Elle a 24 ans, a fait son premier « deal immobilier » il y a trois ans. Elle dit avoir acheté 100 portes par année depuis, des immeubles qui sont souvent en très mauvais état. Or, plusieurs de ses locataires se disent victimes de tentatives de « rénoviction ». Dans un marché immobilier particulièrement effervescent, ils dénoncent les méthodes de Pauline Cauchefer.

« Elle m’a donné trois mois pour déménager »

Pauline Cauchefer, propriétaire d’au moins 12 immeubles à Montréal, est devenue une véritable coqueluche dans le petit milieu des clubs d’investisseurs immobiliers de Montréal. Mais de nombreux locataires l’accusent aussi d’utiliser des tactiques s’apparentant à la « rénoviction » pour « vider » les immeubles qu’elle acquiert.

« Tout ça m’a rendu malade. J’ai passé un mois à l’hôpital. »

Alain Paquin a gardé un très mauvais souvenir de sa rencontre avec Pauline Cauchefer, en mars 2021. L’homme, qui était technicien en ventilation jusqu’à ce qu’un accident le cloue à un fauteuil roulant, vivait dans le même logement d’Hochelaga-Maisonneuve depuis 15 ans.

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L’un des immeubles appartenant à Pauline Cauchefer, avenue Bourbonnière

Son immeuble de l’avenue Bourbonnière était très loin d’être un palace, dit-il franchement. Les propriétaires successifs ont laissé l’immeuble se détériorer. Il y avait d’énormes problèmes de chauffage, des infiltrations d’eau, de la moisissure. Les locataires ont passé des années à réclamer des travaux. Sans résultat.

Et puis, une nouvelle propriétaire est arrivée dans le décor : Pauline Cauchefer.

Elle m’a conté une romance comme quoi c’était son premier achat et qu’elle s’était fait avoir. Et puis, elle m’a donné trois mois pour déménager parce que les fondations étaient en train de s’écrouler.

Alain Paquin, ancien locataire de Pauline Cauchefer

Aucun document officiel ne lui a été transmis, dit-il.

Alain Paquin est handicapé. Il a un chien. « C’était difficile de trouver un logement : ça me prend un rez-de-chaussée, accessible, qui accepte les chiens, raconte-t-il. Je n’ai jamais été aussi mal pris de ma vie. »

Pendant son hospitalisation, qui a duré un mois, sa femme a trouvé un nouveau logement. À Anjou. Il payait 965 $ pour un six et demie dans Hochelaga-Maisonneuve, il paie désormais 1495 $ par mois. Il a obtenu une compensation financière pour son départ, dont il ne peut révéler la teneur, car Mme Cauchefer lui a fait signer une entente de confidentialité.

Des mois après son départ, son immeuble est toujours vide. Aucune demande de permis n’a été faite pour des travaux, indique l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.

Pauline Cauchefer est d’ailleurs sous surveillance étroite par l’arrondissement puisqu’à trois reprises depuis 2019, elle a procédé à des travaux sans permis sur des immeubles acquis par elle ou les quatre sociétés qu’elle détient. Dans tous les cas, les travaux ont été complètement stoppés. « Ces bâtiments font l’objet d’un suivi serré. Des constats d’infraction seront remis pour les travaux sans permis », précise Nadia Said, porte-parole de l’arrondissement.

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Un locataire dit payer plus du double du loyer inscrit au bail précédent dans cet immeuble de la rue Cuvillier.

Dans un des immeubles de Pauline Cauchefer, rue Cuvillier, un locataire arrivé en janvier admet payer plus du double du loyer précédent. De l’extérieur, l’immeuble ne paie pas de mine. À l’intérieur, « elle a fait des petites rénovations, les planchers refaits, la cuisine un peu modernisée. Des rénos un peu à la botch », dit-il. Il paie désormais 900 $ pour un appartement qui se louait 400 $ au locataire précédent, tel que le bail le stipule.

« Ce sont des pratiques qui sont apparues il y a trois à cinq ans, des pratiques nouvelles et complètement sauvages. On est très préoccupés par ça, observe Guillaume Dostaler, d’Entraide logement Hochelaga-Maisonneuve, qui a épaulé sept locataires de Mme Cauchefer. Il y a un mode d’emploi pour ce genre de pratiques, et ça n’est pas juste le cas de Mme Cauchefer. »

Chez Québec solidaire, on connaît bien le nom de Mme Cauchefer : deux bureaux de député, ceux d’Alexandre Leduc et de Manon Massé, sont venus en aide à des locataires aux prises avec la propriétaire. « Cette personne a fait de la spéculation un métier, aux dépens des locataires », résume le porte-parole de QS en matière de logement, Andrés Fontecilla.

« C’était complètement faux »

La Presse a recueilli les témoignages de huit locataires de cinq propriétés différentes de Pauline Cauchefer. À l’instar d’Alain Paquin et de Caroline Doucet, ils ont tous eu de mauvaises expériences. Ils se plaignent que la propriétaire fonctionne souvent verbalement, sans envoyer de correspondance officielle. Elle multiplie ensuite les communications, ce qui s’apparente à du harcèlement, témoignent plusieurs locataires. Et elle change aussi fréquemment le motif de l’éviction.

Caroline Doucet est l’une de ces locataires. Elle habitait elle aussi sur l’avenue Bourbonnière, juste un peu plus au nord. Un matin de décembre 2020, on sonne à sa porte. « Je ne savais même pas que l’immeuble avait été vendu. Quatre personnes se sont présentées chez moi et m’ont dit qu’elles étaient les nouveaux propriétaires. Mme Cauchefer était parmi elles. Elles m’ont dit : “Si tu ne veux pas avoir de problème, ouvre la porte.” »

À l’époque, le propriétaire officiel de l’immeuble était Karim Zazouh Ouellet. Ce dernier venait d’acheter l’immeuble pour 625 000 $. Peu de temps après la transaction, Caroline Doucet reçoit une lettre qui lui indique que M. Ouellet va reprendre le logement pour sa mère.

Elle se met donc à la recherche d’un appartement.

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Caroline Doucet pose devant son ancien immeuble, situé avenue Bourbonnière.

Je payais 450 $ pour un trois et demie. Ça ne se trouve plus. Ça m’a causé un stress immense. Et maintenant, mon nouveau logement me coûte la quasi-totalité de mon revenu. J’ai même pensé me retrouver à la rue.

Caroline Doucet, ex-locataire de Pauline Cauchefer

Entre-temps, en février, l’immeuble est revendu à Placements Homa-Mai, une société dont Pauline Cauchefer est actionnaire. Montant de la transaction : 785 000 $. Une plus-value de 160 000 $, en l’espace de quelques mois.

Auprès de Mme Doucet, la nouvelle propriétaire continuait à prétendre que M. Ouellet était le propriétaire et qu’il reprenait le logement pour sa mère. « Alors que c’était complètement faux ! », s’indigne-t-elle. La femme a décidé de faire valoir ses droits devant le Tribunal administratif du logement (TAL). Elle est partie avec 7000 $ de compensation.

Huit mois plus tard, en octobre 2021, l’arrondissement constate que des travaux sont réalisés sans permis. Les autorités municipales interviennent pour faire stopper le chantier. Il est, depuis, à l’arrêt.

Dans un immeuble de La Petite-Patrie, Pauline Cauchefer a d’abord indiqué aux locataires avoir acheté l’immeuble pour faire un investissement, sans intention de l’habiter. Ensuite, elle a affirmé vouloir reprendre la totalité des logements de l’immeuble – six appartements – pour loger des membres de sa famille. Son père et sa mère, qui sont séparés, ses deux sœurs majeures, elle-même et un cousin. Or, ses parents habitent dans les Antilles, dans l’île de Saint-Martin. Ils possèdent également un immeuble à Montréal, rue De Lanaudière.

« Ses parents sont des gens nantis, ils n’ont pas besoin de nos petits logements pour habiter. Les prétextes malhonnêtes pour reprendre le logement nous choquent », dit Béatrice Vigneault-Villeneuve, une des locataires de l’immeuble situé sur l’avenue De Lorimier. Mme Vigneault-Villeneuve habite le même logement depuis 15 ans.

Et puis, en octobre, ces mêmes locataires reçoivent un texto. « Ça allait comme suit : “Je vous envoie mon huissier d’ici 10 jours si vous ne me proposez pas une entente à l’amiable” », raconte Catherine Planet, une autre locataire du même immeuble. Les six locataires ont résolu de faire front. « On veut que ça cesse », dit Mme Planet.

Depuis, Mme Cauchefer les presse de partir moyennant compensation. Excédés, certains d’entre eux ont accepté. D’autres résistent. Au début de novembre, les locataires ont reçu une nouvelle communication par huissier, leur annonçant un nouveau motif d’éviction : cette fois, la propriétaire disait vouloir procéder à des agrandissements.

Dans Villeray, autre quartier, même scénario. « Elle a harcelé les six locataires de l’immeuble ici. Elle ne les a pas lâchés », raconte l’un d’entre eux. La propriétaire lui a fait parvenir plusieurs avis de rénovations majeures, qu’il a tous contestés devant le TAL. Mme Cauchefer ne s’est présentée à aucune des deux audiences du tribunal.

Dominique Martel, de l’Association des locataires de Villeray, a aidé trois locataires de cet immeuble, dont deux personnes âgées. Pauline Cauchefer, dit-elle, « est une personne assez vorace, qui ne comprend pas l’impact de ce qu’elle fait sur la santé physique et mentale des gens ».

Que dit la loi ?

Un propriétaire a évidemment le droit de procéder à des rénovations majeures dans un immeuble. Si les travaux sont tels que le locataire doit quitter les lieux, son propriétaire doit l’aviser trois mois avant. Il doit préciser la nature et la durée des travaux. Il doit également offrir une compensation financière au locataire pour le déménagement et l’excédent payé pour un loyer temporaire. À la fin des travaux, le locataire a le droit de revenir dans son logement au même tarif. Au renouvellement du bail, le propriétaire peut cependant demander une augmentation du loyer.

« Aucun harcèlement n’a eu lieu »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE PAULINE CAUCHEFER

L’investisseuse en immobilier Pauline Cauchefer

Pauline Cauchefer nie en bloc toutes les accusations formulées par les locataires à qui nous avons parlé. Elle affirme avoir aidé nombre d’entre eux, dont Alain Paquin – son logement était dans un état choquant, dit-elle – à se reloger ailleurs. Ceux qui sont partis désiraient être relogés et ont été indemnisés, selon elle.

Si elle fonctionne souvent verbalement, c’est parce que « le côté humain est très important », fait-elle valoir par courriel. « Si un conflit survient avec un locataire, il est alors évident pour nous qu’avant d’embarquer dans une dynamique légale, nous avons des discussions avec nos locataires, afin de trouver des solutions. »

Elle veut bel et bien reprendre l’immeuble de l’avenue De Lorimier pour les membres de sa famille, plaide-t-elle, et compte également agrandir les logements. Dans un monde idéal, elle aurait aimé s’entendre à l’amiable rapidement pour pouvoir commencer les travaux et emménager en juillet. Devant le refus des locataires, elle dit avoir entamé des processus de reprise au Tribunal administratif du logement (TAL).

Elle se défend d’avoir harcelé un locataire dans quelque immeuble que ce soit. « Aucun harcèlement n’a jamais eu lieu. Nous sommes respectueux de chacun et les locataires avec qui je transige me remercient régulièrement à plusieurs reprises de mon côté très humain. »

De plus, elle affirme avoir toujours demandé les permis nécessaires à l’arrondissement et indique, contrairement aux informations que l’arrondissement nous a transmises, qu’aucun de ses chantiers n’a été stoppé par les autorités municipales.

Un premier immeuble à 21 ans

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

L’arrondissement a apposé une affichette signalant l’arrêt des travaux dans cet immeuble de la rue Adam, qui appartient à Mme Cauchefer.

Pauline Cauchefer est un personnage intrigant. À l’âge de 15 ans, elle débarque au Québec en provenance de l’île de Saint-Martin pour terminer son cours secondaire. À 19 ans, elle suit un premier coaching immobilier, ce qui a allumé sa passion pour le secteur. Et à 21 ans, elle achète son premier immeuble, a-t-elle relaté dans diverses entrevues diffusées sur des sites consacrés à l’immobilier.

« Je voulais commencer en immobilier, mais j’avais pas d’argent, pas d’expérience, pas de parents pour m’aider. La seule option que j’avais, c’est de trouver un immeuble », raconte-t-elle à Ghislain Larochelle, d’Immofacile, dans une entrevue diffusée en octobre dernier sur YouTube.

En 2019, alors qu’elle n’a que 21 ans, elle déniche ce premier immeuble, dans Hochelaga-Maisonneuve. Selon ce que La Presse a pu retracer de son historique d’achat, c’est un immeuble de la rue Adam, une reprise de faillite, qui lui permet de démarrer.

À Ghislain Larochelle, elle dit avoir acheté l’immeuble pour 600 000 $. « Il n’était pas du tout entretenu, il avait vraiment besoin d’amour. C’était parfait pour moi. »

Dans ces entrevues, Mme Cauchefer prétend avoir acheté pas moins de 100 « portes » par année depuis 3 ans. Elle indique également être en processus d’achat pour sept immeubles multilogements dans le quartier Côte-des-Neiges.

Selon le décompte effectué par La Presse, le nom de Pauline Cauchefer est actuellement associé à quatre entreprises différentes, toutes propriétaires d’immeubles. Au total, par l’entremise de ces diverses entités, elle possède 14 immeubles, comptant 66 logements.

« La première année, c’est allé très vite. J’ai acheté une centaine de logements en 10 mois. J’étais bonne pour acheter, par contre, la structure, je n’en avais pas. C’était beaucoup trop de travail. J’en ai revendu par la suite. Et là, je recommence à acheter », expliquait-elle en avril dernier sur le blogue de Geneviève Langevin, elle-même courtière en immobilier.

Elle repère des immeubles en faisant du porte-à-porte et des « appels à froid », auprès de propriétaires qui n’ont manifesté aucune intention de vendre, explique-t-elle à Ghislain Larochelle.

Et après avoir acheté, Mme Cauchefer rénove, à bas coût. « Je veux quelque chose de durable, mais j’en vois qui mettent énormément, 40 000 $ de travaux par logement. Vous n’allez pas vivre dedans ! J’en vois qui mettent des comptoirs de cuisine en marbre… pour moi, une cuisine neuve, ça ne dépasse pas 4000 $. »

Je fais des petites rénos qui tapent à l’œil. Un logement de 750 pi2, je ne mets pas plus que 25 000 $ de rénovations quand je le refais à neuf.

Pauline Cauchefer, lors d’une entrevue avec Ghislain Larochelle, d’Immofacile, diffusée en octobre dernier sur YouTube

Dans cinq ans, elle prévoit avoir acheté de 400 à 500 logements et passer 6 mois par année à Saint-Martin, explique-t-elle à Geneviève Langevin. « J’ai un bon cash-flow, une très belle situation financière en ce moment. Mon objectif, c’est d’avoir 400 ou 500 logements d’ici 3 ou 4 ans. »