(Halifax) Le problème informatique identifié après l’écrasement d’hélicoptère l’an dernier en Grèce qui a tué six militaires canadiens doit être résolu sans délai, affirment des experts.

Deux enquêtes internes des Forces armées canadiennes ont conclu que le pilote automatique avait pris le contrôle de l’hélicoptère CH-148 Cyclone qui a plongé dans la mer Ionienne au moment que le pilote effectuait un virage pour retourner vers le NCSM Fredericton le 29 avril 2020.

Le capitaine Maxime Miron-Morin, de Bécancour, le caporal-chef Matthew Cousins, de l’Ontario, la sous-lieutenante Abbigail Cowbrough, de Toronto, le capitaine Kevin Hagen, de la Colombie-Britannique, le capitaine Brenden MacDonald et le sous-lieutenant Matthew Pyke, tous deux de la Nouvelle-Écosse, sont morts dans l’écrasement

Mary (Missy) Cummings, une ingénieure et ancienne pilote de chasse de la marine américaine, a révisé le rapport d’enquête sur la sécurité des vols, soit le deuxième rapport d’enquête de la Défense nationale, déposé le 28 juin.

Mme Cummings, directrice du laboratoire Humans and Autonomy de l’Université Duke, en Caroline du Nord, a qualifié de « problème très sérieux » le fait que le pilote n’ait pu reprendre le contrôle de l’appareil du pilote automatique.

« Ceci doit être adressé et corrigé sans délai », a-t-elle déclaré en entrevue.

Selon elle, l’automatisation de l’appareil est défectueuse.

« Ceci porte à confusion chez les pilotes et au lieu d’aborder le problème, des gens tentent de trouver des excuses pour expliquer le système informatique en question ou comment il a été conçu », a-t-elle déploré.

« C’est très probable qu’une autre fatalité du genre va survenir si l’on ne s’attarde pas au problème », a affirmé Mme Cummings.

Selon les deux rapports d’enquête, le pilote automatique avait été laissé allumé alors que le pilote effectuait un virage brusque, mais le logiciel a pris le contrôle des commandes.

Le premier rapport de l’armée, celui d’une commission d’enquête, faisait référence à une accumulation de calculs du logiciel menant à une « attitude de commande biaisée ».

Le document souligne que le logiciel peut accumuler des données à un point tel qu’il puisse drastiquement diminuer ou excéder l’habileté du pilote à reprendre le contrôle de l’appareil manuellement.

« Il y avait un problème avec le logiciel et si j’étais dans l’armée canadienne, j’interdirais l’utilisation du pilote automatique jusqu’à ce que le problème soit résolu », a affirmé l’ancienne directrice d’un programme d’automatisation avancée de la U. S. Navy.

Greg Jamieson, un professeur en ingénierie industrielle à l’Université de Toronto qui étudie les interactions entre l’humain et l’automatisation, affirme que le problème informatique en question pose « un problème de sécurité que le ministère de la Défense doit voir immédiatement avec (le constructeur d’avions) Sikorsky ».

« Évidemment, on ne peut dire à quelqu’un de changer le code et de l’installer dans ses hélicoptères la semaine prochaine. Oui, ça prend du temps […] mais le processus doit être amorcé immédiatement », a affirmé M. Jamieson en entrevue. Il hésite cependant à recommander la suspension de l’utilisation du pilote automatique des hélicoptères Cyclone jusqu’à ce que le problème soit corrigé.

L’armée a répliqué que le concepteur de l’appareil, Sikorsky, une filiale de Lockheed Martin, ainsi que l’Aviation royale canadienne ont fait une vérification approfondie des scénarios où un problème similaire pourrait apparaître et ils ont conclu que cet hélicoptère est sécuritaire.

Dans une déclaration par courriel envoyée le 16 juillet dernier, la porte-parole du ministère de la Défense Jessica Lamirandea affirmé que des modifications sont apportées sur l’appareil pour avertir les pilotes quand ils sont sur le pilote automatique et pour ajouter plus d’avertissements à l’équipage.

Quant à la façon de corriger ce problème du logiciel, Mme Lamirande a répondu que les militaires travaillent avec Sikorsky pour « déterminer les paramètres exacts menant à la modification ».

« Le Cyclone a un système complexe et il faut s’assurer de ne pas causer un autre problème en procédant au correctif », a-t-elle affirmé.

Elle a ajouté qu’entre-temps, l’Aviation royale canadienne a procédé à des entraînements avec les équipages de l’air pour les sensibiliser sur cette situation afin qu’ils puissent l’éviter ou être en mesure de reprendre le contrôle de l’hélicoptère manuellement.

John Dorrian, un porte-parole du constructeur américain d’avions et d’hélicoptères Sikorsky, a renvoyé toutes les questions sur le rapport aux Forces canadiennes.

Dans un commentaire précédent à La Presse Canadienne, M. Dorrian avait indiqué que lorsque l’hélicoptère est utilisé « pour ce qu’il a été conçu, testé et certifié », le CH-148 a été reconnu comme étant « sécuritaire et efficace ». Il a ajouté que l’entreprise est prête à collaborer avec les Forces armées canadiennes pour modifier l’appareil s’il y a une requête en ce sens.

Cet écrasement a constitué l’évènement le plus dévastateur en une journée pour les Forces armées canadiennes depuis que six soldats ont été tués dans un attentat à la bombe en Afghanistan le 4 juillet 2007.

Il a aussi braqué les projecteurs sur une longue liste d’ennuis avec le développement de l’appareil Cyclone, qui demeure en constante évolution.

Sikorsky doit livrer 28 hélicoptères Cyclone commandés par le Canada en 2004, mais le ministère de la Défense soutient que le dernier appareil doit arriver au pays d’ici la fin de l’année.