Les autorités haïtiennes recherchent un youtubeur et militant montréalais qu’elles accusent de « terrorisme » à la suite des échanges de coups de feu qui ont mis en déroute le convoi du premier ministre Ariel Henry dimanche. Mais les supporters du principal intéressé au Québec déplorent un « salissage » destiné à écarter les membres de la diaspora qui veulent s’impliquer dans les réformes politiques.

Le parquet de Port-au-Prince a lancé un mandat d’amener et un ordre de recherche visant un militant établi dans le quartier Rosemont, très actif sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de Busta John.

Les documents font état d’une poursuite pénale engagée pour « terrorisme », « association de malfaiteurs », « tentative d’assassinat » et « attentat à la vie des membres du gouvernement ».

« Quelle que soit la date, quelle que soit l’heure, il sera appréhendé », a assuré le commissaire du gouvernement Frantz Louis Juste, signataire du mandat, en entrevue téléphonique avec La Presse jeudi soir.

Célébrations et coups de feu

L’affaire remonte à dimanche, jour de commémoration de la mort du révolutionnaire Jean-Jacques Dessalines, vainqueur des armées de Napoléon, empereur d’Haïti et proclamateur de l’indépendance du pays.

Le premier ministre Ariel Henry s’est présenté dans le secteur de Pont-Rouge, dans la capitale, pour l’hommage traditionnel à ce père de la nation, mais des membres de gangs ont ouvert le feu et fait fuir son convoi.

C’est finalement Jimmy « Barbecue » Chérizier, chef de la coalition de gangs G9, qui a défilé solennellement, entièrement vêtu de blanc, sur le lieu des célébrations. Il était entouré de ses hommes lourdement armés.

« Il a fait le salut militaire pendant quelques secondes avant de s’incliner et de déposer des fleurs au pied du monument », relatait le quotidien Le Nouvelliste de Port-au-Prince, en décrivant l’air « triomphateur » de celui que le journal surnomme « l’ennemi public numéro un de la Police nationale d’Haïti ».

Jimmy Chérizier et le Montréalais d’origine haïtienne Busta John ont tous deux prononcé un discours dans le cadre de l’évènement. Les deux réclament depuis longtemps justice pour le président Jovenel Moïse, assassiné par un commando le 7 juillet dernier.

Les autorités haïtiennes considèrent désormais le Montréalais comme un allié important de l’alliance de gangs G9, dont le chef contrôle plusieurs quartiers de la capitale et appelle à la « révolution » par les armes.

« Il finance en quelque sorte le Groupe G9. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés ! Il sera recherché et poursuivi pour ses actes », affirme le commissaire Frantz Louis Juste. Ce dernier affirme qu’Interpol sera sollicité afin de ramener Busta John en Haïti, puisque ce dernier semble avoir quitté le pays depuis dimanche.

Aide humanitaire

L’homme qui se fait surnommer Busta John a participé à l’organisation de manifestations à Montréal par le passé.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Busta John (à droite, avec le porte-voix) lors d’une manifestation contre le racisme à Montréal, en juin 2020

Résidant du quartier Rosemont, il dirige la Fondation Busta John. Selon les documents d’incorporation de l’organisme consultés par La Presse, celui-ci a pour mission de « créer des écoles, des hôpitaux et centres de santé en Haïti ». Il veut aussi « faire des activités avec les jeunes défavorisés à Montréal et aider les sans-abri ».

Une dame qui a répondu au téléphone à la Fondation et qui dit en être la présidente a affirmé jeudi que le gouvernement en place essayait de salir le nom de Busta John parce qu’il réclame justice pour Jovenel Moïse et tente de donner un rôle accru à la diaspora dans le processus politique haïtien.

Celle qui s’est seulement présentée sous le prénom de Sarah nie vigoureusement tout lien entre la Fondation et l’alliance de gangs G9.

Ils essaient de l’impliquer avec Jimmy Chérizier, mais il n’y a aucune implication imaginable. Busta John était là pour rendre hommage à Jean-Jacques Dessalines. Quand on fait un évènement, on ne peut pas savoir qui sera là et qui ne sera pas là.

Sarah, de la Fondation Busta John

« Quand on travaille pour le changement en Haïti, ils mettent des dossiers sur tout le monde. C’est ce qu’ils ont fait aussi au président Jovenel Moïse », déplore-t-elle.

« Busta John fait un travail colossal. C’est quelqu’un qui fait du social, qui a aidé à acheminer de la nourriture dans le Sud après le tremblement de terre. La Fondation a aidé à payer des scolarités pour des enfants. Nous sommes tous derrière lui », affirme la dame.

Journée mouvementée

Toujours pendant la journée de jeudi, un autre chef de gang a menacé d’exécuter les 16 citoyens américains et le citoyen canadien kidnappés samedi à l’est de la capitale. Le groupe de missionnaires et des membres de leurs familles ont été enlevés par le gang 400 Mawozo, qui exige 17 millions pour leur libération.

Le chef de la Police nationale d’Haïti, Léon Charles, a par ailleurs été remplacé au cours de la journée par un de ses subalternes, Frantz Elbé, qui prend la tête d’une institution débordée par la montée en puissance des gangs.