Coincé en Ukraine depuis près d’un mois, l’ancien interprète afghan Jawed Ahmad Haqmal ignore toujours quand il pourra s’envoler vers le Canada pour rejoindre ses confrères déjà arrivés au pays.

À Kiev depuis le 28 août, Jawed Ahmad Haqmal est prêt à s’envoler vers son nouveau pays. Mais les échanges avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) ne lui donnent aucun indice sur sa date de départ. « Nous attendons ici comme des prisonniers », laisse tomber l’ancien interprète auprès de l’armée canadienne.

Il y a quatre mois, lorsque les offensives des talibans ont débuté en Afghanistan, Jawed Ahmad Haqmal s’est mis à « craindre pour [sa] vie ». Il est alors entré en contact avec Robert St. Aubin, assistant du député libéral Marcus Powlowski. Ce dernier lui a recommandé de prendre la fuite vers Kaboul sans tarder.

Après avoir plié bagage et laissé derrière lui sa maison à Kandahar, l’interprète a alors fait les démarches nécessaires pour être accueilli au Canada. « J’avais beaucoup d’espoir, se rappelle M. Haqmal. J’allais pouvoir sauver ma famille et ma vie. »

À la suite de nombreux essais et jours passés sans pouvoir entrer à l’aéroport de Kaboul, Jawed Ahmad Haqmal et sa famille ont finalement pu quitter l’Afghanistan à bord du vol d’un commando ukrainien. Sa fuite, il la doit à Mark MacKinnon, correspondant du Globe and Mail. Depuis des semaines, le journaliste canadien tentait de sauver son ancien fixeur, Mohammad Sharif Sharaf. « Mark MacKinnon a aussi mis mon nom sur la liste [du vol] », raconte M. Haqmal.

PHOTO EVGENY MALOLETKA, COLLABORATION SPÉCIALE

L’ancien interprète des Forces armées canadiennes Jawed Ahmad Haqmal, à droite, accompagné du reporter du Globe and Mail, Mark MacKinnon, à gauche, et de l’ancien fixeur Mohammed Sharif Sharaf, au centre, à Kiev, en Ukraine, le 29 août

Adaptation difficile


Jawed Ahmad Haqmal raconte que sa famille s’adapte difficilement à l’Ukraine. « C’est tellement différent de l’Afghanistan », dit-il. Sa famille et lui ne possèdent pas les vêtements chauds nécessaires pour la température de Kiev. « Mes cinq enfants sont malades », se désole-t-il.


Avec sa famille, M. Haqmal vit dans une chambre d’hôtel payée par Mark MacKinnon. S’il salue la générosité du journaliste canadien, l’interprète relate les conditions minimales dans lesquelles ils vivent. « Nous mangeons des pommes de terre et des œufs matin, midi et soir », dit-il. « Je suis prêt à rester un mois ou deux mois de plus ici, tant que j’ai le soutien pour le faire », nuance ce dernier.


Alexander Cohen, attaché de presse du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté du Canada Marco Mendicino, confirme que de nombreux réfugiés afghans « demeurent dans des points de transit partout dans le monde ».

« Nous travaillons avec [ces personnes] pour nous assurer qu’elles ont les documents dont elles ont besoin et qu’elles pourront poursuivre leur voyage au Canada au moment opportun », a écrit l’attaché de presse. Sans commenter la situation de M. Haqmal, M. Cohen soutient que « plusieurs personnes évacuées par [les] alliés ukrainiens sont maintenant arrivées au Canada ».

Ceux qui partent, ceux qui restent

Mohammad Nabi Yousafi fait partie de ceux qui ont pu arriver au Canada. Au pays depuis le 29 août, l’ancien interprète des forces armées canadiennes se dit « extrêmement reconnaissant » de pouvoir être ici. « Les mots me manquent pour pouvoir exprimer ma gratitude », dit-il, au bout du fil.

Ce qu’il préfère du Canada, jusqu’à maintenant ? « Les gens », répond-il d’emblée. Après avoir fini leur quarantaine, sa femme enceinte et lui attendent qu’on leur attribue une maison.

PHOTO FOURNIE PAR MOHAMMAD NABI YOUSAFI

Mohammad Nabi Yousafi, ancien interprète pour l’armée canadienne, est arrivé au pays depuis le 29 août.

Mais le départ n’a pas été de tout repos, raconte Mohammad Nabi Yousafi. Son premier vol, pour sortir de l’Afghanistan, s’est déroulé avec plus de 450 personnes à bord. « Si on m’avait dit que je devais me tenir debout durant tout le vol, je l’aurais fait, précise M. Yousafi. L’important était de pouvoir partir. »

Selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, 3700 réfugiés afghans ont été évacués par le Canada, en plus de nombreuses personnes qui ont pris la fuite grâce aux alliés.

Mais les frères de M. Yousafi, qui ont travaillé pour l’armée canadienne ou les alliés, n’ont pas tous eu cette chance. L’interprète craint des représailles de la part des talibans, qui sont « furieux » et n’obéissent pas aux mêmes règles que l’ancien gouvernement.

[Les talibans] menacent ma famille et après demandent : “Où est votre frère ?”

Mohammad Nabi Yousafi, ancien interprète de l’armée canadienne, maintenant au Canada

Trouver du travail est ardu pour les anciens collaborateurs des alliés. « Avant, on pouvait aller travailler au gouvernement, explique M. Yousafi. Maintenant, c’est différent. » Il s’inquiète pour son frère sans travail, dont la femme a été tuée lors d’une attaque il y a deux mois. « Il doit maintenant s’occuper seul de ses cinq enfants », déplore-t-il.

Les proches de Jawed Ahmad Haqmal ont aussi fait des démarches pour venir au Canada. Faute de place dans l’avion ukrainien, la moitié de sa famille se trouve toujours en Afghanistan. « Ils attendent », souffle l’interprète à Kiev.