Vingt ans après le « plus grand exploit des cinquante dernières années dans le pilotage civil », le commandant Robert Piché se pose chaque jour la question suivante : « Pourquoi moi ? »

On aime nos héros droits, exemplaires et sans peur.

C’est ce qu’a appris Robert Piché, commandant du aujourd’hui célèbre vol 236 d’Air Transat en détresse, qu’il a su poser aux Açores le 24 août 2001, alors que les moteurs de l’appareil avaient cessé de fonctionner 18 minutes plus tôt, à près de 12 kilomètres au-dessus de l’Atlantique.

Vingt ans après avoir réalisé ce vol plané qualifié de « plus grand exploit des cinquante dernières années dans le pilotage civil » par l’Air Line Pilots Association, M. Piché note que tout n’a pas été dit sur cet évènement.

Plus précisément : il n’a jamais été publiquement questionné sur ce qu’il a lui-même ressenti durant ces minutes tendues, avec 306 personnes à bord.

« Quand je dis aux gens que j’ai eu peur, ils ne veulent pas me croire, ils pensent que je dis ça par modestie », explique M. Piché en entrevue téléphonique.

J’ai été mis sur un piédestal de héros national, alors les gens sont portés à ne pas croire que j’ai eu peur. Mais je suis un être humain comme tout le monde. J’ai été le premier à avoir peur !

Robert Piché, commandant du vol 236 d’Air Transat

Pour souligner les 20 ans de l’atterrissage forcé, la Fondation Robert Piché tiendra ce mardi soir un souper-conférence au Théâtre Paradoxe, à Montréal. Habitué de faire des présentations devant de grandes entreprises, M. Piché donnera un ton plus personnel à son allocution de mardi.

« Je vais parler des émotions que j’ai vécues dans la nuit du 23 au 24 août 2001 avant l’atterrissage, dit-il. J’ai compris que la peur pouvait se changer en adrénaline et permettre à l’être humain d’aller plus loin. »

« Pourquoi moi ? »

Une des questions qui reviennent en boucle dans sa tête, dit-il, c’est : « Pourquoi moi ? »

Au moins 150 commandants de bord auraient pu se voir confier le vol Toronto-Lisbonne ce jour-là.

L’ordinateur m’a donné ce vol-là à moi. Mais pourquoi à moi ? Ça fait 20 ans que je me pose la question.

Robert Piché, commandant du vol 236 d’Air Transat

M. Piché a aussi vécu des bas dans sa vie : en 1983, il a été arrêté après avoir accepté de transporter un chargement de drogue de la Jamaïque. Il a finalement pu sortir de prison aux États-Unis en 1985 grâce à un pardon de l’État de la Géorgie.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Robert Piché, lors d’une conférence de presse, le 28 août 2001

Cette époque de sa vie, celle de ce qu’il appelle ses « conneries », aurait bien pu définir le restant de ses jours. Mais Robert Piché allait être embauché par Air Transat en 1996, et cinq ans plus tard, il faisait avec son copilote Dirk DeJager son atterrissage spectaculaire de l’Airbus A330.

C’est une fuite de carburant due à un problème durant l’entretien de l’avion ainsi qu’une décision des pilotes de ne pas suivre la liste de contrôle procédurale et de transférer le carburant du « bon » moteur au « mauvais » qui sont à l’origine de la situation catastrophique dans laquelle s’est retrouvé le vol 236 ce matin-là, a conclu un rapport sur l’évènement.

« Tout est possible »

Le commandant Piché a pris sa retraite de ses activités professionnelles de pilote en 2017. Depuis, il a passé du temps à voyager avec sa famille. Il était d’ailleurs en Inde en 2020 lorsque la pandémie de COVID-19 a éclaté, le forçant à revenir plus tôt au pays.

Confiné durant la pandémie, M. Piché a décidé de lancer un grand projet : celui de mettre sur pied une maison de thérapie pour hommes victimes de dépendances.

J’ai trouvé un mécène, on a acheté l’immeuble des Pères Blancs missionnaires d’Afrique à Lennoxville, sur une propriété de plus de 6 millions de pieds carrés, et on est en train de demander notre accréditation pour fonder une maison de thérapie. Je suis là-dedans à temps plein.

Robert Piché, commandant du vol 236 d’Air Transat

Le centre, qui devrait ouvrir ses portes avant la fin de l’année, vise à accueillir des hommes de 18 ans et plus par l’entremise des programmes d’aide aux employés (PAE).

« Moi, quand j’ai suivi ma thérapie après avoir déclaré mon alcoolisme, c’est le PAE d’Air Transat qui a payé ma thérapie. C’est le genre de clientèle qu’on va viser. »

Sa vie, qui a fait l’objet du film Piché, entre ciel et terre ainsi que du livre Robert Piché aux commandes du destin, continue de l’étonner lui-même, dit Robert Piché, aujourd’hui âgé de 68 ans.

« La question que je me pose maintenant, en 2021, c’est : qu’est-ce que l’avenir me réserve ? La leçon que j’en ai tirée, c’est que tout est possible. Même si tu planifies, le meilleur comme le pire peut arriver. Je n’ai pas hâte de vieillir, mais j’ai hâte de voir ce que la vie me réserve. »

18 minutes

Durée du planage sans moteurs de l’Airbus A330-200 au matin du 24 août 2001

Source : robertpiche.com

157 kilomètres

Distance sur laquelle les pilotes ont fait planer l’avion jusqu’aux Açores.

Source : The New York Times