(Québec) Faut-il enfouir les fils ? Laisser tomber la plateforme ? Comment sauver le plus d’arbres possible ?

La course à la succession de Régis Labeaume donne lieu à Québec à un débat appelé à se répéter dans plusieurs autres villes de la province où naissent des projets de tramway : comment réintégrer dans la trame urbaine ce moyen de transport disparu depuis plus de 60 ans ?

« Nous y croyons, au tramway. Mais ce projet peut être amélioré, il y a eu manque de leadership », a lancé dans un récent débat le chef de Québec forte et fière, Bruno Marchand.

« Pour nous, le tramway est un projet incontournable. Par contre, le maire sortant et son équipe ont fait un travail tellement mauvais qu’il n’y a plus d’acceptabilité sociale », a renchéri le chef de Démocratie Québec, Jean Rousseau.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Débat des candidats à la mairie de Québec, mardi dernier. De gauche à droite : Jean-François Gosselin, chef de Québec 21, Marie-Josée Savard, cheffe d'Équipe Marie-Josée Savard, Jean Rousseau, chef de Démocratie Québec, Jackie Smith, cheffe de Transition Québec, et Bruno Marchand, chef de Québec Forte et Fière

Trois ans et demi après le dévoilement en grande pompe du projet de tramway, le débat fait toujours rage dans la capitale.

C’est que le tramway n’a jamais subi le test de l’urne. En 2017, Régis Labeaume promettait un projet de système de transports en commun « structurant ». Beaucoup s’attendaient à un système rapide par bus.

Puis, quelques mois après son élection, il a proposé le projet de tramway, tout de même étudié depuis des années à Québec.

Des modifications... ou pas ?

« Le projet qui est sur la table en ce moment n’a jamais été soumis aux électeurs. Il n’a jamais fait l’objet d’une vraie consultation publique non plus », remarque Fanny Tremblay-Racicot, professeure à l’École nationale d’administration publique (ENAP).

C’est tout à fait légitime qu’un parti veuille apporter des modifications au projet parce qu’il n’y en a jamais eu à la suite des commentaires des citoyens.

Fanny Tremblay-Racicot, professeure à l’ENAP

Quatre des cinq principaux candidats à la mairie sont favorables au tramway. Mais trois d’entre eux pensent que le projet peut encore être amélioré.

La dauphine du maire sortant, Marie-Josée Savard, plaide quant à elle qu’apporter des modifications au projet entraînerait des délais importants.

Le directeur général de l’organisme Vivre en ville partage en partie la lecture de la candidate. « À ce moment-ci, on travaille sur les appels d’offres. Le deal politique est fait. Rouvrir le projet pourrait le mettre en péril », explique Christian Savard.

« Je pense qu’à un moment donné, il faut aller de l’avant. C’est déjà très politisé. Là, les astres sont alignés. Ceci dit, je pense que sur la question de la conservation des arbres, il y a encore des gains à faire. »

« Diviser un quartier, c’est inacceptable »

Les autres candidats – et bien des citoyens – s’inquiètent de plusieurs aspects du projet de 19 km, qui comprend un tunnel de 2,1 km pour relier la Basse-Ville et la Haute-Ville.

MM. Marchand et Rousseau ont par exemple remis en question l’opportunité d’une plateforme. Le tramway passera sur une sorte de socle de béton, de manière à bien le séparer du trafic des voitures.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Le boulevard René-Lévesque sera un des endroits où le virage à gauche des voitures sera restreint.

Cela aura pour effet de limiter le virage à gauche des voitures à certaines intersections. « Diviser un quartier, c’est inacceptable », a récemment lancé M. Marchand.

Mais le bureau de projet explique qu’une telle plateforme permet au tramway de circuler plus vite, en limitant les risques d’accident.

« Les virages à gauche en milieu urbain, c’est ce qui cause la majorité des accidents, note Christian Savard. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle, ça va favoriser la sécurité des piétons et même des voitures. À Montréal les virages à gauche sont très limités et ça ne va pas si mal. »

Bruno Marchand a aussi laissé entendre qu’il avait l’intention, s’il était élu, d’étudier la possibilité d’enfouir les fils d’alimentation du tramway dans des « secteurs historiques ».

Combien d’arbres à abattre ?

Mais la question des arbres est certainement celle qui fait le plus couler d’encre. L’administration estimait au départ devoir abattre 1701 arbres sur le tracé, qu’elle s’engageait à replanter en double. Puis ce nombre est passé à 651.

Marie-Josée Savard assure que le consortium choisi devra préserver le maximum d’arbres.

Pourquoi ces feuillus sont-ils en danger ? C’est que pour qu’on puisse insérer le tramway dans la rue, l’emprise de celle-ci devra être augmentée à certains endroits. Les racines de certains arbres seront amputées (voir illustrations). Dans certains cas, l’opération sera fatale.

Des racines amputées
  • La rue avant l’insertion du tramway. On remarque l’espace dévolu au système racinaire des arbres.

    ILLUSTRATION TIRÉE DU RAPPORT DU BAPE

    La rue avant l’insertion du tramway. On remarque l’espace dévolu au système racinaire des arbres.

  • L’augmentation de l’emprise de la rue pour accueillir le tramway et deux voies automobiles nuit aux racines des arbres matures.

    ILLUSTRATION TIRÉE DU RAPPORT DU BAPE

    L’augmentation de l’emprise de la rue pour accueillir le tramway et deux voies automobiles nuit aux racines des arbres matures.

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Voilà pourquoi il est difficile de prévoir combien d’arbres matures seront abattus.

L’emprise de la rue sera par exemple augmentée sur le boulevard René-Lévesque. De nombreux citoyens craignent de perdre des arbres majestueux.

Or, rappelle le professeur Jean Dubé, c’est en grande partie pour maintenir deux voies automobiles sur cette artère que l’emprise est augmentée.

Peut-être que la solution la plus facile pour sauver des arbres sur René-Lévesque, c’est d’enlever une voie d’auto. Mais on n’est pas là. Logiquement, c’est sensé. Mais politiquement, ce ne l’est pas.

Jean Dubé, professeur à la faculté d’aménagement de l’Université Laval

Christian Savard, lui, pense que des arbres pourraient être conservés sur René-Lévesque en gardant deux voies pour les voitures, mais plus étroites.

Bref, le débat sur le tramway a repris de plus belle dans la capitale. « Peut-être que ce débat serait moindre si on était une ville déjà habituée aux transports en commun comme Montréal. Il n’y aurait peut-être pas de levée de boucliers », avance M. Dubé, coauteur de l’essai Comment survivre aux controverses sur le transport à Québec ?.

Une chose est certaine, selon lui : un nouveau consensus en faveur des transports en commun a émergé à Québec. Jean-François Gosselin, qui, il y a quatre ans, ne voulait rien savoir d’un système de transports en commun structurant, propose cette fois-ci un projet de métro léger.

« Là, c’est rendu un no brainer : tout le monde s’entend pour dire qu’il faut du transport en commun. C’est ce que je trouve plutôt intéressant. »

3,3 milliards

Budget estimé du tramway de la capitale, dont 1,8 milliard de Québec et 1,2 milliard d’Ottawa