Qu’est-ce qui se passe à Laval ? Ou plutôt, qu’est-ce qui ne s’y passe pas ? C’est la troisième ville en importance du Québec et pourtant, ses élections municipales semblent n’intéresser personne. Même pas les Lavallois eux-mêmes. La Presse a tenté de décoder ce qu’on pourrait appeler le « mystère de Laval ».

Une campagne sous le radar

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Laval a des identités multiples : résidentielle, agricole, urbaine... Ci-dessus, constructions en hauteur autour de la station de métro Montmorency.

Des candidats peu connus. Un manque d’intérêt des citoyens. Un très grand nombre d’indécis. Une absence de visibilité de la campagne dans les médias. À Laval, les élections municipales du 7 novembre passent sous le radar. Pourquoi ?

En fait, il y a une petite exception : le dauphin du maire sortant, Stéphane Boyer, en tête des intentions de vote, selon un sondage CROP commandé par Radio-Canada. On a un peu parlé de ce candidat parce qu’il fait partie de la relève et qu’il s’est dit d’accord avec l’idée de réduire son salaire s’il est élu. Mais ça ne portait pas sur les enjeux politiques.

Plusieurs éléments peuvent expliquer le peu de vigueur de la vie municipale lavalloise. Un déficit démocratique qui résulte de son histoire. Le peu de sentiment d’appartenance dans une ville qui n’est pas vraiment une ville. Le manque de candidats-vedettes. Un déséquilibre médiatique. Et le sentiment que tout va bien à Laval.

L’héritage Vaillancourt

« La population participe moins parce qu’il y a moins d’homogénéité sociale », avance Danielle Pilette, professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale, à l’UQAM.

Fanny Tremblay-Racicot, professeure à l’École nationale d’administration publique, croit que c’est plutôt l’histoire politique tourmentée de Laval sous le règne de Gilles Vaillancourt qui explique le désintérêt des citoyens et le manque de confiance envers les élus. Laval a été pendant 23 ans, de 1989 à 2012, sous le joug d’un maire qui a imposé un régime autoritaire et corrompu.

Aux dernières élections, seulement 36 % des électeurs ont voté, comparativement à 42 % à Montréal et à 50 % dans l’ensemble du Québec.

L’administration qui a remplacé le régime Vaillancourt, celle du maire Marc Demers, a fait le ménage et mis fin à la corruption. Or, cela pourrait aussi avoir réduit la ferveur pour la vie municipale.

« Les gens ont pu être désillusionnés face à leur politique municipale, explique Fanny Tremblay-Racicot. Ensuite, il y a eu un virage effectué par la nouvelle administration. Je pense que c’est le signe que ça va mieux, que les gens sont très satisfaits du redressement qui a été fait à Laval. »

« Ça prend du temps »

Le candidat indépendant Nicolas Lemire, qui, à 25 ans, brigue la mairie pour la deuxième fois, constate que « Laval est à une meilleure place qu’il y a huit ans », mais que la démocratie participative y est encore balbutiante.

« On sort de 30 ans d’administration du parti PRO [Parti du ralliement officiel] », explique-t-il, devant la station de métro Montmorency, où personne ne le reconnaît même si sa photo est sur des pancartes électorales.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Nicolas Lemire, candidat indépendant à la mairie

Il n’y avait pas de culture démocratique. Huit ans plus tard, il y en a une qui commence, mais je pense que ça prend du temps à s’installer.

Nicolas Lemire, candidat indépendant à la mairie

De son côté, Stéphane Boyer, à la tête du Mouvement lavallois, émet deux hypothèses.

La première, c’est le taux de satisfaction élevé des gens à l’égard de l’administration Demers, dont le parti était une coalition de citoyens opposés à Gilles Vaillancourt, avec « toutes sortes d’idéologies et de visions », qui s’est progressivement désagrégée. Les chefs des partis Laval citoyens et Ma ville maintenant sont issus du Mouvement lavallois, tout comme des candidats d’Action Laval. Ils ont tous fait défection parce qu’ils étaient en désaccord avec le leadership du maire Demers.

« Quand on fait notre porte-à-porte, les gens se disent globalement satisfaits, assure M. Boyer. Il n’y a pas de grosses problématiques qui semblent retenir l’attention. »

Sa deuxième hypothèse est la faible couverture médiatique. Il n’y a qu’un journal local francophone à Laval, le Courrier Laval, publié une fois par semaine, et un seul journaliste attitré à la politique municipale. Si la campagne électorale est suivie de près à Montréal, où les annonces de Valérie Plante et de son rival, Denis Coderre, font les nouvelles tous les jours, c’est loin d’être le cas à Laval.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Stéphane Boyer, candidat à la mairie du Mouvement lavallois

On est la troisième ville au Québec, mais on est un peu dans l’ombre médiatique de Montréal. C’est un enjeu parce que c’est sûr que si les médias ne s’intéressent pas à ce qui se passe à Laval, les gens ne savent pas ce qui se passe à Laval. Le sentiment d’appartenance à ta ville est peut-être moins grand.

Stéphane Boyer, candidat à la mairie du Mouvement lavallois

Un enjeu de démocratie

Michel Trottier, qui brigue aussi la mairie, est du même avis. « La visibilité, c’est extrêmement difficile, déplore-t-il. Je pense qu’on a un programme des ligues majeures. Mais ce n’est pas lu. Personne n’en parle. Zéro, zéro. Les grands médias ne s’intéressent pas à ce qui se passe à Laval. Nous, on pense que c’est parce qu’il y a peu de journalistes qui demeurent à Laval. »

Il faut dire que les candidats à la mairie sont peu connus. Si Catherine Fournier, élue en 2016 pour le Parti québécois, devenant ainsi la plus jeune élue de l’Assemblée nationale, et Jacques Létourneau, ex-président de la CSN, sont des candidats-vedettes à Longueuil, les huit aspirants maires lavallois peinent à s’imposer.

« Je suis là depuis huit ans, dont quatre ans comme chef de l’opposition », illustre Michel Trottier, qui essaie de ravir la mairie pour la deuxième fois en quatre ans.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Michel Trottier, candidat à la mairie du Parti Laval

On est quand même dans le Courrier Laval régulièrement et les gens se demandent encore c’est qui ça, Michel Trottier !

Michel Trottier, candidat à la mairie du Parti Laval

Michel Poissant, à la tête du parti Laval citoyens, constate le même manque d’intérêt. « Quand les gens ne se sentent pas interpellés, qu’ils ne connaissent pas les partis, qu’ils voient les pancartes, qu’ils trouvent ça compliqué, ils ne vont pas voter. L’enjeu de l’information, c’est quasiment un enjeu de démocratie », laisse-t-il tomber.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Poissant, candidat à la mairie du parti Laval citoyens

Une île, une ville

Un autre facteur explique le peu d’engouement suscité par la campagne : cette ville, dont 30 % du territoire est agricole, n’en est pas tout à fait une. Elle est le résultat du regroupement de 14 municipalités qui occupaient l’île Jésus : Fabreville, Duvernay, Pont-Viau, Chomedey, Îles-Laval, Laval-sur-le-Lac, Laval-Ouest, Sainte-Dorothée, Sainte-Rose, Saint-Vincent-de-Paul, Vimont, Saint-François, Laval-des-Rapides et Auteuil.

À certains égards, Laval ressemble plus à un vaste territoire administratif de 245 km2 qu’à une vraie ville.

  • Résidences typiques de Laval, sur la 7e Rue à Chomedey

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Résidences typiques de Laval, sur la 7e Rue à Chomedey

  • Trente pour cent du territoire de Laval est agricole. Ci-dessus,
 un champ de la montée des Lacasse, à Duvernay.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Trente pour cent du territoire de Laval est agricole. Ci-dessus,
 un champ de la montée des Lacasse, à Duvernay.

  • Un cinéma bien connu pour son architecture d’inspiration spatiale, le long de l’autoroute 15, dans le secteur Centropolis

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Un cinéma bien connu pour son architecture d’inspiration spatiale, le long de l’autoroute 15, dans le secteur Centropolis

  • La Marina Commodore, sur la rivière des Prairies, dans Pont-Viau

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    La Marina Commodore, sur la rivière des Prairies, dans Pont-Viau

  • Affiches électorales installées boulevard des Laurentides, à Pont-Viau

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Affiches électorales installées boulevard des Laurentides, à Pont-Viau

  • Le secteur Berge Plage-des-îles, sur la rivière des Mille Îles,
 dans Fabreville

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Le secteur Berge Plage-des-îles, sur la rivière des Mille Îles,
 dans Fabreville

1/6
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

À cela s’ajoute le fait que l’image que la municipalité projette, celle d’une ville-dortoir, ne correspond plus à la réalité. « Laval est devenu depuis très longtemps une ville centre, pas une banlieue de Montréal, mais plutôt un satellite de la Communauté métropolitaine de Montréal », rappelle la professeure Danielle Pilette.

Deuxième lieu de résidence des immigrants au Québec après Montréal, c’est une ville de 440 000 personnes, aux prises avec des enjeux d’intégration et de sécurité, avec des écarts de revenus importants. Depuis le début de l’année, on y compte une trentaine d’évènements liés à des armes à feu. C’est aussi une ville en forte croissance qui doit se poser des questions sur son développement immobilier et commercial, et la protection de son territoire.

Ces problèmes et ces défis ne se reflètent pourtant pas dans la vie municipale et dans la campagne électorale, où les sujets abordés et les préoccupations des citoyens restent ceux d’une grande banlieue.

Un nombre effarant d’indécis

Plus de la moitié (56 %) des électeurs de Laval ne savent pas pour qui voter le 7 novembre, révèle un sondage CROP commandé par Radio-Canada, publié le 21 octobre. Si les élections avaient lieu aujourd’hui, Stéphane Boyer, qui succède à Marc Demers à la tête du Mouvement lavallois, obtiendrait 14 % des intentions de vote. Ses deux principaux rivaux, Michel Trottier du Parti Laval et Sophie Trottier d’Action Laval, obtiendraient chacun 11 % du vote. Le sondage a été réalisé du 7 au 16 octobre auprès de 505 Lavallois, en ligne et par téléphone.

45,6 % : En 2018, près de la moitié des nouveau-nés lavallois avaient une mère née à l’extérieur du Canada.

Source : Institut de la statistique du Québec

Qui veut être maire et pourquoi ?

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Huit hommes et deux femmes tentent de succéder à Marc Demers, qui a annoncé son départ de la vie politique en mars dernier. Pourquoi se présentent-ils ? Quels sont les enjeux qui comptent ? Comment voient-ils Laval dans 10 ans ? La Presse a tendu un micro aux cinq principaux candidats.

Stéphane Boyer, 33 ans

Maire suppléant, vice-président du comité exécutif, conseiller de Duvernay–Pont-Viau, chef du Mouvement lavallois

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Stéphane Boyer, chef du Mouvement lavallois

M. Boyer s’est lancé en politique municipale, à 25 ans, pour redorer l’image de sa ville après le long règne de Gilles Vaillancourt et s’opposer à la construction de deux tours de condos de 28 étages en bordure de la rivière des Prairies, à Pont-Viau. « C’était le dernier terrain qui donne accès à l’eau », explique-t-il, devant le bureau de vente du projet aujourd’hui abandonné. Élu en 2013 et en 2017, dans le parti de Marc Demers, il a été couronné chef le 7 avril. Son équipe compte 21 candidats, dont 11 femmes.

Pourquoi vous présenter à la mairie ?

Il y a de beaux projets à la Ville. Je ne veux pas que ces projets tombent à l’eau. Je me présente pour continuer ce qu’on a commencé dans les dernières années.

Quels sont les enjeux qui comptent ?

L’environnement. La qualité de vie dans les quartiers. Laval est issu de 14 anciens villages et villes. J’aimerais donner un coup de pouce aux anciens noyaux villageois pour qu’ils retrouvent un peu de leur lustre.

Comment voyez-vous Laval dans 10 ans ?

Laval a un très grand potentiel. J’espère que dans 10 ans, Laval aura su saisir ce potentiel. Il faut protéger ce qui nous reste de milieux naturels et garder notre vitalité économique. J’aimerais ça que Laval incarne une ville moderne, verte, culturelle et où il y a une vie dans les quartiers.

Sophie Trottier, 47 ans

Cheffe d’Action Laval, fonctionnaire

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Sophie Trottier, cheffe d’Action Laval

Mme Trottier a été désignée cheffe de son parti le 30 juin à la suite du départ de Sonia Baudelot. Fonctionnaire depuis plus de 20 ans, elle fait ses premiers pas en politique municipale. Si elle est élue le 7 novembre, elle deviendra la première femme à la mairie de Laval. « La Sophie Trottier mairesse ne va pas changer, jure-t-elle. La job, oui. Mais je veux garder ma simplicité. » Son équipe compte 21 candidats, dont 10 femmes.

Pourquoi vous présenter à la mairie ?

Pour redonner la voix aux citoyens, ramener le respect, avoir une saine gestion et faire de Laval une belle ville internationale.

Quels sont les enjeux qui comptent ?

Le gel des taxes. L’environnement. La sécurité. Améliorer nos parcs et ajouter des infrastructures sportives. À Laval, il y a un besoin criant d’arénas et de complexes sportifs intérieurs et extérieurs.

Comment voyez-vous Laval dans 10 ans ?

Je vois une ville reconnue comme ville internationale, qui attire des touristes de partout. On aurait notre centre de foires et notre équipe semi-professionnelle de basketball.

Michel Trottier, 64 ans

Chef du Parti Laval, conseiller de Marc-Aurèle-Fortin, leader de l’opposition officielle à l’hôtel de ville, retraité de l’enseignement

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Michel Trottier, chef du Parti Laval

M. Trottier tente sa chance à la mairie pour la deuxième fois sous les couleurs de sa propre formation, Parti Laval, fondée en 2016. Élu en 2013 comme conseiller indépendant dans Fabreville, il a réintégré le conseil municipal en 2019 après une élection partielle dans Marc-Aurèle-Fortin. Son équipe compte 21 candidats, dont 11 femmes.

Pourquoi vous présenter à la mairie ?

Je veux offrir aux citoyens des services de proximité. Je veux qu’ils puissent dire : « Ma ville, je l’aime, et elle va être belle. » En ce moment, ce n’est pas ça qu’on entend de Laval.

Quels sont les enjeux qui comptent ?

Les services de proximité et la sécurité pour les citoyens. Nous, on a été la ville de l’auto. Là, on passe de la ville de l’auto à la ville des piétons et des cyclistes.

Comment voyez-vous Laval dans 10 ans ?

Je vois une ville où les gens peuvent se déplacer à pied et à vélo. J’ai un rêve, c’est que les gens sortent de leur cour et aillent au parc pour parler avec le monde, échanger et socialiser.

Michel Poissant, 58 ans

Chef du parti Laval citoyens, conseiller du district de Vimont, comptable professionnel agréé

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Poissant, chef de Laval citoyens

M. Poissant se présente à la tête de sa formation politique nouvellement créée. Conseiller municipal de Vimont, il a tourné le dos au maire Marc Demers en mars 2019 pour rejoindre les rangs d’Action Laval, deuxième opposition à l’hôtel de ville. Au printemps 2020, il a fait une deuxième volte-face politique pour siéger à titre d’indépendant. Son équipe compte 21 candidats, dont 9 femmes.

Pourquoi vous présenter à la mairie ?

Pour redonner du service de proximité parce que les appels augmentent de 15 % au 311. Les gens n’ont plus de services. Pour moi, un élu municipal, c’est comme le gérant d’un magasin. Il écoute, il regarde et fait du contrôle de qualité.

Quels sont les enjeux qui comptent ?

La qualité de vie des citoyens. L’équilibre entre l’environnement, les espaces verts et le cadre bâti. Avoir des règlements d’urbanisme plus audacieux pour contrôler un peu plus parce que des condos partout, les Lavallois sont tannés.

Comment voyez-vous Laval dans 10 ans ?

Une croissance modérée orientée sur la qualité, sur des places publiques dans certains endroits, où on vient arrimer bistrots, commerces, bureaux, logements, et non des tours de condos de 25 étages où c’est le règne de l’auto.

Pierre Anthian, 60 ans

Chef du parti Ma ville maintenant, prothésiste dentaire

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Pierre Anthian, chef de Ma ville maintenant

M. Anthian, dont la promesse phare est la construction d’un hôpital pour enfants, a fondé son parti au cours de l’été. Il a été le premier élu du parti Mouvement lavallois, dirigé par Marc Demers, à faire défection moins d’un an après son élection, en 2013. Son équipe compte 19 candidats, dont 8 femmes.

Pourquoi vous présenter à la mairie ?

Parce qu’il y a un vide politique. Finalement, ils font juste leur petite routine, mais il n’y a rien de satisfaisant pour aider la population en difficulté.

Quels sont les enjeux qui comptent ?

La sécurité du logement, la sécurité alimentaire et la sécurité tout court parce qu’on a une vague de violence dans les rues. Mais le petit cancer de notre ville, c’est la partisanerie. On ne travaille pas du tout ensemble.

Comment voyez-vous Laval dans 10 ans ?

Une ville nourricière, autonome. Je veux que les citoyens puissent eux-mêmes générer des récoltes sur des parcelles de 100 m2 qu’on leur fournirait.