(Saint-Jean) Justin Trudeau a annoncé mercredi une entente de principe qui prévoit une nouvelle contribution fédérale, de 5,2 milliards, pour aider Terre-Neuve-et-Labrador à couvrir les coûts de son projet hydroélectrique de Muskrat Falls, qui ont augmenté de 77 % depuis son annonce en 2012.

Le premier ministre était à Saint-Jean mercredi alors que des rumeurs d’élections générales anticipées sont toujours dans l’air. Le premier ministre Andrew Furey, qui s’est joint à M. Trudeau, a déclaré que le financement fédéral aiderait la province à éviter une hausse anticipée des tarifs d’électricité lorsque la mégacentrale commencera à produire de l’électricité en novembre.

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Justin Trudeau et le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey

Certains citoyens craignaient de voir leur facture d’électricité doubler à cause des énormes dépassements de coûts du projet hydroélectrique sur le cours inférieur du fleuve Churchill, au Labrador.

L’aide fédérale prévoit d’abord un financement de 2 milliards, soit un investissement de 1 milliard dans la portion provinciale de la ligne de transport d’énergie entre le Labrador et l’île de Terre-Neuve, ainsi qu’une garantie de prêt de 1 milliard pour la centrale et les actifs de transport.

Ottawa versera par ailleurs à la province 3,2 milliards de sa participation aux bénéfices nets dans le champ pétrolifère Hibernia, au large de Terre-Neuve. Le gouvernement fédéral estime que « ce sont les résidents de Terre-Neuve-et-Labrador qui devraient être les principaux bénéficiaires de ces fonds et que ces nouveaux transferts annuels le garantiront », indique le cabinet du premier ministre Trudeau dans un communiqué.

Le Bloc, le PLQ et le PQ dénoncent

M. Trudeau, dont les libéraux ont fait élire six députés sur sept dans cette province en 2019, a déclaré mercredi que le financement fédéral « assurera la viabilité financière du projet tout en protégeant les citoyens de hausses importantes d’électricité ».

Interrogé par une journaliste sur la réaction éventuelle des Québécois à cette aide fédérale à un concurrent d’Hydro-Québec, M. Trudeau a soutenu que « comme tous les Canadiens », ils comprennent « à quel point c’est important de s’entraider et de reconnaître quand il y a des défis pour lesquels nous pouvons et nous devons être là les uns pour les autres ».

« Et je sais que les Québécois, comme tous les Canadiens, vont être contents de voir un avenir avec plus d’énergie propre, plus de prospérité pour tous, et un meilleur avenir pour tous les Canadiens », a-t-il dit.

Le porte-parole du Bloc québécois en matière de ressources naturelles, Mario Simard, a aussitôt dénoncé « vertement » la décision de Justin Trudeau « d’engloutir 5,2 milliards supplémentaires » dans Muskrat Falls, « tout ça pour acheter des votes à Terre-Neuve avec notre argent ».

« Les Québécoises et les Québécois n’ont pas à payer pour ce gâchis, a indiqué le député de Jonquière dans un communiqué. En lançant ce projet, le gouvernement terre-neuvien n’avait même pas caché que son objectif était de nuire au Québec, de contourner le territoire québécois et de concurrencer Hydro-Québec sur les marchés d’exportation », notamment les États-Unis.

« Par trois fois, l’Assemblée nationale a été unanime pour dénoncer la participation fédérale à ce projet […] C’est ni plus ni moins une attaque frontale à notre société d’État qui, rappelons-le, n’a jamais reçu un seul centime en quelconque subvention du gouvernement fédéral », soutient M. Simard.

Le Parti libéral du Québec (PLQ) n’a pas non plus tardé à critiquer la décision du gouvernement Trudeau, en reprochant par la bande le « silence de François Legault » sur cet enjeu « qui pourrait avoir un impact important sur Hydro-Québec ».

Selon la cheffe de PLQ, Dominique Anglade, « cette nouvelle ingérence dans le développement énergétique est inacceptable ». « Mais ce qui est encore plus inacceptable, c’est le silence de François Legault depuis son élection face à cette concurrence déloyale. Cette décision crée une iniquité importante entre les provinces. François Legault doit intervenir rapidement afin de défendre nos intérêts », a-t-elle ajouté dans un communiqué.

« Le gouvernement caquiste s’était engagé à ce que le Québec devienne la batterie du nord-est de l’Amérique. Alors, pourquoi rester les bras croisés alors que le gouvernement fédéral et celui de Terre-Neuve-et-Labrador s’allient pour faire de la concurrence déloyale à Hydro-Québec ? », a pour sa part soutenu Pierre Arcand, le porte-parole du PLQ en matière d’énergie et de ressources naturelles.

Le député péquiste Sylvain Gaudreault a également dénoncé le financement du « trou sans fond » que représente Muskrat Falls et la « concurrence déloyale » du projet envers Hydro-Québec.

Dépassements de coûts énormes

Les tarifs d’électricité dans la province augmenteront lorsque le projet sera mis en ligne : ils passeront de 12,5 à 14,7 cents le kilowattheure. Mais cette hausse est bien inférieure à celle de 23 cents qui serait nécessaire, selon les responsables, pour couvrir les coûts du mégaprojet.

La construction de Muskrat Falls avait commencé en 2012, avec un coût prévu de 7,4 milliards ; la facture a depuis grimpé à 13,1 milliards. Ottawa avait jusqu’ici soutenu Muskrat Falls avec des milliards de dollars de garanties de prêts. En décembre dernier, M. Trudeau a annoncé qu’il avait nommé Serge Dupont, ancien greffier adjoint du Conseil privé, pour superviser les négociations avec la province afin de trouver une formule de refinancement du projet.

L’impact imminent de ces dépassements de coûts sur les finances publiques de la province est couplé à une situation financière déjà sombre pour Terre-Neuve-et-Labrador : le gouvernement prévoyait déjà un déficit annuel de 826 millions dans son dernier budget, jumelé à une dette nette de 17,2 milliards.

Les Innus du Labrador ont déclaré mardi dans un communiqué qu’ils n’avaient pas été informés d’une annonce d’atténuation des tarifs, alors qu’on les avait assurés qu’ils seraient tenus au courant — et malgré l’impact sur les premiers peuples d’accords énergétiques passés, comme celui avec le Québec sur les chutes Churchill, en 1969.

« Cette fois, contrairement à 1969, nos voix seront entendues et nos droits seront respectés », indique le communiqué. « Notre terre n’est pas une marchandise à vendre pour résoudre la crise économique » de Terre-Neuve-et-Labrador.

M. Trudeau a aussi annoncé plus tard mercredi que Terre-Neuve-et-Labrador deviendra la quatrième province à conclure un accord avec Ottawa pour son programme national de garderies à 10 $ par jour — après la Nouvelle-Écosse, la Colombie-Britannique et l’Île-du-Prince-Édouard. À compter de 2023, le prix des places en garderies réglementées dans cette province devrait donc passer de 25 $ à 10 $. M. Trudeau a aussi estimé que 6000 places devraient être créées d’ici cinq ans.