Les travaux du futur Réseau express métropolitain (REM) sont bel et bien la cause des trous apparus récemment dans les milieux humides du Technoparc de Montréal, au nord de l’aéroport Montréal-Trudeau.

« Le passage du tunnelier est responsable des affaissements qui ont été constatés au cours des derniers mois », conclut le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) du Québec, au terme d’une « évaluation rigoureuse de la situation ».

La Presse rapportait le mois dernier l’apparition d’une doline – un trou créé par l’affaissement du sol appelé sinkhole en anglais – dans le marais aux Hérons, ainsi que l’assèchement de celui-ci.

D’autres affaissements ont été découverts par la suite, notamment dans la forêt bordant le marais ; c’est pour préserver ces milieux humides qu’il a été décidé de faire passer le REM sous terre à cet endroit.

En revanche, le MELCC ne peut conclure que l’apparition de la première doline a causé l’assèchement du marais aux Hérons, ce qu’affirme également CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec responsable du chantier du REM.

Le faible couvert de neige de l’hiver dernier, jumelé aux pluies inférieures à la normale depuis le mois de mai, serait en cause, a indiqué dans un courriel à La Presse Frédéric Fournier, porte-parole du Ministère.

Élément déterminant

D’autres étés secs sont pourtant survenus sans que le marais s’assèche, affirme la professeure au département de sciences biologiques de l’Université de Montréal et spécialiste des milieux humides Stéphanie Pellerin, pour qui la première doline est l’élément déterminant de l’assèchement.

Avant qu’il y ait le trou causé par le tunnelier, il y avait de l’eau. S’il n’y avait pas eu la doline et l’effondrement, on aurait de l’eau présentement.

Stéphanie Pellerin, professeure à l’Université de Montréal

Technoparc Oiseaux, un groupe citoyen voué à la conservation des lieux, conteste aussi l’affirmation de CDPQ Infra et du MELCC voulant que le temps sec des derniers mois ait causé l’assèchement du marais.

« Nos archives démontrent que même pendant les années de sécheresse, on n’a jamais vu le marais aussi bas », dit la coorganisatrice de l’organisme, Katherine Collin.

Pas de manquement à la loi

Même si la responsabilité du REM est établie dans les affaissements de sol, ce que reconnaît CDPQ Infra, le Ministère « arrive à la conclusion qu’il n’y a pas de manquement à la Loi [sur la qualité de l’environnement] », écrit son porte-parole.

Le REM a cependant « l’obligation de prendre des actions si de tels problèmes surviennent et de procéder à leur restauration, ce qu’il fait », précise-t-il.

CDPQ Infra a procédé au remblayage des dolines au début du mois avec de la terre « provenant principalement de l’excavation de la station Marie-Curie », là où le REM plonge sous terre, ainsi que de « la terre aquatique argileuse disponible dans le même secteur », affirme-t-elle sur son site internet.

Ces correctifs ont été jugés « acceptables » par le MELCC, a indiqué à La Presse son porte-parole, Frédéric Fournier.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Aperçu de la doline – trou créé par l’affaissement du sol appelé sinkhole en anglais – apparue dans le marais aux Hérons, dans le Technoparc de Montréal, il y a quelques semaines

La professeure Stéphanie Pellerin émet toutefois des réserves à leur égard.

« Un sol dans un marais ou un marécage, ça s’est construit sur des dizaines, des centaines d’années, il a une porosité qui fait qu’il devient un peu imperméable, explique-t-elle. Quand on met du remblai, les pores sont plus grands, plus nombreux, l’eau va trouver des chemins. »

Je ne connais pas de site qui a été restauré de cette façon-là.

Stéphanie Pellerin, professeure à l’Université de Montréal

Restaurer un milieu humide est « mieux que ne rien faire », mais les études démontrent qu’il ne revient jamais à son état d’origine, même après une centaine d’années, dit-elle.

Remplissage

CDPQ Infra procède par ailleurs depuis le 8 septembre au remplissage du marais avec de l’eau provenant des canalisations de la Ville, qui est « saine pour la faune » du milieu humide, affirme-t-elle.

« L’eau est ajoutée graduellement sur une période de quelques semaines afin de contrôler le débit d’eau injectée, précise-t-elle. De plus, des buses ont été installées à l’extrémité des tuyaux et permettent une dispersion de l’eau et du chlore qui se trouve dans l’eau. »

Cette façon de faire rassure Technoparc Oiseaux, qui s’inquiète néanmoins des impacts de tous ces bouleversements sur le milieu et appelle à sa protection officielle par le gouvernement québécois et la Ville de Montréal.

Risques « infimes » sous l’aéroport

Les affaissements survenus dans les milieux humides du Technoparc s’expliquent, selon CDPQ Infra, par le fait qu’il s’agit d’une « zone de transition très mouvementée entre sol meuble et horizons rocheux », qui présente des « conditions géologiques difficiles ». Le tunnelier a maintenant dépassé cette zone et est entré dans le roc, en s’approchant de l’aéroport, si bien que les risques d’affaissement sont désormais « infimes », affirme-t-elle. L’arrivée du tunnelier sous le tarmac n’inquiète d’ailleurs pas Aéroports de Montréal (ADM). « Alors que le tunnelier réalisera les travaux d’excavation du tunnel à une profondeur approximative de 30 mètres, il sera protégé par un couvert de roc sain de 7 mètres au minimum », sous la piste 06G-24D, a indiqué à La Presse la porte-parole d’ADM, Anne-Sophie Hamel. La piste sera fermée temporairement à l’approche du tunnelier et divers instruments permettront de faire « un suivi en continu » des déplacements verticaux de sol et de la nappe phréatique lors de son passage, a-t-elle ajouté.

Phénomène spectaculaire

Les dolines sont des phénomènes bien documentés, mais qui se produisent souvent à l’abri des regards. Parfois de cause naturelle, parfois de cause humaine, ces trous se forment progressivement quand le sol s’affaisse au-dessus d’un espace vide sous terre. En 2013, le New York Times a publié cette vidéo de la gigantesque doline de Bayou Corne, en Louisiane, aspirant des arbres. Cette doline d’une superficie de plusieurs hectares est attribuable aux cavités creusées dans le passé par une entreprise de saumure.