CSQ

Rien ne saurait mieux illustrer la chose que ce qui est arrivé ces derniers mois aux infirmières. L’encre était à peine sèche sur l’entente obtenue à l’issue d’une négociation avec Québec, en août, que le gouvernement Legault annonçait sa volonté, en septembre, de verser jusqu’à 18 000 $ aux infirmières pour les retenir ou les attirer dans le réseau public.

Un mois plus tard, Nancy Bédard, qui dirigeait la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), faisait face à un vote de non-confiance de ses membres infirmières, qu’elle a remporté avec seulement 60 % d’appuis. Rapidement, elle a démissionné (et n’a pas souhaité accorder d’entrevue dans le cadre de ce reportage).

L’image du syndiqué

Ayant laissé après neuf ans la présidence de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN, Jeff Begley, qui était dans l’action syndicale depuis 1994, a bon espoir, lui, que l’image des syndicats et de leurs membres est en train de changer. Avec les pénuries de main-d’œuvre et la pandémie, « les gens commencent à se dire qu’il faut faire attention au personnel ».

PHOTO FOURNIE PAR LA FSSS-CSN

Jeff Begley, ancien président de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN

Il rappelle que ce sont des syndiqués qui sont allés au front pour soigner des gens, sans munition, ni assez d’équipement de protection individuelle, au péril de leur vie. (Au moins 10 préposés aux bénéficiaires seraient morts depuis le début de la pandémie.)

Pendant des mois dans les CHSLD, la mort était partout et les corps si nombreux, rappelle-t-il, que des morgues temporaires ont dû être mises en place. « Je pense que bien des gens auront des séquelles pour un bon bout de temps. »

M. Begley souligne que, très rapidement, les syndicats ont alerté le gouvernement sur le manque de masques et autres équipements de protection individuelle. « Mais il n’y avait pas d’écoute », dit-il.

Le lot des relations entre les syndicats et le gouvernement ? M. Begley croit au contraire que de grandes choses peuvent émerger quand les choses se font autrement.

Il en veut pour preuve la création des centres de la petite enfance, qui sont nés « dans une vraie mobilisation de tous les acteurs ».

Il y avait alors une vraie volonté, aussi bien du gouvernement que des syndicats, de régler les problèmes, pour que ça se fasse. Parce que c’était important.

Jeff Begley, ancien président de la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN

Idem pour les ambulanciers, avant les années 2000, évoque-t-il. « Avant leur syndicalisation, le système était pas mal broche à foin. Les ambulanciers avaient besoin d’une meilleure formation et, là encore, il y a eu une réelle collaboration. »

L’un des défis qui attendent ses successeurs, estime M. Begley, c’est de réussir à rejoindre leurs membres. Car à la CSN comme ailleurs, là où il y avait des syndicats locaux de 150 membres, « on se retrouve avec des structures à 5000 membres », conséquences, note-t-il, de la création des CISSS et CIUSSS évoqués plus haut.

L’ex-présidente Sonia Éthier, qui représentait jusqu’à récemment les enseignants à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), et Andrée Poirier, qui vient de laisser sa place de présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), n’ont pas souhaité accorder d’entrevue à La Presse.