Air étouffant, humidité accablante, soleil de plomb. Pour échapper à la chaleur record de la fin de semaine, les Montréalais se sont rués vers les piscines publiques… parfois fermées. Cette vague de chaleur, qui se poursuivra jusqu’à jeudi dans le sud de la province, force Environnement Canada et le premier ministre François Legault à mettre en garde la population.

Dimanche, le mercure a atteint 32 degrés Celsius à Montréal. Samedi, il a grimpé jusqu’à 34 degrés en fin d’après-midi – une température qui a brisé un record de plus d’un siècle pour un 21 août.

Montréal a battu un record de 1916, où l’on avait connu plus de trois journées avec des températures de 33 degrés Celsius.

Simon Legault, météorologue à Environnement Canada

C’est la première fois depuis 1970 que deux canicules, soit des épisodes d’au moins trois jours à plus de 30 degrés, sont enregistrées au mois d’août, rapportait dimanche Météomédia.

Les températures au-dessus de 30 degrés Celsius observées dans plusieurs régions de la province dépassent la moyenne observée à ce temps-ci de l’année, alors qu’on devrait se trouver dans la mi-vingtaine, explique Simon Legault, météorologue à Environnement Canada.

François Legault a lancé un appel à la vigilance, dimanche, après un avertissement de chaleur extrême émis par Environnement Canada, qui prévoit qu’avec l’indice humidex, les températures devraient demeurer entre 35 et 40 jusqu’à jeudi. « Protégeons nos aînés et les plus vulnérables sans climatisation. Prenez des nouvelles de ceux qui vivent seuls ! […] Hydratez-vous & allez dans des zones plus fraîches », a conseillé le premier ministre du Québec sur Twitter.

Tous à l’eau

Les reflets du soleil à son zénith faisaient briller l’eau de la plage de Verdun. Vers midi, 185 visiteurs étaient venus se rafraîchir, en famille ou en solo. Heureusement pour Gerbern Oegema, Diana Dimiterova et leurs enfants, l’endroit, qui peut accueillir 270 personnes, n’était pas encore bondé.

« On a été assez malins pour venir super tôt ! », a dit avec enthousiasme le père de famille. Après avoir passé tout l’hiver isolés, pas question de rester encabanés à l’air climatisé tout l’été. « On est choyés d’avoir accès à cette plage. Montréal est une île, je pense sérieusement que nos élus doivent instaurer des plages comme ça un peu partout », a renchéri Mme Dimiterova.

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Chloé Dugas et son fils Santiago à la plage de Verdun, dimanche

« Le but, c’est de venir le matin », a confirmé Chloé Dugas en appliquant une énième couche de crème solaire sur sa nuque rougie. Sans climatisation à la maison, pas question de rester à l’intérieur pour elle et son fils Santiago.

Les piscines verdunoises – comme le Natatorium sur le boulevard LaSalle – n’ouvrent qu’à 11 h. Des heures de baignade réduites pas très pratiques quand l’humidité frappe à l’aube.

« Ça, c’est quand elles sont ouvertes », a-t-elle souligné.

Iman Ali était soulagée de pouvoir s’installer les pieds dans le sable. « On habite dans l’Est, et la piscine publique était fermée », a-t-elle précisé en gardant l’œil sur ses garçons, Élias et Malik. Déçue, la petite famille s’est rabattue sur la plage. « Une chance qu’il y a encore de la place ici. C’est dur d’occuper les enfants quand il fait chaud », a-t-elle poursuivi dans un français timide.

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Francis Jamet, Noureida Kama et leur fils Jiyame Jamet-Kama

Au Natatorium de Verdun, il y a foule. Noureida Kama, Francis Jamet et leur fils Jiyane se considéraient comme chanceux d’avoir pu faire une saucette. « On est vraiment choyés ici, mais à certains endroits, c’est plus dur. Il y a encore beaucoup de secteurs où les piscines sont fermées. C’est dur surtout pour les familles nombreuses », a expliqué Mme Kama.

À LaSalle, près du parc Hayward, une piscine rénovée, remplie et invitante… sans baigneurs ni plongeurs. « C’est fermé. Dommage pour les enfants du quartier », a dit platement Johanne Dion, une résidante. Elle s’est informée : on déplore un manque de personnel. Sans surveillance, impossible d’ouvrir la piscine.

La canicule se vit mieux les pieds dans l’eau, certes. Mais la pénurie de sauveteurs qui sévit depuis le début de la pandémie met des bâtons dans les roues des jeunes nageurs, explique Raynald Hawkins, directeur général de la Société de sauvetage.

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À LaSalle, près du parc Hayward, la piscine est fermée, faute de personnel.

Même avant la pandémie, le problème existait, souligne-t-il toutefois. Comme la rentrée au cégep arrive plus tôt, il est souvent ardu de trouver du personnel dans la période qui précède la fête du Travail, au grand dam des familles sans air conditionné ni piscine. « Les sauveteurs sont souvent des étudiants de niveaux collégial et universitaire. Ce n’est pas rare qu’ils quittent l’emploi avant la fin de la saison de baignade. Même les camps de jour et l’industrie du tourisme militent beaucoup pour que le calendrier du collégial change. »

Or, les saisons de baignade vont s’étirer dans le temps avec les vagues de chaleur récurrentes année après année, estime M. Hawkins.

C’est une responsabilité des villes d’ouvrir des zones de rafraîchissement lors de canicules, donc on voit un prolongement des heures de baignade. Mais le manque de personnel de surveillance rend cette mesure caduque.

Raynald Hawkins, directeur général de la Société de sauvetage

En 2019, avant la crise sanitaire, 5500 jeunes ont reçu la formation de sauveteur de premier niveau. L’année dernière, le nombre a dégringolé : ils ont été seulement 2400. La pandémie a nettement ralenti la cadence.

M. Hawkins insiste : « 3100 sauveteurs de moins, ça se sent ».

Travailler sous un soleil de plomb

Si de nombreux Montréalais se reposaient malgré la chaleur incommodante, d’autres devaient travailler sous un soleil de plomb. Clara Latraverse-Marsolais et son collègue Nicolas Girard étaient étendus sur les sièges du camion de cuisine de rue du Vieux-Port où ils travaillent depuis le début de l’été. Nul besoin de leur demander s’ils avaient chaud : leurs fronts ruisselants et leurs t-shirts imbibés de sueur parlaient pour eux. « C’est pas idéal aujourd’hui », a dit en soupirant le jeune homme, souriant malgré tout.

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Nicolas Girard et Clara Latraverse-Marsolais travaillent dans un food truck dans le Vieux-Port.

Dans le camion voisin, c’est pire, a-t-il constaté. « Nous, on a des frigos qui refroidissent un peu. À côté, ils suffoquent. »

Effectivement. L’équipe du resto mobile adjacent était au milieu d’une partie de roche-papier-ciseaux. Le perdant était le prochain à prendre place dans le food truck, rebaptisé « la fournaise » pour l’occasion.

Jack Insixiengmay baignait dans sa sueur, et l’odeur de la friture lui collait à la peau. « C’est vraiment, vraiment rushant », a-t-il soufflé.

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Jack Insixiengmay, dans son food truck

La Ville continue à s’adapter aux changements climatiques et aux vagues de chaleur qui deviennent de plus en plus fréquentes, explique l’attaché de presse de la mairesse de Montréal, Youssef Amane. On suggère de se rafraîchir grâce aux endroits mis à la disposition des citoyens, comme les bibliothèques. Les heures d’utilisation des piscines et jeux d’eau ont été prolongées. « Nous recommandons évidemment aux Montréalais d’éviter les efforts physiques, de boire beaucoup d’eau et de profiter des endroits d’ombre. »

Si ces températures extrêmes sont anormales, il faut s’attendre à ce qu’elles deviennent plus fréquentes en raison du réchauffement climatique, prévient le météorologue Simon Legault.

Avec La Presse Canadienne