La saison des bleuets s’annonçait bonne. Les gels de la semaine dernière en auront décidé autrement, emportant une partie des récoltes avec eux. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean et en Montérégie, les agriculteurs prévoient entre 20 % et 40 % de pertes, qui pourraient se faire sentir jusque dans les paniers d’épicerie.

« Quand ça gèle, on ne dort pas de la nuit », raconte Johanne Parent, de la Bleuetière du Boisé, à Granby. La copropriétaire parcourt ses champs et s’arrête fréquemment pour montrer à La Presse les dégâts. Les fleurs gelées sur les arbustes sont brunes alors qu’elles devraient être blanches.

Dans les nuits du 27 et du 28 mai, le mercure a chuté sous la barre du 0 °C. Les bleuets, en pleine floraison, étaient fragiles.

Mme Parent estime les pertes à 20 % pour ses récoltes. « Mais on pourrait avoir de mauvaises surprises », prévient-elle. Pour empêcher le gel des plants, la ferme a fait des feux contrôlés entre les rangs. Elle affirme ne pas être la pire du lot.

À quelques pas de chez Mme Parent se trouve la ferme La Grande Bleue, qui appartient à sa belle-sœur. « La grande bleue, c’est moi ! », s’exclame Monique Benoit en désignant son habit de travail. La bleuetière est son projet de retraite avec son mari.

Faute d’équipements, les propriétaires n’ont pas pu faire de feux pour réchauffer les plants. « On ne s’est pas méfiés, on n’annonçait que 4 °C dans la nuit. Ça a soudainement descendu sous zéro », raconte Mme Benoit en examinant des pousses gelées dans son champ. En agriculture, un degré fait toute la différence.

Pour l’une de ses neuf variétés de bleuets, les Northblue, Mme Benoit évalue les pertes à 90 %.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Monique Benoit, propriétaire de la bleuetière La Grande Bleue, à Granby

Tu commences avec ta saison et tu ne sais pas ce que ça va donner. À un moment, les bourgeons et les fleurs sortent et c’est merveilleux. Et puis, du jour au lendemain, tout est fini.

Monique Benoit, propriétaire de la bleuetière La Grande Bleue, en levant les bras au ciel

Pour certains arbustes, il y a tout de même une lueur d’espoir. Les bleuets déjà formés ont des chances de survivre.

La chaleur hâtive en cause

Avant les épisodes de gel de la semaine dernière, les producteurs entamaient la saison avec enthousiasme.

« Ce printemps, on avait des fleurs beaucoup plus qu’à la normale. Comme s’il y avait six pouces de neige à certains endroits », s’exclame Daniel Gobeil, président du Syndicat des producteurs de bleuets du Québec. Le gel a été un coup dur, dit-il. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, la situation a été si grave qu’entre 40 % et 50 % des fleurs de bleuets sauvages sont mortes, estime M. Gobeil.

Selon les producteurs interrogés par La Presse, la saison a deux à trois semaines d’avance en raison des températures chaudes d’avril. Selon Mme Parent, cela explique les dégâts.

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Johanne Parent, propriétaire de la Bleuetière du Boisé

Des gels à la fin mai comme ça, il y en a tous les ans. Sauf que les bleuets sont encore à l’état de bourgeons habituellement.

Johanne Parent, propriétaire de la Bleuetière du Boisé

Autre préoccupation pour la Bleuetière du Boisé : les bourdons nécessaires à la pollinisation ont disparu. « Il y a eu le gel et là, on ne les voit plus. Ils se sont sauvés ou ils sont morts », note Mme Parent.

Moins de bleuets pour les Québécois cet été ?

Les consommateurs doivent-ils s’attendre à avoir moins de bleuets cet été ? Daniel Gobeil hésite à se prononcer. « Ça pourrait arriver. Mais il est encore tôt pour le dire. » De bonnes conditions météorologiques pourraient compenser pour la perte due au gel.

Pour la ferme La Grande Bleue, mettre une croix sur une grande partie des bleuets Northblue est un réel problème. « Ce sont nos premiers bleuets qui partent, on fournit nos kiosques avec ça. Cette année, je ne sais pas comment on va faire à ce niveau-là », observe Mme Benoit en désignant le secteur le plus touché par le gel.

Malgré les évènements des derniers jours, la Bleuetière du Boisé ouvrira cette année pour l’autocueillette, selon sa propriétaire. « On a vu pire deux fois », relativise Mme Parent. Une année sans ouvrir et l’autre de deux demi-journées pour toute la saison. Des clients ont rebroussé chemin, faute de fruits à cueillir.

Le gel n’a pas que touché les bleuets. Pour ce qui est des récoltes telles que le maïs et le soya, il faudra attendre trois semaines pour mesurer les dégâts.

« Des producteurs nous ont envoyé des photos assez inquiétantes de leurs champs, relate Ramiz Yelda, analyste principal des marchés des Producteurs de grains du Québec. Mais je suis prudent. […] Il est possible que ça revienne après une semaine. » Cela dépend de l’intensité et de la durée du gel, ainsi que du stade où en étaient les cultures.