Le cas du village de Lytton en Colombie-Britannique, où un immense incendie a fait au moins deux morts, détruit 90 % de la surface et forcé l’évacuation d’un millier de résidants cette semaine, démontre à lui seul que la multiplication des incendies atteint un point critique dans plusieurs régions à l’ouest de l’Amérique du Nord, de la Californie au Canada.

Des incendies en grand nombre

Selon les données des autorités provinciales, au moins 172 incendies actifs faisaient rage à travers la Colombie-Britannique vendredi soir, dont des dizaines qui ont pris naissance au cours des deux derniers jours. À Lytton, il reste difficile pour le moment de dresser la liste des endroits où sont réfugiés les résidants, en raison de la précipitation dans laquelle s’est déroulée l’évacuation mercredi soir et de l’absence de réseau cellulaire. Les recherches se poursuivaient d’ailleurs vendredi dans l’espoir de retrouver des personnes qui manquaient à l’appel à la suite de l’évacuation. Deux personnes ont péri dans l’incendie, a aussi annoncé la coroner en chef de la province, Lisa Lapointe, vendredi soir. Au nord-est, la ville de Kamloops est aussi menacée par un incendie qui a forcé certaines évacuations.

Par ailleurs, Mme Lapointe a déclaré que 719 morts subites avaient été signalées dans la province pendant la vague de chaleur historique de la dernière semaine. Ce nombre est sans précédent pour une même période, la coroner affirmant que le nombre de décès est trois fois plus élevé que ce qui se produirait en temps normal.

710 117

Les orages qui se sont formés au-dessus de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, alimentés notamment par la chaleur des incendies de forêt, ont généré 710 117 éclairs sur une période d’à peine 15 heures, entre l’après-midi du 30 juin et le lendemain matin, a calculé l’entreprise Vaisala. Ce nombre très élevé représenterait environ 5 % du nombre total des éclairs observés au Canada dans une année normale, selon ce qu’a publié le météorologue américain Chris Vagasky, qui travaille pour l’entreprise, sur son compte Twitter.

IMAGE FOURNIE PAR VAISALA

Vaisala, qui mesure les impacts de foudre en Amérique du Nord, a compté 710 117 éclairs dans le ciel de la Colombie-Britannique et de l’Alberta entre 15 h le 30 juin et 6 h le 1er juillet. Certains pourraient avoir déclenché de nouveaux incendies.

« Sans précédent »

Pour l’écologiste forestier à Ressources naturelles Canada Yan Boulanger, la vague de chaleur dans l’Ouest canadien est « sans précédent à l’échelle globale », plusieurs records de température ayant déjà été fracassés. « En très peu de temps, il s’est développé des orages avec énormément d’éclairs qui ont allumé plusieurs dizaines d’incendies au nord de Kamloops, mais aussi ailleurs dans la province », explique-t-il.

« C’est comme si la forêt était remplie d’allumettes. Il suffit d’une petite étincelle pour que des incendies d’une très grande ampleur se produisent », poursuit-il, en soulignant que ces conditions extrêmes risquaient de se déplacer vers l’est dans les prochains jours, notamment en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba et en Ontario. M. Boulanger rappelle que l’Ouest est l’une des régions « qui se réchauffent le plus rapidement au Canada ». « Ce genre d’épisode risque de se reproduire plus souvent sous un climat changeant que sur des conditions historiques, observe-t-il. Nos études montrent par ailleurs que ce sont les communautés autochtones qui sont les plus à risque, parce qu’elles se trouvent dans la forêt boréale ou dans des milieux très exposés au feu. Il y a une réflexion collective à faire pour augmenter la préparation des populations. »

L’impact de la crise climatique

À la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU), le porte-parole Stéphane Caron rappelle que la situation des incendies est « très différente » d’une région à l’autre. « On voit depuis quelques années dans l’Ouest que c’est vraiment plus intense, et pas seulement au pays. Partout sur la côte Ouest, de la Californie jusque dans les provinces canadiennes, les populations sont nettement plus touchées », rappelle-t-il.

« Tous les spécialistes le disent : c’est l’effet des changements climatiques avec le rehaussement des températures qui provoque des assèchements importants. Tout ça fait en sorte que le combustible est plus inflammable. Quand le feu se produit, de cause naturelle ou par la foudre, ça se propage donc plus facilement et c’est beaucoup plus ardu à combattre », précise aussi M. Caron. Si pour l’instant, dans l’est du Canada, ces conditions ne sont pas « encore présentes », ce n’est qu’une « question de temps », avoue-t-il. Pour le moment cependant, au Québec, « le nombre de feux diminue plutôt que d’augmenter depuis environ 40 ans », rappelle le porte-parole. « On est dans une certaine accalmie en ce moment, donc de notre côté, c’est sûr qu’on aura des ressources pour aller aider les autres provinces, que ce soit dans l’Ouest ou en Ontario. Des annonces suivront bientôt », fait-il valoir.

PHOTO DARRYL DYCK, LA PRESSE CANADIENNE

Des structures détruites par les incendies de forêt à Lytton, en Colombie-Britannique

Quelles solutions ?

Professeure associée à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Louise Hénault-Ethier affirme que la crise met en lumière la nécessité d’agir « tout de suite » dans les milieux urbains. L’une des solutions, selon elle, est d’augmenter le nombre d’arbres en ville. « Il faut planter massivement pour que dans les 10, 20 ou 30 prochaines années, on dispose d’une canopée qui projettera suffisamment d’ombre pour abaisser la température pour tout le monde », soutient-elle.

PHOTO DARRYL DYCK, LA PRESSE CANADIENNE

Un hélicoptère bombardier d’eau se prépare à déverser son contenu sur un incendie de forêt près de Lytton, en Colombie-Britannique.

« Une autre chose urgente, dans le contexte, c’est de délaisser les combustibles fossiles. C’est tout à fait imprudent de continuer à investir là-dedans. C’est rendu une question d’avenir de l’humanité », insiste l’experte. Si la chaleur extrême et les incendies ne gagneront pas nécessairement le Québec, l’accroissement des précipitations pourrait en revanche entraîner « beaucoup d’inondations » dans un avenir rapproché, craint Mme Hénault-Ethier. Ce qui n’exclut pas des épisodes de sécheresse prolongée. « Avec ça, pourrait aussi venir une sécheresse qui va faire mourir nos cultures dans les champs. Il n’y aura pas vraiment d’équilibre malgré tout. Ces bouleversements vont demander un questionnement majeur sur l’aménagement de nos territoires », avance-t-elle.

Crises « superposées »

Directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire à l’UQAM, le professeur François Audet affirme que deux crises sont « superposées » au Canada en ce moment : celle de la COVID-19 et celle de la chaleur extrême. « La pandémie n’est pas près d’arrêter, mais les changements climatiques non plus. On entre dans une espèce de nouvelle normalité de gestion de crise », fait-il remarquer.

« Avec ce qui se passe dans l’Ouest, il n’est pas impossible qu’on finisse par manquer de ressources. Il n’y a pas plus de pompiers et de policiers pour gérer deux situations extraordinaires superposées », ajoute M. Audet. À ses yeux, la prévention sera le nerf de la guerre dans les prochaines années. « Au Québec, pour moi, il ne s’agit pas de savoir si ça va arriver, mais quand ça va arriver. La question qu’on devrait se poser, c’est : est-ce qu’on est vraiment prêts ? Si eux ne l’étaient pas dans l’Ouest, je ne vois pas pourquoi ici, on le serait davantage. »

Avec Coralie Laplante, La Presse, et La Presse Canadienne