(Ottawa) Un dernier appareil du gouvernement canadien décollera ce jeudi dans le cadre de l’opération d’évacuation en Afghanistan, a confirmé mercredi soir à La Presse une source gouvernementale. Le Canada s’apprête à mettre un terme à cette étape du plan de sauvetage, alors que la situation se dégrade d’« heure en heure ».

Le nombre de personnes qui se trouveront à bord de ce vol au départ de Kaboul, qui pourrait être précédé d’un autre, n’a pas été précisé par cette même source. Les appareils qui décollent de l’aéroport international Hamid-Karzai font escale dans « un pays tiers, entre l’Irak et l’Arabie saoudite », et leurs passagers montent généralement à bord d’appareils à destination de Toronto, a ajouté la source, qui a requis l’anonymat afin de fournir des détails plus précis sur l’opération.

Quelques heures plus tôt, le chef libéral Justin Trudeau avait juré que le Canada ferait « absolument tout » ce qu’il pourrait « dans les prochains jours » pour venir en aide aux personnes qui cherchent à fuir le pays. Il a tenu à préciser qu’une fois cette étape du plan d’évacuation terminée, le travail ne s’arrêterait pas pour autant.

« De concert avec la communauté internationale, nous allons continuer à faire pression sur les talibans, afin de nous assurer que les gens puissent quitter le pays. Nous allons continuer à travailler avec des pays voisins et des partenaires dans la région pour permettre à de plus en plus de gens de [sortir] », a-t-il dit en marge d’une annonce électorale à Surrey, en Colombie-Britannique.

En matinée, quatre ministres apparus pour offrir une mise à jour ont signalé que les 22, 23 et 24 août, des vols avec 436, 506 et 535 réfugiés afghans, respectivement, ont pu décoller de l’aéroport de Kaboul. En ajoutant à ce nombre les citoyens et résidants canadiens, on arrive à un total de plus de 2700 personnes évacuées de l’Afghanistan.

Le gouvernement canadien continue à travailler d’arrache-pied afin de sortir ceux qui le souhaitent du pays, où les talibans ont repris le contrôle du gouvernement. Mais la situation sur le terrain devient de plus en plus complexe, ont tour à tour prévenu les ministres. « Le danger augmente d’heure en heure », a dit le ministre de la Défense, Harjit Sajjan.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan

Les points de contrôle des talibans continuent d’empêcher ceux qui veulent se sauver des talibans d’accéder à l’aéroport de la capitale afghane, où des masses de gens s’entassent. « C’est une course contre la montre », a renchéri le ministre des Affaires étrangères, Marc Garneau, réitérant l’engagement du Canada d’accueillir plus de 20 000 Afghans qui sont à risque de subir des représailles.

Le plan de sauvetage du Canada donne priorité aux minorités ethniques, aux personnes de la communauté LGBTQ, à ceux qui ont contribué à faire progresser les droits de la personne, en particulier les femmes et les filles, mais également à tous ces interprètes qui ont collaboré avec des Occidentaux. « Ils ont été là pour nous, et nous serons là pour eux », a tranché le ministre Sajjan.

« Frères talibans » : Monsef dans l’embarras

Pendant la conférence de presse, la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres, Maryam Monsef, y est allée d’une déclaration sur les talibans qui a fait sourciller, et qui a plongé les libéraux de Justin Trudeau dans l’embarras.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre des Femmes et de l’Égalité des genres, Maryam Monsef

« Je veux saisir cette occasion pour m’adresser à nos frères, les talibans. Nous vous demandons de laisser tout individu entrer et sortir de façon sécuritaire de l’Afghanistan », a-t-elle lancé en fixant directement des yeux la caméra, après avoir consulté ses notes écrites.

Elle a ensuite nié qu’il s’agissait d’une façon de donner une légitimité au nouveau régime. « Les talibans sont un groupe terroriste, et malgré cela, ils se disent musulmans », a répondu la ministre Monsef à une journaliste. « C’était une référence culturelle », a-t-elle insisté.

En farsi et en dari, le mot « frère » est généralement utilisé pour désigner un homme qui n’est pas membre de la famille, confirme Mustafa Farooq, du Conseil national des musulmans canadiens. « Certains, dans la communauté musulmane, vont se demander s’il est approprié de l’utiliser pour les talibans », relève-t-il.

« Il y a une diversité d’opinions sur le sujet. La communauté musulmane n’est pas un bloc monolithique […] Il m’apparaît donc tout à fait légitime que certains expriment des préoccupations face à ce qui a été dit par une ministre de la Couronne », indique le porte-parole de l’organisation.

Lui est inquiet d’un potentiel ressac. « Je crains que des gens en profitent pour dire qu’il y a des ‟islamistes radicaux” à la Chambre des communes », lâche Mustafa Farooq. Selon lui, « aucun observateur crédible ne va vraiment croire que la ministre Monsef, issue de la minorité hazara, a de la sympathie pour les talibans ».

Maryam Monsef est née en 1984 de parents afghans de la minorité ethnique des Hazaras, qui était et qui est toujours persécutée en Afghanistan. Avec sa mère et ses deux sœurs, elle a fui l’Afghanistan en 1996, après que les talibans eurent pris les rênes du pays.

Invité à se prononcer sur cette terminologie fraternelle ministérielle, le premier ministre Justin Trudeau a dit n’avoir « rien à ajouter » aux explications déjà fournies par Maryam Monsef. Il a par ailleurs réitéré que les talibans sont dans la liste des entités terroristes du gouvernement canadien.

De son côté, le chef conservateur, Erin O’Toole, n’a pas voulu cibler directement Maryam Monsef. « Le langage du gouvernement Trudeau est complètement inacceptable », s’est-il contenté d’offrir en marge d’une annonce à Brantford, en Ontario.

Quant au dirigeant néo-démocrate Jagmeet Singh, il a dit ne pas souhaiter en faire un enjeu partisan.

Avocats sans frontières Canada « s’inquiète »

Dans un communiqué publié mercredi, Avocats sans frontières Canada (ASFC) a manifesté son inquiétude pour le sort que pourrait réserver le nouveau régime des talibans aux femmes juristes et défenseures des droits de la personne.

Les talibans « risquent de mettre gravement en péril le respect des droits humains des femmes et des filles, notamment de celles qui ont travaillé au développement de la démocratie et à la construction de l’État de droit en Afghanistan », a signalé l’organisation.

« Appuyé par le Barreau du Québec, ASFC invite les gouvernements étrangers qui organisent les secours sur le terrain à ne pas oublier les femmes qui ont œuvré dans le milieu juridique », poursuit l’organisation dans son message.