Chaleur et sécheresse : ces deux mots font frissonner les habitants de Saint-Georges-de-Clarenceville, petite municipalité de la Montérégie sans égouts ni réseau de distribution d’eau. Ici, chaque goutte compte et des gestes aussi anodins que cuisiner, prendre une douche ou laver ses vêtements tiennent du parcours du combattant.

Il n’y a ni réseau de distribution d’eau ni égouts dans le noyau villageois de Saint-Georges-de-Clarenceville. La petite municipalité de 1195 habitants, située près du lac Champlain et de la frontière américaine, est pourtant à seulement 75 km de Montréal.

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La petite municipalité de 1195 habitants, située près du lac Champlain et de la frontière américaine, est à 75 km de Montréal.

La municipalité est littéralement enclavée dans des champs de maïs et des fermes laitières. On y retrouve des maisons fatiguées, une route souvent retapée, trois églises, une école et un seul commerce : le bar de danseuses Chez Diane.

Si une usine d’approvisionnement en eau alimente les collectivités environnantes et une partie de Saint-Georges-de-Clarenceville longeant le lac Champlain, le village lui-même n’y est pas relié. Ni l’école primaire du Petit Clocher ni le centre communautaire – censé héberger les résidants en cas d’urgence – n’ont accès à de l’eau potable.

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Serge Beaudoin est maire de Saint-Georges-de-Clarenceville depuis novembre 2020.

​​Certains habitants de [Saint-Georges-de-Clarenceville] ne devraient même pas prendre leur douche avec l’eau de leur puits.

Serge Beaudoin, maire de la municipalité

Selon une étude préliminaire effectuée en 2012 par la firme d’ingénierie GENIVAR (aujourd’hui WSP Global), 42 des 59 puits analysés à Saint-Georges-de-Clarenceville contenaient des coliformes fécaux. De plus, 39 puits contenaient une concentration de bactéries atypiques de 200/100 ml. « On peut conclure, à la lumière de ces résultats, que la qualité de l’eau des puits résidentiels présente un réel danger pour la santé des citoyens, prévient le rapport. Le simple fait de prendre une douche, un bain ou de se laver les mains est un danger en soi », prévient le rapport.

Les besoins sont à ce point criants que le Centre d’action bénévole a décidé d’investir pour distribuer prochainement de l’eau potable aux résidants dans le besoin, indique Shannon Richardson, directrice de l’organisme.

Une insalubrité de longue date

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Karl Loyer, résidant de Saint-Georges-de-Clarenceville, montre sa cuve qu’il remplit grâce au camion d’incendie de la ville.

La production agricole environnante et des systèmes d’évacuation des eaux usées non conformes sont la source de l’insalubrité, indique l’étude de 2012. Cette situation alarmante est connue du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques et de celui des Affaires municipales et de l’Habitation.

Questionnée sur l’impact de la mauvaise qualité de l’eau sur la santé des résidants de Saint-Georges-de-Clarenceville, Chantal Vallée, agente d’information du CISSS de la Montérégie-Centre, a précisé que « c’est la responsabilité du propriétaire du puits de s’assurer de la qualité de l’eau ».

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Karl Loyer, résidant de Saint-Georges-de-Clarenceville, est aussi pompier pour la ville.

​​J’allais le faire [creuser un nouveau puits], mais chaque année, on me disait que l’eau allait arriver. Ça fait 20 ans que j’entends ça.

Karl Loyer, résidant de Saint-Georges-de-Clarenceville

Le résidant de Saint-Georges-de-Clarenceville est aussi – ironiquement – pompier pour la ville.

Comme d’autres personnes, il se fait livrer de l’eau par le camion de pompier du village, au coût de 60 $. Même des fermes laitières environnantes recourent à ce service, selon le maire de la ville.

Bataille pour l’accès à l’eau potable

Le coûteux projet d’accès à l’eau potable – aujourd’hui évalué à 13,5 millions par le maire de la municipalité – divise la petite collectivité. Le coût initial d’un système d’approvisionnement en eau potable et d’évacuation des eaux usées était estimé à près de 9 millions, selon l’étude préliminaire en 2012. Des modifications au tracé prévu initialement ont été apportées : elles visent à relier plus de maisons, à améliorer la pression de l’eau et à installer des bornes d’incendie dans le village.

La municipalité a réussi à sécuriser, en 2015, un financement de près de 7 millions du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH). Autre nouvelle encourageante : en mai 2021, un avis favorable à l’acquisition d’un terrain pour l’usine de traitement des eaux usées a été donné par la Commission de protection du territoire agricole du Québec.

Aujourd’hui, malgré la subvention du MAMH, la municipalité devra débourser près de 7 millions pour aller de l’avant, alors que son budget annuel n’est que de 2 millions de dollars.

« C’est impossible pour les résidants de [Saint-Georges-de-Clarenceville] de payer la différence », assène Serge Beaudoin.

« On ne peut pas se le permettre »

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Raymond Faguy, de Saint-Georges-de-Clarenceville, craint les répercussions financières de l’installation d’un réseau de distribution d’eau dans le village.

Raymond Faguy, résidant de Saint-Georges depuis 13 ans, craint les effets du projet. « Nous sommes une famille à faible revenu. On ne peut pas se permettre d’assumer une augmentation des taxes ni de connecter notre maison ​​[au réseau de distribution d’eau] », indique-t-il. L’homme doit acheter trois cruches de 18 litres d’eau potable tous les trois jours pour satisfaire aux besoins de sa famille. Les frais de raccordement coûteraient en moyenne 5000 $ aux résidants, estime Serge Beaudoin.

Une pétition contre le projet a même été lancée par des résidants lors de sa première mouture, il y a près de 20 ans, se souvient Margaret Donna Howarth. Elle était alors conseillère municipale.

Pour Bonnie Shedrick, qui a élevé cinq enfants rue Principale, l’attente de l’eau à Saint-Georges-de-Clarenceville est devenue source de désillusions.

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Bonnie Shedrick, ancienne douanière, a élevé cinq enfants rue Principale de Saint-Georges-de-Clarenceville.

On se dit toujours qu’on ne vivra pas assez longtemps pour voir ça. Et que si ça finit par arriver, on n’aura plus les moyens de vivre ici.

Bonnie Shedrick, résidante de Saint-Georges-de-Clarenceville

En additionnant l’achat d’eau potable et les vidanges de sa fosse septique scellée, elle peut débourser plus de 2500 $ par année.

Pour Karl Loyer, le manque d’eau potable étouffe le village : « On ne peut même pas avoir un dépanneur ici », dénonce-t-il.

Se faire entendre dans la sphère politique

Pour tenter de faire bouger les choses, le maire de la municipalité a joint la députée d’Iberville, Claire Samson, ainsi que la ministre du MAMH, Andrée Laforest. Il a même écrit au premier ministre du Québec, François Legault.

Le 7 juillet, il a reçu un retour du MAMH par courriel, lui indiquant que le coût maximal admissible du projet était évalué, comme en 2015, « à 6 876 000 $ ». Le MAMH demande à la municipalité des justificatifs additionnels pour expliquer la nécessité du nouveau tracé, notamment des analyses d’eau plus récentes.

C’est inacceptable qu’en 2021, il y ait des municipalités qui n’ont pas encore d’eau courante et des infrastructures qui tiennent. Alors, on va suivre ça de près.

Claire Samson, députée d’Iberville, en entrevue avec La Presse le 8 juillet

Il y a 81 municipalités au Québec qui souhaitent une remise aux normes au chapitre des infrastructures liées à l’eau potable, selon Jacques Demers, président de la Fédération québécoise des municipalités.

Lueur d’espoir : la ministre Andrée Laforest a annoncé, le 5 juillet, la bonification d’un programme visant à permettre aux municipalités de la province de financer des travaux d’infrastructure municipale. L’enveloppe est maintenant de 4,4 milliards de dollars.