(Merritt, Colombie-Britannique) « J’ai été chanceux, j’ai eu le temps de ramasser quelques affaires avant de partir », raconte Jimmy Brown.
« Et mon chat », ajoute-t-il, expliquant son attachement à ce félin roux costaud de 10 ans et 11 kg répondant au nom de George.
L’homme de 44 ans habitait à quelques kilomètres du village de Lytton, qui a été presque entièrement détruit par un gigantesque et fulgurant incendie de forêt le 30 juin.
« Ce n’est pas monté [jusque chez nous] », dans les communautés autochtones Nlaka’pamux situées dans les environs du tragiquement célèbre village, raconte-t-il à La Presse.
Mais il s’en est fallu de peu.
« Le feu a enjambé le fleuve [Fraser] », lance-t-il d’une voix posée. « Il ventait pas mal, ce jour-là. »
Presque trois semaines plus tard, il se remet tant bien que mal de ses émotions, à Merritt, ville de 7000 habitants à une petite centaine de kilomètres de son village natal.
Après quelques nuits « épuisantes » à l’hôtel et dans les centres d’hébergement, il a trouvé refuge chez Carole Leroux et Greg Alexander, une Franco-Ontarienne et un Albertain qui vivent dans les hauteurs qui surplombent la ville.
« Ils ont des bons mots, ça m’aide à me relaxer, dit Jimmy Brown. Je me sens un peu comme à la maison, ici. »
Communauté éparpillée
Les résidants de Lytton ont fui un peu partout dans les environs : Kamloops, Hope, Merritt.
« Ils sont allés là où ils avaient des repères », explique Mandy Na’zinek Jimmie, professeure de langue de la communauté autochtone Nlaka’pamux de Merritt, qui s’est impliquée pour venir en aide aux évacués.
« J’étais à l’aréna dès le lendemain, je ne pouvais simplement pas rester à la maison à ne rien faire », raconte-t-elle.
Un centre de dons a « tout de suite » été mis sur pied et vêtements, matelas, aliments et autres produits de première nécessité ont afflué.
« On reçoit des chargements entiers, ça vient de l’autre côté de la province », raconte Greg Alexander, qui a également fait « une centaine d’heures » de bénévolat avec sa conjointe.
L’hébergement n’est pas facile en cette période de l’année, souligne Mandy Na’zinek Jimmie.
« C’est l’été, les hôtels sont déjà complets », dit-elle, expliquant que beaucoup d’évacués ont déjà dû changer trois ou quatre fois d’endroit.
Jimmy Brown garde le contact avec ses proches par l’entremise des réseaux sociaux.
Même s’il est bien chez les Leroux Alexander, qu’il aide à prendre soin de leurs 6 chevaux et 18 poules, il envisage de partir à Hope pour « voir des visages familiers ».
« On va peut-être le garder plus longtemps », badine Greg d’un ton affectueux, pour le rassurer.
Pas avant octobre
Il faut dire que l’exil s’annonce long pour les résidants de Lytton, dont le retour ne se fera « pas avant octobre », dit Jimmy Brown.
Même pour ceux, comme lui, dont la résidence a été épargnée par les flammes.
Quand le courant et l’eau auront été rétablis, il faudra par exemple enlever les réfrigérateurs et les congélateurs, dans lesquels de la nourriture a été abandonnée, et les remplacer, illustre-t-il.
Les autorités n’ont pas encore levé l’avis d’évacuation, jugeant les lieux encore trop dangereux – l’incendie qui a détruit le village n’est d’ailleurs toujours pas maîtrisé.
Même si on retournait, il n’y a pas d’épicerie, pas de pharmacie, pas de police, pas rien.
Jimmy Brown, évacué de Lytton
« Il faut se préparer pour l’an prochain »
Rentrer chez lui est une chose, pour Jimmy Brown, mais éviter la répétition d’un tel drame en est une autre.
« Il faut se préparer pour l’an prochain », dit-il.
Même si les incendies de forêt ont toujours fait partie de sa réalité, leur nombre et leur ampleur sont maintenant plus importants.
« C’est un mois plus tôt », cette année, dit-il.
« À cause des changements climatiques, il fait tellement chaud, ça sera comme ça, désormais », anticipe-t-il.
Mais il y a beaucoup de choses qui peuvent être faites, souligne Jimmy Brown, évoquant les brûlages dirigés qu’ont pratiqués pendant des siècles les communautés autochtones, pour faire barrière aux incendies.
Et la prévention, notamment près des voies ferrées, alors que le Bureau de la sécurité des transports du Canada a ouvert une enquête pour déterminer si l’incendie qui a dévasté Lytton pourrait avoir été causé par un train.
« Quand j’étais enfant, j’allais jouer le long des rails et il n’y avait pas de broussailles à proximité », dit Jimmy Brown.
« Maintenant, il y a tellement de broussailles, très près des rails, dit-il. Il faut entretenir ce secteur. »
Le feu, jamais bien loin
Personne ne dort vraiment sur ses deux oreilles, à Merritt, en raison des incendies qui font rage un peu partout dans la région.
L’odeur de bois brûlé et le voile de fumée apparent rappellent leur présence – Environnement Canada a prévenu lundi que la fumée pourrait stagner de 24 à 48 heures et provoquer toux, irritation de la gorge, maux de tête et essoufflement.
Dimanche, deux brasiers se sont déclenchés à moins de 10 kilomètres de la ville, avant d’être rapidement éteints, raconte Greg Alexander, qui lève la tête, le regard inquiet, dès qu’une sirène ou un hélicoptère se fait entendre.
« Maintenant, on déteste entendre des hélicoptères », lance-t-il.
« S’ils n’ont pas de récipient [pour transporter de l’eau ou des produits ignifuges], ça va », ajoute-t-il.
Mais ceux qui vont et viennent, lundi, en ont, justement.
Greg Alexander et sa femme se sont préparés au pire : un système de gicleurs pour arroser la maison, une remorque avec des effets personnels « prête à être accrochée » pour partir et leur numéro de téléphone écrit sur les sabots de leurs six chevaux, qu’ils libéreront en cas d’incendie, faute de pouvoir les emmener, en « espérant qu’ils s’en sortent ».
C’est fou comme c’est sec.
Carole Leroux, qui n’hésite pas à dire que la situation est « apeurante »
« Il y a un 1/8 de pouce [3 mm] de pluie dans les 10 dernières semaines ! », renchérit son conjoint, qui souligne que ce n’est « jamais aussi sec », habituellement.
Un feu « peut se déclencher en un clin d’œil », dit-il, s’inquiétant notamment de la proximité de l’autoroute ; un mégot de cigarette ou un accident peuvent rapidement allumer un brasier, illustre-t-il.
Cette sécheresse et le fait que la saison des incendies de forêt soit « un mois plus tôt » qu’à l’habitude, cette année, ne présage rien de bon, prévient en outre Greg Alexander.
« S’il y a déjà 300 incendies, on pourrait être dans le trouble au mois d’août. »
2500
Nombre de résidences visées lundi par un ordre d’évacuation en Colombie-Britannique, tandis que 15 500 autres sont sous le coup d’une alerte d’évacuation, sans obligation pour l’instant
13
Nombre d’incendies supplémentaires enregistrés en Colombie-Britannique en 48 heures.
Source : Agence France-Presse